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Fenêtres sur le passé
1892
L'attentat de la porte du Conquet
Source : La Dépêche de Brest 19 février 1892
Grave plainte.
Le parquet vient d'être saisi d'une plainte grave.
Samedi dernier, vers six heures et quart du soir, Mme L .., demeurant rue de l'Église, à Recouvrance, envoyait sa fille, une enfant de dix ans, appelée Jeanne, chercher une coiffe chez une repasseuse de la rue Vauban.
Elle ne rentra qu'à huit heures du soir.
Pressée de questions par sa mère, étonnée de cette absence, la petite fille finit par avouer qu'un individu,
qu'elle avait rencontré sur la place, l'avait entraînée sur les remparts de la porte du Conquet,
près de la route de Kervallon.
Là derrière les cabanes des fruitières,
il aurait essayé de lui faire subir les derniers outrages.
Deux marins, ayant, entendu des plaintes étouffées,
seraient accourus, et le misérable aurait pris la fuite,
non sans porter à l'enfant un coup de couteau
heureusement sans gravité.
Devant M. Chaffaud, commissaire du 1er arrondissement,
la petite Jeanne a persisté dans sa première déclaration
et a prétendu reconnaître son agresseur,
un chanteur ambulant, dont elle a donné le signalement.
Cet individu est recherché et une enquête est ouverte pour contrôler le récit de l'enfant.
Source : La Dépêche de Brest 21 février 1892
L'attentat de la porte du Conquet.
La jeune Jeanne L..,, âgée de dix ans, demeurant rue de l'Église, à Recouvrance, victime de la tentative de viol
que nous avons racontée, a été visitée hier par M. le docteur Anner, commis par le parquet.
Ainsi que nous le disions, la pauvre petite a reçu dans les parties sexuelles un violent coup de couteau,
qui, s'il avait perforé les intestins, eut pu entraîner la mort.
La blessure, quoique grave,
ne met pas les jours de la petite en danger.
La fillette a été mandée vendredi au parquet, où,
en présence de M. le procureur de la République
et de M. Guicheteau, juge d'instruction,
elle a renouvelé la déclaration faite au commissaire
et donné le signalement d'un chanteur ambulant,
qui serait l'auteur de cet attentat.
Ce signalement a été communiqué à la police de la sûreté et à la gendarmerie
qui se sont mises aussitôt en campagne.
Très probablement, à l'heure où nous mettons sous presse, cet individu sera entre les mains de la justice.
Une confrontation aura lieu ce matin, au domicile de la petite victime.
Les deux marins qui se seraient portés au secours de l'enfant, au moment
où le misérable allait se livrer sur elle aux derniers outrages, sont également activement recherchés.
Source : La Dépêche de Brest 22 février 1892
Ainsi que nous le faisions prévoir hier, l’auteur présumé de l’attentat de la porte du Conquet a été arrêté.
C'est un sujet italien âgé de 18 ans, chanteur ambulant.
Cette arrestation est due au gendarme Le Lézec de la brigade à cheval de Brest.
Samedi dernier, il revenait de Lambézellec, où il s'était livré à une enquête quand, à la hauteur du Casino,
près du Petit-Paris, il remarqua deux individus paraissant être des chanteurs ambulants
et dont l'un semblait répondre au signalement délivré par le Juge d'instruction.
Une seule différence :
cet individu portait une casquette de débardeur au lieu d'un chapeau mou
et il n'avait pas autour du cou le mouchoir à carreaux indiqué par la petite fille.
Le gendarme Le Lézec, dont nous avons plusieurs fois parlé
au sujet des nombreuses arrestations opérées par lui, s'approcha de ces deux nommes, qu'il avait déjà eu l'occasion de voir sur les places publiques ou dans les rues,
et lia conversation avec eux, tout en poursuivant
sa route vers Brest.
L’un d'eux baissait sa casquette sur ses yeux,
comme pour cacher son visage.
L'autre au contraire, parlait très librement au gendarme.
«Nous revenons, dit il entre autres choses, de Saint Renan, et demain matin nous quittons Brest
pour nous rendre à Landerneau. »
Le gendarme qui avait appris où ils résidaient, les quitta.
