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Fenêtres sur le passé

1891

​

Trégunc

​

Le Terrec, voleur incendiaire et assassin de 5 personnes

L'affaire Le Terrec _01.jpg

Source : La Dépêche de Brest 5 août 1891

 

Voici certainement l'affaire la plus délicate de la session, en même temps que la plus grave.

 

Il s'agit, en effet, d'un incendie allumé par une main criminelle, ou, pour mieux dire,

malgré une certaine distinction dans la qualification légale d'un quadruple assassinat ;

et, en second lieu, d'une série de vols commis avec une rare audace.

 

Les circonstances épouvantables dans lesquelles une famille de mendiants infirmes a trouvé la mort,

le rôle pourtant assez démontrée de l'accusé dans ce drame affreux, sa mauvaise réputation,

les détails particulièrement tragiques de son arrestation, à laquelle se rattache la mort du vieux garde Péron,

donnent à cette cause passionnelle un véritable intérêt.

​

L'événement est récent.

Il date du 22 décembre dernier.

 

L'émotion causée dans le pays par la nouvelle de ce crime n'est pas encore calmée, aussi l'affluence est-elle grande dans la cour d'assises.

 

Un vif mouvement de curiosité se produit dans la salle lorsque

Le Terrec est introduit par les gendarmes.

 

La foule, d'ailleurs, lui a fait escorte jusqu'au palais.

 

L'accusé n'a pas bonne figure.

C'est un homme de 30 ans, au teint haie,

vêtu à la mode des paysans de Trégunc, portant la moustache.

 

Impassible, parfois l'air presque moqueur,

il regarde avec curiosité la foule massée dans le fond de la salle.

 

On aperçoit près du bureau de la cour une quantité de pièces

à conviction parmi lesquelles des massettes, des serrures provenant d'une armoire et de la porte de la maison brûlée, etc.

 

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M. Fretaud occupe le siège du ministère public.

Me de Chamaillard assiste Le Terrec.

En raison de la longueur présumée des débats, un 13e juré est adjoint au jury du jugement

​

L'acte d'accusation Le Terrec Trégunc.jp

 

Après les formalités d'usage, il est donné lecture de l'acte d'accusation, dont voici la teneur :

 

Le 22 décembre 1890, vers sept heures du soir les habitants de la ferme de Lanvintin, en la commune de Trégunc, aperçurent, dans la direction du lieu de Kervagor, une lueur d'incendie.

 

L'alarme fut donnée et, pendant que des personnes allaient prévenir le maire,

les gens du village se transportaient en toute hâte sur les lieux.

 

Un horrible spectacle les y attendait.

 

Une petite maison isolée, occupée par une famille de mendiants infirmes, avait été entièrement dévorée

par les flammes et, sous les décombres embrasés, on découvrit quatre cadavres complètement carbonisés,

mutilés et informes.

 

C'étaient ceux de :

1° Marie-Geneviève Bourhis, veuve Le Quernec, âgée de 74 ans, alitée depuis huit jours ;

2° Marie-Geneviève Le Quernec, âgée de 44 ans, sa fille, paralysée des jambes ;

3° Le Gallic (Jean-Marie), âgé de 15 ans ;

4° Le Gallic (Pierre), âgé de 12 ans.

— Tous deux, fils de cette dernière et paralysés l'un et l'autre de tous les membres.

​

De la famille, il ne survivait que le fils aîné de la veuve Le Gallic,

René Le Gallic, âgé de 21 ans, lui aussi paralysé.

​

Il avait passé la journée à la foire de Concarneau pour implorer

la charité publique et devait venir coucher dans la ferme

du sieur Richard, à Lanvintin.

 

Personne ne connaissait d'ennemis à cette famille

et n'avait vu rôder d'étrangers aux abords de la maison.

 

On crut donc tout d’abord à un affreux malheur, mais bientôt,

grâce à certains indices et, à l'aide de certaines constatation,

on acquit la conviction absolue qu'un monstrueux attentat

avait été commis; que le vol avait été le but poursuivi

et qu'une main criminelle avait eu recours à l'incendie

pour dépouiller ces pauvres gens et supprimer les preuves du crime.

 

En effet, en continuant les fouilles, on découvrit trois lingots paraissant été et étant effectivement d'argent,

d'après l'analyse à laquelle il a été procédé par un chimiste expert.

 

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Or, René Le Gallic donna, dans les termes suivants, le détail le plus précis du petit avoir de la maison.

 

Dans son armoire, à l'étagère, supérieure, se trouvaient deux porte-monnaie :

l'un noir, avec garniture en cuivre, ne contenant rien ;

l'autre, beaucoup plus petit, en velours vert bleu, contenant 260 francs en pièces de 20 et de 10 francs en or ;

puis, près de ces deux porte-monnaie, une petite boîte en fer blanc, contenant 105 francs en pièces de 5 francs

en argent, et enfin, parmi les clous, 60 centimes en billon.

 

D'autre part, il y avait, dans l'armoire de sa mère, près de laquelle ont été ramassés trois lingots d'argent,

une somme de 40 francs en pièces de5 francs, placés sur l'étagère inférieure, au-dessus du tiroir.

 

Les soupçons ne tardèrent pas à se porter sur Yves Le Terrec, âgé de 29 ans, marin-pêcheur,

congédié, au commencement de novembre 1890, de la ferme du sieur Richard, de Lanvintin,

et qui, depuis cette époque, menait une vie de vagabondage.

​

Bien qu'il fût, ce soir-là, tout près de Kervagor,

on remarqua son arrivée tardive sur les lieux.

