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Fenêtres sur le passé

1892

L'amiral Réveillère
L'homme et ses œuvres

 

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Source : La Dépêche de Brest 2 août 1892

 

Un de nos confrères de province, le Rappel de l'Eure, vient de publier, sur l'amiral Réveillère et ses œuvres,

une très remarquable étude dont nous détachons les passages suivants, qui seront lus certainement avec plaisir

par nos lecteurs :

 

À suivre l'amiral Réveillère dans ses pérégrinations autour du monde, on ne peut manquer d'être réconforté

par son sang-froid, son courage, son mépris ou plutôt sa méconnaissance du danger,

sa désinvolture en face de la mort et lorsqu'il y fait incidemment allusion.

Qu'on lise ses comptes rendus rapides de l'insurrection canaque ;

comme il détaille tout avec une logique implacable, avec une aisance simple, modeste, avec une force calme,

sûre de ne pas être entamée, dont l'assurance l'affermit, soit que la tempête inflige des avaries funestes à son aviso, soit que la fièvre jaune le menace de ses atteintes la plupart du temps mortelles, ou que le torpilleur 44,

lance par son ordre à toute vapeur, remonte, au risque de sombrer, les rapides inexplorés de Sambor.

 

On prévoit quelles peuvent être les qualités d'esprit de l'amiral, étant donné un tel caractère.

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J'ai relevé dans ses ouvrages des idées très décisives sur un grand nombre de questions.

Car tandis qu'il nous promène de Calédonie en Cochinchine, de Cochinchine à la colonie du Cap,

à la Martinique et dans bien d'autres endroits encore, l'amiral nous fait à chaque instant explorer sa propre pensée dans ses tendances diverses.

 

Ici il témoigne indirectement de son très vif amour pour la mère patrie en faisant valoir quelques-unes des qualités d'ordre et de méthode de l'administration anglaise ;

ou bien l'esprit d'initiative et de patience des marins allemands, afin que nous corrigions nos défauts en remarquant chez nos ennemis ce qui se fait d'excellent.

Et ce patriotisme est avisé, robuste.

À quoi bon être chauvin à outrance, à quoi bon dédaigner les autres peuples et se croire la nation sans rivale,

si cependant nos voisins, aidés par notre aveuglement présomptueux, travaillent fructueusement à diminuer

notre influence au dehors et à ruiner notre crédit ?

 

J'ai noté ailleurs de judicieux projets d'établissements coloniaux que l'amiral expose en passant,

et nos législateurs trouveraient profit, j'imagine, à recourir à sa compétence, à sa largeur de vues,

au sens éminemment pratique qu'il a de ces choses.

Ses conseils seraient très utiles en proportion de sa longue expérience, de son éloignement de toute coterie,

des opinions libérales qu'il professe, de la sincérité avec laquelle il envisage les affaires, de la passion du progrès

en tout qui l'anime.

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Ce n'a pas été une de mes moindres surprises, que de rencontrer un officier de marine, un amiral,

aussi franchement progressiste en politique que l'amiral Réveillère.

Il inscrit triomphalement sur son pavillon cette noble devise :

Vérité-Liberté, et au nom de ces deux mots magiques, si fiers, si grands, si lumineux, si féconds, il nous invite à ne pas rester embourbés dans les chemins effondrés de la routine ;

il faut cingler de l'avant, monter plus haut sans cesse pour atteindre à ces phares sublimes dont l'éclat éblouissant dessillera les yeux des moins clairvoyants et fera régner de par le monde une civilisation de plus en plus parfaite, principe du bonheur universel.

 

En attendant, il n'y a qu'un gouvernement, un seul, qui puisse nous acheminer vers cet idéal et où les mots de liberté et de vérité ne restent pas lettre morte, c'est le gouvernement démocratique.

J'entends une démocratie qui ne s'atrophie pas en perpétuant l'erreur des régimes précédents, mais qui s'avance indéfiniment vers l'équité la plus complète possible.

 

... La langue de Paul Branda est le miroir de l'homme.

Il écrit exactement comme il parle, avec une sincérité rare.

Chez lui, nul sacrifice à la phrase, point de périodes savamment cadencées, volontairement harmonieuses.

Nulle part de mots à retentissement, tout en vue du vrai seul, au risque de ne pas flatter l’oreille et d'atteindre à une forme morcelée.

Or, l'amiral ne pouvait, ne devait pas écrire autrement...

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Aussi je me suis épris de l'amiral Réveillère, après l'avoir lu, comme on s'éprend d'un ami dans ce voyage de la vie,

à mesure qu'il nous révèle, chemin faisant, les qualités de son esprit et de son cœur, nous confiant ses désirs,

nous exprimant ses craintes, nous exposant ses vues, ses idées, nous témoignant ses tendances, tout bonnement, sans fard, en laissant parler sa nature loyale et couler la source de son expérience personnelle et de son bon sens.

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J'ai goûté la franchise de l'amiral, assez semblable parfois à celle d'Alceste, j'ai aimé sa hardiesse énergique,

sa passion pour le vrai, pour le bien, ses élans vers la justice et la liberté, son empressement à fouler aux pieds maints préjugés ridicules, sa philanthropie, sa confiance dans le progrès et ses aspirations vers le mieux possible pour tout ce qui est du domaine de l’homme.

Et cette figure que j’aime, cette physionomie de l’Amiral Réveillère est, je le répète, par-dessus tout bien originale.

 

Il n'est pas jusqu'à son pessimisme intermittent, manifesté par des boutades brusques et par des accès de mauvaise humeur, qui ne m'ait conquis à la longue, justement à cause de son originalité.

 

Mais je renonce à convenir avec Paul Branda que notre société contemporaine est si déchue et voisine de sa perte ;

je me persuade au contraire qu'il n'y aura pour elle rien de désespéré tant qu'elle pourra compter sur des hommes déterminés, droits, indépendants, sincères et bons comme l'est notre marin à la rude écorce.

Non, le présent n'est pas si mauvais, et la Bretagne n'est pas devenue tellement inféconde qu'elle ne puisse plus donner à la France, longtemps encore dans l'avenir, des serviteurs d'élite, de la trempe de l'amiral Réveillère,

doués comme lui d'une volonté résistante et tenace, comparable à la roche granitique des dolmens sévères

et des altiers menhirs.

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