Comme il n'y avait pas de temps à perdre, il se rendit aussitôt rue de l’Église, 25,
où il interrogea de nouveau la jeune Jeanne L… sur le signalement de son agresseur.
Plus de doute, c’était bien lui.
Le Lézec regagna alors sa caserne et, hier matin, dès l'aube, accompagné de son collègue Kerdoncuff,
il se rendait au Petit-Paris, en Lambézellec, où logeait dans une baraque l’individu en question,
qui était arrêté immédiatement.
Conduit au domicile de la petite Jeanne, il fut confronté avec celle-ci à neuf heures du matin.
—- Oui, c'est bien lui, s'est aussitôt écriée la petite, en le voyant.
Je le reconnais bien à sa figure pale et maigre !
Zugetta — c'est ainsi que se nomme l'individu arrêté, rougit se troubla et dit :
— Je prouverai où je me trouvais le soir où c'est arrivé !
Pressé de questions,
la fillette persista dans ses déclarations en disant :
— Si, si, c'est bien celui-là.
Je le reconnais très bien !
Je l'avais d'ailleurs vu à l’approche du jour de l'an, chantant en vendant des bonnes aventures de toutes les couleurs, une fois dans la rue de la Porte, une autre fois dans la rue de l’Église.
Il avait même un chapeau chinois avec des clochettes !
Zugetta persista néanmoins à protester de son innocence.
Conduit menottes aux mains devant M. Guicheteau, juge d’instruction, il a été, après constatation de son identité
et sur un ordre d’incarcération délivré par ce magistrat, écroué à la maison d’arrêt du Bouguen.
Fouillé pour savoir s'il n'avait pas sur lui le couteau
dont il aurait porté un coup à la petite,
on trouva dans l’une de ses poches un couteau à peu près semblable à celui décrit par l'enfant.
Cependant, l'autre portait à l'extrémité du manche
un anneau de cuivre.
Il reste maintenant à retrouver les deux marins dont nous parlions hier.
M. Guicheteau a adressé « d’urgence » au préfet maritime la lettre suivante :
Dans la soirée du 13 courant vers huit heures,
deux marins de l’État ont surpris sur les glacis,
près de la porte du Conquet, un chanteur ambulant
au moment où il allait commettre un attentat à la pudeur
sur la personne d’une petite fille âgée de dix ans,
habitant Recouvrance, et après avoir arraché cette enfant
des mains de son agresseur,
l’ont reconduite jusqu’à la route des Remparts.
J’ai l’honneur de vous prier de vouloir bien prescrire
les recherches les plus actives, non seulement à la division
de Brest, mais encore parmi les équipages actuellement
en rade et dans l’arsenal, dans le but de retrouver
ces deux marins et de bien vouloir me faire connaître,
dans le plus bref délai possible,
le résultat de ces investigations.
Veuillez agréer, etc …
Guicheteau
Cette lettre sera communiquée aux divers chefs de services de la rade et du port.
Le gendarme Le Lézec a été vivement félicité par le juge d’instruction.
Le père de la petite Jeanne, qui est second-maître de la marine et qui arrive à Bret dans quelques jours,
venant de Toulon, ignore encore l’ignoble tentative dont a été victime sa petite fille.
Cette affaire passionne vivement l’opinion publique et particulièrement le quartier
où demeurent les parents de la victime.
Les habitants se montraient très surexcités en voyant passer le prévenu escorté de deux gendarmes
et de six agents.
L'attentat de la porte du Conquet continue à préoccuper l'opinion publique à Recouvrance.
Comme on le pense, les commentaires vont leur train, mais il serait difficile de retenir le moindre indice
des suppositions plus ou moins fondées qui défrayent les conversations.
Il nous a paru plus intéressant d'interroger, à nouveau la petite Jeanne, dont l'état continue à s'améliorer.
Sa mère espère qu'elle pourra retourner à l'école dans les premiers jours du mois prochain.
Voici l’entretien qu’a eu avec elle un de nos collaborateurs :
— Persistes-tu toujours à croire que Zugetta est ton agresseur ?