​

Des témoins furent, en outre, mal impressionnés de son attitude étrange et de l'empressement exagéré avec lequel il s'offrait pour aller avertir la gendarmerie.

 

Il fut, en outre, bientôt appris que, dès le lendemain,

il faisait des dépenses que rien ne paraissait justifier ;

qu'il se commandait des vêtements et que,

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dans la nuit de Noël notamment, il se livrait à de nombreuses libations et à une véritable orgie,

fréquentant tous les cabarets de Trégunc, offrant à boire à tous, faisant sonner de l'argent dans ses poches

et étalant des pièces de 20 et de 10 francs.

 

Bien plus, à Trégunc, à Lanriec et à Concarneau, il était nanti de deux porte-monnaie, dont l'un,

en velours de couleur, répondait exactement au signalement donné par René Le Gallic

de celui qui contenait de l'argent renfermé dans son armoire.

 

Malgré les dénégations de Le Terrec, qui prétend n'avoir jamais eu en sa possession d'autre porte-monnaie

que celui qui fut saisi sur lui lors de son arrestation, il ne peut y avoir de doute à cet égard,

tellement sont multiples, précises et concluantes les déclarations des témoins dont plusieurs ont, non seulement vu, mais même en entre les mains le porte-monnaie d'étoffe dont s'agit, entre autres la femme Le Bris, de Pont-Minaouêt, en Lanriec, qui a, pendant toute une nuit et une journée, conservé en dépôt l'argent dont il était porteur.

​

Si Le Terrec a nié l'existence du porte-monnaie en tous points semblable à celui de René Le Gallic, disparu avec son contenu

et dont il a pris soin de se défaire comme d'un objet

des plus compromettants, il a été forcé de reconnaître que,

dans les jours qui ont suivi le 22 décembre,

il a eu en sa possession une somme d'argent relativement considérable, de l'importance et de la consistance

de celle soustraite à la famille Le Gallic.

 

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Mais il a varié à l'infini ses systèmes pour en justifier la provenance, soutenant tour à tour qu'il la tenait

du bureau d'inscription maritime, puis d'un débiteur qui l'avait remboursé au bout de trois ou quatre ans,

enfin mais seulement jusqu'à concurrence de 180 francs, d’une fille Françoise Le Bris, décédée le 19 novembre 1890, qui aurait commis un vol de 330 francs au préjudice de son maître.

 

L'information a fait justice de ces diverses prétentions ;

elle a, par ailleurs, révélé qu'à la date du 23 décembre 1890, avant l'incendie de Kervagor, Le Terrec, ivrogne, débauché, incapable de conserver la moindre somme par devers lui, était dans le dénuement le plus complet

et que ce jour même, avant, de se rendre à Concarneau, il se faisait remettre 60 centimes par sa mère

et mendiait à M. Blois-Mélaine une somme de un franc.

 

Une circonstance grave a été apprise par le sieur Toquet, qui revint en même temps que Le Terrec

de la foire de Concarneau.

 

En effet, vers trois heures et demie de l'après-midi, un peu avant d'arriver au lieu de Croissant Bouillet,

où se trouvait une auberge, Le Terrec dit à son compagnon :

« Va toujours devant et fais servir deux verres de cognac, je n'ai plus d'argent,

mais je vais aller en chercher chez mon père, à Roz-en-Dall ; je reviendrai ensuite te rejoindre. »

​

À toutes les considérations qui précèdent et qui sont essentiellement

démonstratives de la culpabilité, il convient d'ajouter les propos tenus par Le Terrec,

à chaque instant et sans provocation, an sujet de l'incendie de Kervagor ;

le soin qu'il a eu, dans un premier récit, d'affecter d’en ignorer même le théâtre,

bien que son père en fut très proche voisin ;

ses inquiétudes le jour, et son agitation la nuit ;

son départ pour Lorient qui s'effectue le 27 décembre, sans but sérieux ;

son retour inopiné dans les environs du lieu du crime ;

l'empressement avec lequel il se préoccupe de l'opinion publique à son égard ;

et enfin cette existence vraiment nomade et sauvage qu'il s'est imposée jusqu'au jour de son arrestation.

 

Pendant plus d'un mois, en effet, Le Terrec, traqué par la gendarmerie, a déjoué ses recherches les plus actives,

se dissimulant de manière à rester pour elle presque constamment invisible, s'abritant avec une rare habileté

sous les toits des habitants de la campagne et à leur insu, les dévalisant avec une audace plus rare encore.

​

C'est ainsi que, dans la nuit du 7 au 8 janvier 1891, il s'introduit à l'aide d'escalade, en franchissant une fenêtre,

dans la chambre occupée par les époux Collin (Jacques), pénètre ensuite dans la cuisine également occupée

par la femme Richard et emporte un pain de cinq kilos ;

que, dans la même nuit, il entre dans un petit bâtiment autrefois habité par le domestique Glémarec, qui,

par crainte de Le Terrec, est allé chercher asile sous le toit commun,

et y dérobe un certain nombre d'effets d'habillement lui appartenant.

​

Puis, au lieu de suivre la route qui y menait,

il prit la direction de Roz-Derval et ne parut plus à l'auberge,

où il fut attendu près d'une demi-heure.

 

Il est bien permis de supposer que c'est à ce moment

qu'a été définitivement arrêté le plan qui devait recevoir,

peu après, sa sinistre exécution.

 

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C'est ainsi encore que, dans la nuit du 14 du même mois,

en franchissant la fenêtre d'un grenier, il s'installe en maître,

pour y rester plusieurs jours, dans la maison momentanément inoccupée du sieur Richard, qu'il fracture les meubles,

consomme de nombreuses bouteilles de vin, renouvelle ses effets d'habillement et saisit un couteau et un coup de poing américain dont il sera trouvé porteur lors de son arrestation.

