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Fenêtres sur le passé

1892

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La constitution de la marine de guerre à voiles

La constitution de la marine de guerre à

 

Source : La Dépêche de Brest 7 décembre 1892

 

Nous faisons l’emprunt qui suit au dernier volume de l'amiral Jurien de la Gravière, les Gueux de Mer :

On peut constater deux périodes bien distinctes dans les progrès successifs qui ont constitué la marine à voiles de guerre.

En l'année 1396, on voit l'artillerie apparaître à bord des vaisseaux

des Pays-Bas.

Vers l'année 1520, cette artillerie arme le travers des vaisseaux :

un constructeur de Brest, le sieur Descharges vient d'inventer les sabords.

Dès ce moment, la marine, qui ne s'effacera que devant le vaisseau

à vapeur, la marine des Ruyter, des Tourville, des Suffren, des Nelson,

des Bouvet, des Duperré, des amiraux Roussin, Baudin, Hugon, Lalande,

de Parseval, de la Susse, Hamelin et Bruat, la marine à laquelle

j'ai moi-même consacré ma jeunesse, se trouve irrévocablement fondée.

Elle aura duré trois cent trente-cinq ans, du règne de Charles-Quint

au règne de Napoléon III.

 

Pendant plus de cent ans, on s'était contenté de placer quelques pièces d'artillerie aux extrémités du vaisseau.

Dès le début du XVIe siècle, on voit les flancs du Grand-Henry se garnir

de 122 bouches à feu, ceux du Saint-Mathieu en porter 130,

de la Charente, 200.

Réduisons cependant ces chiffres à leur juste valeur.

Les gueux de mer jurien de la gravière.j

Sur les 122 pièces du Grand-Henry on en compte à peine 34 qui mériteraient aujourd'hui le nom de canons.

Le reste se compose de fauconneaux, de serpentins, de robinets, bouches à feu dont la plus forte lance un boulet d'une livre et demie à peine.

La grosse artillerie elle-même comprend les calibres les plus variés.

On y rencontre, outre les couleuvrines, des demi-couleuvrines et des quarts de couleuvrines, en d'autres termes,

des pièces tirant des boulets de quinze, de douze, de dix, de huit, et de cinq livres.

Le poids de la charge de poudre, est à peu de chose près, la moitié du boulet.

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Aux deux extrémités du navire, on continuera d'installer à poste fixe

les énormes pièces empruntées au vieil armement des galères,

— des pièces du calibre de 36 et de 48 livres de balles.

Les projectiles ont longtemps été des globes de plomb et des globes

de pierre.

On trouve encore, en 1533, dans les comptes de la ville d'Enkhuysen, mention faite de

« 552 pieds de pierre bleue de Namur, destinés à confectionner des boulets de 5, de 6, de 7, de 8, de 9 pouces de circonférence ».

À partir de 1533, l'emploi des boulets de fonte de fer devient général.

 

Les premières bouches à feu furent faites de fer battu.

Plus tard, on essaya la fonte — en premier lieu la fonte verte ou métal

de cloche, en second lieu la fonte de fer.

La culasse fut, dans le principe, mobile.

On introduisait le boulet dans l'âme, la poudre dans une boîte détachée ; cette boîte portait le nom de chambre.

Des bandes et des liens de métal reliaient ensuite les deux parties

l'une à l'autre.

Pour accélérer le tir, on en vint bientôt à multiplier les chambres.

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Chaque pièce fut munie de deux, de trois, quelquefois même de douze culasses mobiles chargées à l'avance.

On n'avait plus que la peine de changer la chambre après chaque coup tiré.

Le savant archiviste du royaume des Pays-Bas, Jean Carolus de Jonge, mort à La Haye le 2 juillet 1853,

à l'âge de 60 ans, a retrouvé dans les comptes de la ville de Leyde, comptes remontant à l'année 1477,

ce curieux paragraphe :

« Un petit canon, avec 12 chambres, pour mettre dans la hune. »

 

Vers le milieu du XVe siècle, une modification importante se produit.

L'artillerie est alors la plupart du temps fondue d'une seule pièce.

Cependant les pièces à chambre, — les kamerstukkers, — continuent de trouver encore place à bord des vaisseaux

des Pays-Bas.

Les Espagnols les désignent sous le nom de pieças de caméra ; les Portugais les appellent pieças de braga.

 

Si les pièces à chambre n'eussent trop souvent péché par l'ajustage, on ne les aurait pas sans regret remplacées

par les nouvelles bouches à feu.

Les pièces à chambre, particulièrement dans l'emploi des forts calibres, offraient sur les canons fondus d'un seul jet un grand avantage.

La grosse artillerie avait alors une longueur de volée tout à fait exagérée.

Un canon de 15 ou 16 pieds de long est infiniment plus commode à charger par la culasse que par la bouche,

surtout à bord d'un vaisseau, où il est déjà si difficile de le maîtriser.