— Oh ! Non, monsieur.
Ce n'est pas lui, bien sûr, mais je croyais le reconnaître.
Celui qui m’a frappée était maigre et pâle comme lui
et il était vêtu de la même façon.
Quand j'affirmais, c'est que je croyais que c'était bien lui.
— Si on te présentait maintenant ton véritable agresseur,
le reconnaîtrais-tu ?
— Oui, mais à la condition qu'il ait autour de la figure le mouchoir qu'il avait dans la soirée du 13
et les jours où je l'ai vu chantant dans les rues de la Porte et de l'Église.
On n'a pas oublié que dans le premier signalement donné par l'enfant,
son agresseur avait la figure entourée d'un mouchoir de couleur comme pour couvrir une blessure.
La petite Jeanne, dont l'intelligence parait fort vive, maintient donc son accusation.
L'innocence reconnue de Zugetta n'a pas affaibli ses affirmations,
et c'est d'un petit ton très résolu qu'elle continue à faire le récit de l'attentat.
Dit-elle la vérité ?
C'est ça que l'instruction cherche à établir.
M. Guicheteau, juge d'instruction, a entendu mercredi, dans son cabinet, le frère de la petite Jeanne,
Georges L..., âgé de huit ans.
Le 13 au soir, il accompagnait sa sœur chez la repasseuse de la rue Vauban.
Il a bien vu, dit-il, un individu prendre sa sœur par la main.
Il les a suivis — à un pas environ jusqu'à la porte du Conquet, où il les a laissés continuer leur route sur Kervallon.
Quant à lui, il est resté à cet endroit jusqu'au moment où sa sœur est revenue avec les deux marins
qui l'avaient arrachée des mains de ses agresseurs.
C'est-à-dire près de deux heures après.
L'affaire, on le voit, est de moins en moins clair et,
d'autre part malgré les recherches les plus actives faites
par l'autorité maritime pour retrouver les deux marins,
il a été impossible de les découvrir.
La lettre du juge d'instruction, communiquée par la voie
de l’ordre à bord de tous les bâtiments de la rade et du port et dans tous les services de l'arsenal, est restée sans résultat.
La police de sûreté essaye maintenant de trouver les personnes qui, dans la soirée du 13 courant,
auraient pu voir la petite Jeanne, soit à Recouvrance, soit sur la route de Kervallon,
alors qu'elle était entraînée par son assesseur ou accompagnée de deux marins
Personne ne l'a vue et elle n'a vu personne.
Ceci est absolument invraisemblable.
Comment admettre que de six heures à huit heures, au moment de la sortie des ouvriers,
pas un passant n'ait remarqué cet individu qui, d’après les dires mêmes de la petite Jeanne,
la tenait et lui mettait la main sur la bouche pour l'empêcher de crier ?
Comment son frère, qui l'avait suivie, n'a-t-il pas appelé au secours ?
Comment le préposé d'octroi de service à la porte du Conquet n'a-t-il rien remarqué ?
Un point qui a encore son importance :
Sait-on comment l'affaire est arrivée à la connaissance de la justice ?
Aucune plainte n'a été portée par les parents de la petite Jeanne.
C’est l'agent Prigent qui, en se promenant dans rues de Recouvrance, où il était de service,
entendit deux petits garçons qui causaient de l'affaire.
Il les interpella et ceux-ci lui fournirent force détails sur l'attentat dont avait été victime
la sœur de leur petit camarade L...
L'agent en informa M. Chaffaud, commissaire de police du 3e arrondissement,
qui fit appeler la petite Jeanne et sa mère à son cabinet, où elles firent le récit que l'on sait.
En résumé, l'enquête à laquelle nous nous sommes livrés n'a fait que confirmer les doutes
qui n'ont cessé d'entourer cette affaire.
Une seule chose est certaine, c'est que la petite Jeanne a reçu un coup de couteau.
Mais par qui a-t-il été porté ?
C'est ce qu'on arrivera difficilement à découvrir.
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Source : La Dépêche de Brest 6 mars 1892