 

De la maison de Richard il pénètre dans celle de son voisin Gourmelon en franchissant une lucarne et dérobe au préjudice

de celui-ci un pain, le 14 janvier, et des crêpes le 19 du même mois.

 

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Dans la nuit du 20 au 21 janvier 1891, en la commune de Nizon,

il s'introduit dans la cuisine des époux Jean-Marie Collin en escaladant la fenêtre dont il a brisé un carreau,

et y dérobe des comestibles et liquides de diverse nature.

 

Enfin dans la commune de Beuzec-Conq et dans la nuit du 23 au 24 janvier, il dérobe divers aliments

et des effets d'habillement aux époux Corentin Morvan, également des effets d'habillement au sieur Guillerme

et une paire de brodequins au sieur Le Roux.

 

Ce ne fut qu'à la date du 27 janvier, qu'il fut mis un terme à cette existence criminelle,

qui jetait l'effroi parmi les populations rurales, et que Le Terrec, poursuivi par une troupe de cultivateurs énergiques, fut arrêté par eux un couteau à la main et la menace à la bouche dans des circonstances particulièrement tragiques, où le malheureux garde particulier Péron a trouvé la mort.

 

Dès son jeune âge Le Terrec a manifesté les plus déplorables instincts en se livrant au vol.

 

Devenu homme, il se fit redouter par sa violence. Il a été deux fois condamné.

​

L'interrogatoire Le Terrec Trégunc.jpg

 

D. — Vous êtes né à Melgven le 12 février 1862 ? Vous êtes célibataire ?

R. — Oui.

 

M. le président fait connaître le passé de Terrec qui, à l'âge de sept ans, commettait un vol avec effraction

et manifestait déjà les plus mauvais instincts.

Il a été pendant trois ans domestique chez un sieur Herlédan et, en 1878,

alors qu'il n'était plus au service de ce dernier, il se serait introduit chez son ancien maître

et y aurait soustrait 365 francs après avoir fracturé deux armoires.

— Vous le reconnaissez, n'est-ce pas ?

R. — Oui, mais j'ai été puni pour cela.

M. le président. — Nous le savons, mais, afin de vous connaître,

il faut que nous fassions un retour sur votre passé.

Votre attitude, d'ailleurs, a été singulière dans l'information et vous avez été, malgré vos dénégations, condamné à un an de prison.

Ceci montre déjà que vous avez une propension marquée pour le vol.

D. — Qu'avez-vous fait de cet argent-là ?

R. — Il n'y avait que 100 fr.

D. — Peu importe, nous ne sommes pas pour refaire l'instruction.

Où avez-vous caché cet argent ?

R. — J'ai fait la noce avec.

 

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M. le président. — Quand vous volez, c'est, comme vous le dites, pour faire la noce,

et on dit que lorsque vous êtes pris de boisson vous êtes dangereux.

Pour en revenir à ce vol, vous avez toujours nié ; c'est votre système général.

Vous avez été au service de la marine, et pendant ce temps, vous avez été souvent puni de peines disciplinaires.

Maintenant, nous ne pouvons passer sur un fait grave, qui, en 1889, a émotionné le pays.

On assassinait une vieille femme dans une maison isolée.

Or, connaissant ce que vous êtes, on se demande si vous n'auriez pas été capable de commettre ce crime

dont on n'a pu découvrir l'auteur.

Dès que vous avez de l'argent, c'est pour aller le dépenser dans les cabarets ?

​

R. — Je faisais comme les autres.

 

M. le président. — Après ces préliminaires, arrivons maintenant au fait qui a nécessité l'information suivie contre vous.

 

Ici, M. le président fait le récit de ce crime épouvantable dont l'acte d'accusation donne les détails.

 

D. — Eh bien, est-ce vous qui avez mis le feu?

R. — Ce n'est pas moi.

D. — Quand l'incendie a éclaté vous l'ignoriez, avez-vous dit ?

R. — Oui.

D. — Vous ne vous êtes pas empressé d'accourir ;

vous aviez peut-être intérêt à ne pas vous approcher trop près de ces cadavres.

R. — J'ai même jeté de l'eau.

D. — Vous êtes allé, c'est vrai, avec Richard prévenir la gendarmerie,

mais vous n'êtes pas retourné sur le lieu du sinistre.

​

Le Terrec garde le silence.

 

D. — Vous saviez qu'il y avait de l'argent dans la maison

de Kervagor ?

R. — Non.

M. le président. — Cela m'étonne bien.

 

M. le président fait connaître en détail les sommes d'argent renfermées dans les armoires avant l'incendie et parle

des deux porte-monnaie, une des principales bases

de l'accusation.

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— Or, fait remarquer M. le président, on a retrouvé le porte-monnaie qui ne contenait rien,

ou plutôt sa couverture en cuivre ;

mais on n'a pas retrouvé le peut porte-monnaie en velours bleu-vert qui renfermait l'argent.

— Donc, si on ne l'avait pas volé, on l'aurait découvert, lui ou sa garniture, comme l’autre.

— Qu'est-il devenu, ce porte-monnaie, dites ?

​

R. — Je ne sais pas.

D. — L’accusation pense que ce porte-monnaie a été volé vers six heures du soir, le 22 décembre,

et non trouvé après l'incendie.

Votre mère en sait bien long sur cette affaire ; ce qu'elle a dit n'est pas vraisemblable.