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L'affût roulant ne fut pas adopté dès le premier jour.

À l'exemple de ce qui se passait sur les galères, on posa au début,

dans la marine à voiles, les canons sur des madriers glissant

dans des coulisses.

Ce n'est pas avant la première moitié du XVIe siècle qu'on verra l'affût

à roues apporter au maniement de l'artillerie navale des facilités ignorées jusqu'alors.

On peut enfin jeter la pièce à droite et à gauche, pointer en un mot avec

le canon, au lieu d'être obligé de pointer, comme autrefois, avec le navire.

Ce chariot que le tir fait reculer et qu'on ramène, après avoir rechargé

la pièce, au sabord, aura l'existence aussi longue que la marine qui, pendant trois cents ans, le promènera sur maint champ de bataille.

Il ne disparaîtra qu'avec le vaisseau à voiles.

 

L'arc et l'arbalète ont peu à peu battu en retraite ;

le canon n'est cependant pas la seule arme de jet dont il soit fait usage

à bord des vaisseaux des Pays-Bas.

Vous y remarquerez, dès les premières années du XVIe siècle,

les mousquets et les doubles mousquets fixés dans des créneaux ou tournant sur des pivots de fer.

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Ce sont là les armes que les historiens néerlandais nous présentent sous les noms de bossen, handbussen, haaksen

et kaakbossen.

On en garnit principalement les hunes.

Les flèches à feu, connues sous le nom de raquettes, de rockets, de fusées, les pots à feu, les boulets creux remplis

de poix, de résine, de soufre, de salpêtre, de poudre, ont pour objet de porter l'incendie à bord, de l'ennemi,

soit en s'accrochant aux voiles, soit en répandant leur contenu sur le pont.

 

L'eau et l'huile bouillante, les chausse-trapes, les piques de 14 et souvent même de 17 pieds de longueur servaient

à repousser l'abordage.

Casque en tête, le cou, les cuisses, les bras protégés par des pièces d'armure, les soldats et les mariniers

composant l'équipage combattaient avec le sabre, avec la hache, avec la masse d'armes,

avec le bâton noueux garni de pointes de fer.

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Montons à bord d'un de ces vaisseaux du XVe ou du XVIe siècle,

au moment où nous le saurons prêt à quitter le port, étudions avec soin

son organisation intérieure, nous verrons combien cette organisation diffère peu de celle que conserve encore aujourd'hui nos escadres.

 

« Vous fault partir votre navyre en quatre », écrivait dans un ouvrage dédié

à l'empereur Charles-Quint, quand ce puissant monarque n'était encore

que le roi de Castille, Philippe de Clèves, seigneur de Ruvensten.

— « Vous fault partir votre navyre en quatre et en chacun quartier faire ung chief des plus gens de bien que vous ayez. »

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Cette division de l'équipage en quatre fractions égales destinées

à se succéder dans le service de jour et de nuit s'est perpétuée

jusqu'à nos jours, tant elle a paru rationnelle.

 

Un capitaine, nommé par l'amiral, exerçait bord du vaisseau l'autorité suprême. Il recevait par mois, en l'année 1555, 30 florins de solde (67 francs), à peu près.

Pour le seconder, ce capitaine avait un lieutenant, — un stathouder, —

aux appointements mensuels de 24 florins (54 francs).

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Il avait également sous ses ordres deux patrons, des timoniers, des pilotes, des Esquimaux.

 

Les manœuvres se commandaient généralement au sifflet.

En l'année 1523, on voit l'amiral Adolphe de Bourgogne faire délivrer à son vice-amiral Dirk van der Meer

une certaine somme d'argent « qui sera consacrée, écrit l'amiral, à l'achat d'un sifflet d'or ».

 

Restée longtemps fidèle aux types que lui avaient transmis les Normands et les Vénitiens, l'architecture navale s'empressa, dès que l'adoption de la boussole lui eut ouvert l'accès des mers lointaines,

de remplacer les cocche par les hourques, les drakars par les caravelles.

Ce sont des caravelles qui découvriront le Nouveau-Monde.

D'où est venu ce nom de caravelles ?

D'un procédé nouveau dans la manière d'assembler les bordages, si nous en croyons les savants hollandais.

Karvelwerken signifie encore dans la langue des Pays-Bas :

« Border un navire de telle façon que les bordages chevauchent l'un sur l'autre. »

Il nous en est resté les constructions à clins.

 

Sur les eaux intérieures, on continua, même après le développement prépondérant pris par la marine à voiles, d'employer, sinon de véritables galères, au moins des bâtiments à rames.

Pour la navigation pratiquée en haute mer, la grandeur des carènes s'accrut, en quelques années,

dans une proportion notable.

Aux vaisseaux de 160, de 180, de 200 tonneaux, ont succédé des navires de 300, de 400, de 500,

de 600 tonneaux même.

Les navires à voiles n'avaient primitivement que deux mâts ; on leur en donne trois, sans compter le mât de beaupré.

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