Le matin, lorsqu'on fouillait les décombres, elle a eu un doute et s'est dit :

« Il pourrait bien se faire que ce soit mon fils qui ai trouvé l’argent ! »

Le vol se lie étroitement à l'incendie, qui n'est qu'une conséquence du vol.

L’accusation vous dira que vous avez incendié la maison ou vous avez dérobé l'argent,

afin de faire disparaître les preuves du crime.

Qu’avez-vous à répondre à cela ?

 

R.— Je ne sais rien de tout cela.

 

Le président revient à la question du porte-monnaie vu en sa possession à Trégunc, la nuit de Noël.

 

L'accusé nie.

 

Le président. —  Alors, les témoins avaient un voile sur les yeux.

Vos dénégations sont graves.

Vous êtes amené à nier l’évidence.

Aussitôt après l’incendie, vous avez fait des orgies, parcouru tous les cabarets de Trégunc.

L'ivresse, voyez-vous, est une folie dangereuse.

Si vous n'aviez pas bu, sans doute vous n'auriez pas montré le porte-monnaie.

Cet objet vous accuse très formellement.

 

Le présidant suit l'accusé dans ses pérégrinations, après l'incendie, chez Le Bris, son ami, ivrogne comme lui,

chez la veuve Bihan, aubergiste, où il tient le propos suivant :

« J'ai 350 francs dans ma poche, un débiteur m'a remboursé et je fais la noce avec. »

​

Reconnaissez-vous avoir dit cela ?

— Je n'ai jamais tenu ce propos.

— Reconnaissez-vous avoir confié l'argent à la femme Le Bris, ainsi que le porte-monnaie ?

— Je ne reconnais pas cela.

Le président. — Je comprends, cela vous embarrasse.

Vous étiez sans le sou la veille de l'incendie.

Cela a été parfaitement établi.

Terrec. — Cependant j'avais 180 francs sur moi.

 

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— Alors vous dissimuliez votre fortune, vous faisiez l'homme qui n'a pas le sou.

Le 22 décembre, votre mère vous donne douze sous pour aller à la foire de Concarneau.

Vous empruntez vingt sous à Roz Donal et, à l'auberge du Croissant-Bouillé,

Toquet vous prête deux sous pour payer votre tournée.

Est-ce vrai ?

​

— Oui, mais j'avais de l'argent sur moi.

​

Le président. — Votre système est étrange.

Vous avez déclaré avoir reçu 180 francs, que vous avez gardés intacts depuis le 18 novembre jusqu'au jour du crime, et vous dites quelques jours avant l'incendie à un témoin :

« Je crèverai donc de faim, puisqu'on ne me donne pas à travailler et que mon père ne veut pas me nourrir ! »

 

— Comment croire, demande le président à Le Terrec, qu'un homme signalé comme ne pouvant garder un sou ait gardé si longtemps 180 fr. sans y toucher, et comment se fait-il que, tout à coup, le 23 décembre,

cet argent que vous gardiez si religieusement fonde entre vos mains ?

 

Terrec ne peut fournir aucune explication.

 

— Vous avez prétendu avoir reçu cette somme de 180 fr. de la fille Le Bris. Comment était-elle composée ?

— De pièces de vingt francs et de dix francs.

— Il n'est pas vraisemblable que cette fille vous ait donné tout cet argent,

car elle est morte dans le plus grand dénuement.

Tout indique que cette allégation est fausse.

 

Terrec ne dit mot.

 

D. — Donc vous prétendez être innocent?

R. — Oui.

D. — Alors, pourquoi vous êtes-vous laissé traquer par la gendarmerie comme une bête fauve ?

R. — J'avais peur qu'on ne m'accuse.

 

Le président interroge sommairement l'accusé sur les vols qu'il avoue et énonce les circonstances de l'arrestation.

 

Pendant l'interrogatoire, conduit avec beaucoup de tact et une grande autorité par le président Saulnier, pas de bruit dans la salle.

Le publie écoute attentivement.

Terrec se montre le même, impassible et bref dans ses réponses.

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Les témoins Le Terrec Trégunc.jpg

À deux heures, commence l'audition des témoins.

Voici les dépositions les plus intéressantes :

 

René Gallic, âgé de 21 ans, mendiant à Trégunc, est le seul survivant de cette famille d'infirmes

qui a péri dans les flammes.

Lui-même, paralysé des jambes, se traîne avec difficulté, appuyé sur un bâton.

 

Il fait connaître qu'il possédait avec sa grand'mère, sa mère et ses deux frères, infirmes comme lui, une maison,

sise au village de Kervagor et qui provenait de l'héritage de son père.

Il y avait trois lits dans cette maison.

 

La grand'mère était malade et alitée depuis huit jours, quand a éclaté l'incendie.

Sa mère était paralysée d'une jambe, ses deux frères étaient paralysés de tous les membres

et ne pouvaient se traîner que sur les pieds et sur les mains.

​

Le 21 décembre 1890, il avait quitté ses parents pour aller coucher chez son voisin Richard, à Lanvintin et,

le lendemain, il comptait y coucher encore, lorsqu'on l'informa, le 22 au soir, que le feu était chez lui ;

puis quelques instants après, on lui dit qu'on venait de trouver sa mère, sa grand'mère

et ses deux frères entièrement carbonisés sous les décombres.

 

Sur interpellation de M. le président :

— Je ne sais à quelle cause attribuer ce sinistre.

Le témoin ajoute : J'avais dans mon armoire deux porte-monnaie, l'un noir avec fermoir en cuivre,

et l'autre en étoffe verte, à deux compartiments et avec garniture également en cuivre.

Dans ce porte-monnaie, qui était petit et qui avait été trouvé par ma grand'mère, il y avait une somme de 365 fr. 60, dont 260 fr en pièces de 20 fr. et de 10 fr. et 105 fr. en pièces de 5 fr. en argent, plus 60 cent, de billon.

Dans l'armoire de ma mère, il y avait 40 fr. en pièces de 5 fr. en argent.

 

Sur interpellation de M. le président :

— Je ne sais pas si Terrec a mis le feu chez moi, après avoir pris mon argent, mais on m'a dit que depuis l'incendie,

on lui avait vu beaucoup d'argent entre les mains.

 

Sur nouvelle interpellation :

— Terrec, que j'avais vu deux fois dans la journée du 22 décembre à Concarneau, et auquel j'avais parlé,

savait bien que, lorsque j'allais mendier là, je restais presque toujours coucher chez Richard.

Terrec a quitté, ce jour-là, Concarneau, un quart d'heure avant moi, en compagnie d’un nommé Toquet.

 

Sur interpellation du procureur :

— Je crois que, dans des conditions ordinaires, ma mère et ma grand'mère auraient pu se sauver.

 

Terrec. — Si j'avais eu l'idée de voler, je ne serais pas allé chez des malheureux comme ceux là.

 

Me de Chamaillard.

— Ce jour-là, le témoin avait-il la clé de son armoire ?

Gallic. — Oui.

 

Le témoin Richard (Yves), de Lanvintin, était un des premiers sur le lieu du sinistre.

Il fait la même déposition que son domestique Glémarec.

Il ajoute toutefois qu'on a trouvé dans les décombres trois petits lingots d'argent pesant le poids

d'une pièce de cinq francs, mais qu'on n'a point trouvé de lingot d'or.

​

C'est chez ce témoin que se trouvait le mendiant René Gallic

lorsque l'incendie a éclaté ;

il était allé mendier dans la journée à Concarneau, où c'était jour

de foire, et en revenant il était resté souper à la ferme de Lanvintin.

C'est grâce à cette circonstance que le pauvre infirme

a échappé à la mort.

 

Sur interpellation de M. le président :

— Tout le monde savait qu'avant l'incendie de Kervagor,

Terrec n'avait pas d'argent ;

cependant on l'a vu en dépenser beaucoup la nuit de Noël,

dans les cabarets de Trégunc.

 

Sur nouvelle interpellation.-

— Terrec a été onze mois à mon service et jamais je ne lui ai vu

de porte-monnaie.

Il était toujours à court d'argent.

Dans le pays on a de suite accusé Terrec d'avoir mis le feu à Kervagor.

 

Terrec. — Ce n'est pas moi qui ai allumé l'incendie.

 

Le sieur Piriou (Louis), de Kerstrad, en Trégunc est un des témoins

qui ont concouru à l'arrestation de Le Terrec.

 

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Le 27 janvier 1891, vers huit heures du matin, dit ce témoin, étant dans un champ, j'entendis crier :

« Arrêtez le voleur ! Arrêtez le loup ! Arrêtez Terrec ! »

 

Je me suis dirigé du côté d'où venaient les cris et j'ai aperçu Terrec poursuivi par Collin et d'autres personnes.

J'ai sauté par-dessus un talus et, courant au-devant de Terrec, j'ai pris dans ma poche un revolver chargé

que j'avais toujours sur moi depuis qu'on recherchait cet individu, et, arrivé près de lui, je lui ai dit :

«Arrête-toi, Yves, ou je tire sur toi. »

 

Il m'a répondu :

« Tirez hardiment, si vous voulez, mais vous ne me tuerez pas. »

 

En même temps il me menaçait d'un couteau ouvert ;

je le poursuivais, le menaçant toujours de mon revolver, lorsque sur un chemin vicinal, apercevant le sieur Péron, garde particulier de M. Deyrolles, qui était appuyé sur une barrière, je lui criai:

« Arrêtez Terrec, si vous voulez, mais faites attention, il a un couteau à la main ! »

 

Terrec a voulu monter sur le fossé, Péron l'a saisi par sa blouse, mais Terrec s'est échappé

et tout à coup Péron est resté immobile contre le fossé.

Au moment où je lui parlais, il est tombé mort.

 

Terrec a ensuite été arrêté par le sieur Kernaléguen, dans la sapinière de Frez-Coz.

Il avait sur lui un coup de poing américain et un couteau, un porte-monnaie et une chaîne de montre qu'on a saisis.

​

En route, comme on le conduisait à la gendarmerie,

il a dit que si les gendarmes avaient été à notre place,

ils ne l'auraient pas arrêté à si bon compte,

et qu'il aurait eu la peau d'un gendarme.

Il a ajouté qu'il se souviendrait de ceux qui l'avaient arrêté.

 

Terrec, interpellé sur l'exactitude de cette déposition, dit :

Je n'ai pas déclaré que je voulais la « peau d'un gendarme »,

j'ai dit seulement que si j'avais été poursuivi par eux,

ils ne m'auraient pas eu facilement.

 

Le témoin s'est trouvé également sur le théâtre de l'incendie.

 

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De plus, il a appris que Terrec avait un jour menacé le sieur Garrec de son couteau.

Ce dernier fait est dénié par l'accusé, dont le système de défense d'ailleurs ne se dément pas.

 

Le témoin suivant, Jacques Collin, de Lanvintin, en Trégunc, a eu Terrec à son service comme domestique

pendant onze mois.

 

Voici d'ailleurs ce qu'il déclare sur ce point.

Son témoignage, on va le voir, a une certaine importance.

 

— Terrec a quitté ma ferme le 10 novembre 1890 ; c'est moi qui l'ai réglé.

Je ne lui devais que 20 fr., mais de peur d'avoir des difficultés avec lui, je lui en ai donné 30,

c'est-à-dire une pièce de 20 fr. et deux pièces de 5 fr.

Terrec est parti de lui-même.

Je le payais à raison de 15 fr. par mois, mais il était toujours à court d'argent et me demandait souvent des acomptes.

Je n'ai jamais vu aucun porte-monnaie en sa possession.

J'ai été très étonné d'apprendre qu'il avait dépensé beaucoup d'argent dans la nuit de Noël,

aussi j'ai pensé de suite qu'il avait dû le voler à Kervagor.

Terrec connaissait bien René Le Gallic et lui parlait souvent.

​

Sur interpellation de M. le président :

— Avant l'incendie j'ai entendu dire que Marie-Françoise Le Bris,

de Pont-Minaouët, en Lanriec, était morte le jour même

où elle devait se fiancer à Terrec, mais je ne sais pas au juste

les relations qui ont pu exister entre lui et cette fille.

 

Le témoin parle ensuite des allées et venues de l'accusé

dans les campagnes, quand on le recherchait.

​

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C'est lui qui, le 27 janvier, l'apercevant qui se sauvait de sa cour, l'a poursuivi en appelant ses voisins

et c'est ainsi que Terrec a pu être arrêté par le sieur Kernaléguen, à qui le témoin avait passé un bâton.

 

Le sieur Collin ajoute que le 9 novembre dernier, la veille du départ de Terrec de Lanvintin,

ce dernier a voulu le frapper, mais que les gens de la ferme l'en ont empêché.

Terrec a dit alors à Collin :

« Vous n'avez plus que deux ans à vivre ! »

 

Bien entendu, Terrec nie absolument avoir tenu ce propos.

 

Le témoin termine en disant qu'on a d'autant plus soupçonné Terrec de l’incendie de Kervagor,

qu’il a une mauvaise réputation dans le pays, où il est très redouté.

Il cherchait querelle à tout le monde, surtout quand il avait bu.

 

Terrec, qui n'est pas flatté du tableau sous lequel on le présente, proteste vivement.

 

M. Schang, notaire à Trégunc, qui, lors de l'incendie, remplissait les fonctions de maire,

fournit quelques détails sur ce sinistre qu'on attribuait tout d'abord à un accident,

car personne n'avait vu le commencement de l'incendie,

le village de Kervagor étant assez éloigné des autres habitations.

Celui qui est le plus rapproché est Lanvintin.

Plus tard, dans le pays, toute la population accusait Terrec d'avoir mis le feu chez les Gallic.

 

M. le président prie le témoin de donner des renseignements sur Terrec.

— Le père de l'accusé, dit M. Schang, a une assez bonne réputation.

Je ne puis en dire autant de la mère et des frères de Terrec.

Tout le monde est persuadé que la femme Terrec a fourni des vivres à son fils

et a aidé à le soustraire aux recherches de la gendarmerie.

​

M. Richard, directeur du laboratoire départemental de Lézardeau,

a été chargé d'analyser les lingots trouvés dans les décombres.

 

Ces lingots, dit l'expert, se rapportent exactement

à des pièces divisionnaires de cinq francs en argent,

et il est convaincu que s'il y avait eu de l'or dans la maison incendiée, l'alliage aurait été trouvé.

 

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Le président félicite le maréchal des logis Thomas pour le zèle que la gendarmerie a déployé

dans ses recherches pour découvrir Terrec.

D'ailleurs, la brigade de Concarneau a été mise à l'ordre du jour de la légion.

 

Une femme Richard dit que Terrec a menacé son gendre en lui disant qu'il n'avait pas deux ans à vivre.

​

Terrec. — J'ai dit cela parce que je voyais qu'il était f…….

 

À six heures et demie, 21 témoins sur 85 ont été entendus.

L'audience est levée, et renvoyée à demain, onze heures.

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​

Source : La Dépêche de Brest 6 août

 

L'audience est ouverte à onze heures.

Terrec, sur le banc des assises, montre toujours le même calme,

mais il a perdu la gaieté qu'il affectait au cours de l'instruction.

 

M. le président fait passer à MM. les jurés deux photographies de la maison incendiée faites par un amateur.

​

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On continue l'audition des témoins devant un public toujours nombreux.

 

Marie-Anne Burel, veuve Le Guillou, du Moulin de Kerguennel, en Lanriec, parle également des dépenses

faites par Terrec chez une veuve Nivez, du bourg de Trégunc, pendant la nuit de Noël.

On aurait mangé là du ragoût de chat et c'est Terrec qui aurait payé toutes les consommations.

De plus, dans le débit Lavaux on aurait vu, cette nuit-là, dans les mains de Terrec,

deux porte-monnaie dont l'un contenait une centaine de francs en or.

 

Invitée à donner quelques renseignements sur la conduite de l'accusé,

la veuve Guillou déclare qu'elle connaît Terrec depuis son enfance et qu'il a toujours été très méchant.

Il cherchait toujours chicane à ses camarades, il était batailleur, et quand il avait bu, il ne pouvait pas se maîtriser.

 

Sur interpellation de M. le président :

— Je connais le père et la mère de Terrec.

Sa mère est drôle, je la crois un peu folle, elle doit avoir le caractère de son fils.

 

Terrec prétend n'avoir pas mangé de ragoût chez Nivez, il a bu seulement, dit-il,

quelques consommations et mangé des gâteaux.

Il n'avait qu'un seul porte-monnaie renfermant l'argent que lui avait remis la fille Le Bris, 180 fr.

 

Le témoin. — On m'a dit que Terrec avait deux porte-monnaie.

J'ai bien entendu cela.

M. Lavaux, buraliste à Trégunc, rapporte un propos très important tenu dans son débit par Terrec, la nuit de Noël, alors que celui-ci payait à boire à tout le monde.

Terrec aurait, demandé à M. Lavaux :

« Savez-vous qui a mis le feu à Kervagor ? »

 

M. Fretaud. — Vous êtes bien certain que Le Terrec vous a demandé « qui a mis le feu »

et non « comment le feu a-t-il pris ? » ce qui, par conséquent, dans la pensée de Le Terrec, laissait supposer un crime ?

Le témoin — Oui.

M. Fretaud. — Je prie MM. les jurés de bien retenir ce détail, car nous avons affaire à forte partie.

 

Mme Lavaux dépose ensuite.

Mme Lavaux, qui tient un débit de tabacs et de boissons à Trégunc,

rapporte que Terrec est venu chez elle dans la nuit de Noël.

Il a fait la monnaie de 5 fr., puis, vers quatre heures, il est rentré de nouveau chez le témoin,

qui, le voyant ivre, lui demanda s'il avait de quoi payer la consommation qu'on lui avait servie.

​

Terrec répondit alors : « Vous croyez que je n'ai pas d'argent ? »

et il a tiré en même temps de sa poche un porte-monnaie

d'où il a extrait, cinq pièces de 20 fr. qu'il a jetées sur le comptoir.

Il a également sorti de sa poche une poignée de billon

et deux pièces de 5 fr. et d'un franc.

 

Sur interpellation de M. le président :

— Son porte-monnaie était en velours bleu ou vert.

Comme j'étais assez éloignée de la lumière,

je n'ai pas bien remarqué s'il était de couleur bleue ou verte,

mais il était assurément de l'une de ces deux nuances.

 

Terrec — L'argent que le témoin a vu en ma possession

était dans le porte-monnaie que l’on a trouvé sur moi

lors de mon arrestation et ce porte-monnaie n'était ni bleu ni vert.

 

(Le porte-monnaie dont parle l'accusé est représenté au témoin,

qui déclare ne pas le reconnaître).

 

Le porte-monnaie dont parle le témoin n'a pu être retrouvé.

 

Plusieurs témoins viennent à leur tour déclarer qu'ils sont allés

la nuit de Noël dans divers débits de Trégunc,
en compagnie de Le Terrec, qui « régalait » tout le monde.

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Ils affirment, de plus, avoir vu, cette nuit-là, entre les mains de Le Terrec, au moins deux porte-monnaie,

dont un de couleur.

 

Le Terrec nie énergiquement ce dernier point, qui le déconcerte absolument ;

ce porte-monnaie joue, en effet, un rôle très important dans le débat.

 

Le témoin Bourhis (Yves), de Trégunc, dit que dans le débit Burel,

on buvait à gogo aux frais de Le Terrec, qui payait toujours.

 

L'accusé est confondu par tous les témoins sur la question du porte-monnaie de couleur en sa possession.

 

Trois échantillons de velours en bleu, bleu foncé et vert sont présentés à quelques témoins.

 

Huit affirment que le porte-monnaie question était bleu foncé.

 

La femme Burel, aubergiste à Trégunc, dit que le porte-monnaie vu dans les mains de Terrec

se fermait en abaissant une plaque.

 

Gallic déclare que le sien se fermait en tournant deux boutons.

 

La veuve Sellin, dans le débit Pelletier, a entendu Le Terrec s'écrier sans provocation :

« Si on a mis le feu sur ceux-là, on ne le mettra pas sur moi »

 

Le Terrec nie ce propos.

​

Il semble résulter de l’ensemble de plusieurs témoignages

que la fille Le Bris est morte sans le sou et que Calvez

n’a pas pu être victime d’un vol, car il n’avait pas d’argent

à l’époque où il prétend avoir été volé.

 

La veuve Le Guillou est couturière.

Le 24 décembre 1890, se trouvant en journée chez les époux

Le Bris, où se trouvait Terrec, celui-ci a demandé en sa présence,

à la femme Le Bris, une partie de son argent

pour aller à Concarneau.

 

C'est alors qu'elle a vu cette dernière retirer de son armoire

un petit porte-monnaie dans lequel le témoin a vu quatre pièces

de vingt francs et quatre pièces de 10 fr.

 

Sur interpellation de M. le président :

— La femme Le Bris m'a dit que, la veille au soir Terrec

lui avait donné à garder ce porte-monnaie,

ainsi que l'argent qu'elle venait de lui remettre.

Je ne puis vous dire de quelle couleur était ce porte-monnaie, ne l'ayant pas bien remarqué, je sais seulement qu'il était tout petit.

 

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Le témoin ajoute: — J'ai entendu Terrec dire, sans qu'on lui demandât la provenance de cet argent :

« J'ai reçu cette somme, que je croyais perdue, du bureau ;

C'est le reliquat de mes décomptes, depuis que je suis allé au Tonkin. »

 

Le Terrec, qui comprend la gravité de cette nouvelle déposition, oppose au témoin les dénégations les plus formelles.

 

Le témoin, de son côté, affirme énergiquement que ce qu'il a dit est l'exacte vérité.

 

Corentin Morvan, marin-pêcheur, avenue de la gare, à Beuzec-Conq,

dit qu'il connaît l'accusé depuis trois ou quatre ans.

Celui-ci lui aurait demandé, en novembre dernier, à embarquer sur sa chaloupe,

mais son équipage étant au complet, le sieur Morvan dut refuser.

 

Terrec s'écria alors :

« Je vais donc être obligé de crever de faim, puisque personne ne veut m'occuper.»

 

Le témoin fait connaître de plus que Le Terrec n'a pas pu trouver d'ouvrage à Groix, où il était allé en chercher,

et qu'il n'a pas vu d'argent en sa possession, que du reste il ne pouvait en avoir, ne travaillant pas.

 

Morvan ajoute :

« Avant l'incendie, je lui ai demandé un jour de payer la goutte ;

il m'a dit alors :

« Comment veux-tu que je te paie la goutte, puisque je n'ai pas le sou ! ».

 

Le lundi  29 décembre 1890, je rencontrai Terrec à Concarneau.

Le voyant faire des dépenses avec des camarades, je lui dis :

« Tu es donc riche aujourd'hui, tu n'avais cependant pas de sou l'autre jour? »

 

Le Terrec me répondit :

« Puisque je vais à St-Malo, il faut bien que j'aie de l'argent ! »

 

Il m'a alors raconté qu'il allait faire la pêche de la morue et m'a montré son livret visé pour St-Malo,

mais je n'ai pas vu la date du visa.

​

Le même jour je lui ai encore demandé d'où lui venait tant d'argent et il m'a déclaré qu'il avait prêté de l'argent à une personne,

et que celle-ci venait de le lui rendre.

J'ai voulu savoir le nom de cette personne,

il n'a pas voulu me le faire connaître.

Je l'ai accompagné à la gare, où il a pris un billet pour Lorient.

Il en avait d'abord demandé un pour St-Malo.

 

Sur interpellation de M. le président :

— Pendant les deux jours que j'ai fait la noce avec Le Terrec,
il avait bien dépensé une dizaine de francs.

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Le Terrec ne contredit pas absolument le témoin, mais il prétend être parti pour Lorient le samedi 27

et non le lundi 29.

 

D. à Le Terrec — Où avez-vous couché ces jours-là ?

 

R. — J'ai couché, du lundi jusqu'au samedi, avant mon départ, chez François Le Bris, dont la sœur m'a remis 180 fr.

 

Le témoin. — J'affirme que c'est le lundi 29 que Terrec est parti pour Lorient.

 

Le témoin Le Beuze a vu Le Terrec échanger une pièce de 5 fr. en se faisant délivrer un billet pour Lorient.

Il connaissait peu l'accusé.

 

À six heures et demie, on arrive au cinquante-deuxième témoin et l'audience est renvoyée à demain, onze heures.

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Source : La Dépêche de Brest 7 août

 

Ce matin, au moment où la foule se rassemblait autour du palais de justice pour la troisième audience de l'affaire

du crime de Trégunc, le bruit de la mort de Le Terrec a circulé tout à coup dans le public.

 

Presque aussitôt, un des témoins, M. Thomas, maréchal des logis de gendarmerie à Concarneau,

venait confirmer cette nouvelle à M. le président des assises, qui s'est immédiatement rendu à la maison de justice, accompagné du parquet, de plusieurs magistrats et de la brigade de gendarmerie.

 

Une grande agitation s'est alors produite dans la ville et tout le monde s'est porté vers la prison

pour apprendre la nouvelle.

 

Voici ce qui s'est passé :

Le Terrec était depuis quelques jours dans une cellule où il n'y avait absolument que sa couchette,

ou plutôt un lit de camp au ras du sol, sur lequel se trouvaient un matelas, un traversin et un drap.

 

Ce n'est point au moyen de ses effets de literie qu'il a songé à se détruire.

 

L'accusé avait mangé sa soupe comme  d'habitude, vers neuf heures un quart ce matin.

 

Vers 10 h. 35, les gendarmes s'étant présentés pour se faire remettre le prisonnier afin de le conduire à l'audience,

le gardien se dirigea avec eux vers la cellule de Le Terrec.

 

Cette cellule était fermée.

Cependant ils furent fort étonnés en apercevant au-dessus la porte un paquet d'effets qui émergeait d'une lucarne située à quelques centimètres au-dessus.

 

La porte ayant été ouverte, un spectacle effrayant les frappa.

Le Terrec, complètent nu la figure hideuse,

les traits convulsés par les dernières étreintes de la mort était pendu droit devant eux.

 

Quand ils le soulevèrent, il exhalait son dernier râle.

 

M. le docteur Coffec, prévenu immédiatement n'a pu que constater le décès.

 

Le procédé employé par Le Terrec est des plus simples :

Il s’est tout d’abord déshabillé entièrement et a fait un paquet de ses effets,

qu'il a enroulés solidement et attachés au moyen du velours de son chapeau et de ses cordons de souliers,

puis, posant un pied sur le rebord du guichet qui fait saillie au milieu de la porte, en dedans,

il s'est hissé en posant la main sur le bord de la lucarne.

 

Poussant ensuite ses effets au dehors, il les placés perpendiculairement à cette lucarne qui est rectangulaire et,

ces effets faisant contrepoids, il s'y est suspendu.

 

La mort n'a pas dû tarder à survenir.

 

C'est sans doute sous l'impression de la dernière audience où les charges l'accablaient tant,

qu'il a dû arrêter cette détermination.

 

Le Terrec s'est donc fait justice lui-même et on procès se trouve ainsi brusquement terminé.

 

La cour réunie immédiatement après les constatations,

a déclaré l’action publique éteinte par suite du décès de l'accusé et a prononcé la clôture de l'affaire.

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