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Fenêtres sur le passé

1891

​

À propos du Dupuy de Lôme et de la torpille de blocus

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Source : La Dépêche de Brest le 28 juin 1891

 

Auteur : Contre-Amiral Réveillère

Lettre à M. Paul Fontin, directeur de la "Marine Française"

 

En marine, je suis lâchement opportuniste ;

je prends pour point de départ l'existant et me préoccupe des nécessités du jour.

 

Si, par exemple, je parle un peu dédaigneusement des canons de gros calibre, 

c'est que nous en avons, et qu'ils ne sont pas, à mon avis, le besoin du jour.

Si nous n'en avions pas, j'en parlerais tout autrement.

 

Dans la Méditerranée, nous aurons à lutter contre des batteries de côte ;

pour cette lutte, il faut du gros calibre.

Nous avons assez de navires munis du canon de gros calibre,

— voilà pourquoi je tais ses avantages et je signale ses inconvénients.

 

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Le torpilleur est surtout un oiseau de nuit

— la nuit, il est redoutable (pour les amis aussi), loin de moi l'intention de le déprécier.

Il faut des torpilleurs, comme il faut des canons de gros calibre.

 

La torpille n'est pas tout, ni plus ni moins que le canon de gros calibre.

Oui, la torpille est une arme terrible, je ne dis pas seulement la Whitehead.

La torpille de blocus jouera un rôle considérable dans la prochaine guerre.

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Je lui reproche d'être très dangereuse au point de vue des neutres

— de ces pauvres neutres auxquels on ne songe pas assez, mais avec lesquels il faudra bien compter cependant,

soit pour la guerre de course, soit pour l'emploi de la torpille de blocus.

​

Certes, la torpille nous réserve d'épouvantables surprises.

 

Un navire croise depuis quelques jours — plus de légumes verts —

quelle joie !...

Voici un bateau chargé de carottes et de choux tout frais

— un présent de la Providence...

 

Sans doute, les bateliers ont mal amarré leur canot, et,

pendant qu'ils se gaudissaient au cabaret, la marée l'emportait au large.

On accoste ladite embarcation, on embarque les légumes...

en soulevant un chou, une détonation se produit et le navire coule.

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Destruction de deux navires chiliens _00

J'eus, je l'avoue, un léger frisson en entendant

l'auteur de cette farce lugubre la raconter

avec son flegme américain — je parle de M. Patrick,

l'inventeur de la torpille de ce nom, qui tendit,

pour le compte du Pérou, ce piège à un croiseur chilien.

 

Enfin, Ie Gymnote a fait ses preuves à Toulon,

le sous-marin entre décidément en scène.

 

Destruction de deux navires chiliens.jpg

« La torpille, dites-vous, est la reine de l'Océan. »

 

Essayons de vider cette fameuse question de royauté.

 

Examinons le rôle de la torpille dans le combat normal, qui est un combat de jour

(gare les amis pour les combats de nuit !)

Quel marin hésiterait entre un navire de combat qui n'aurait que des torpilles et un bâtiment

qui n'aurait que des canons ?

 

Avec la rapidité du tir des pièces nouvelles et la puissance destructive des obus à la mélinite et des obus à mitraille

(je ne parle pas des obus de rupture à dessein) le navire torpilleur, aurait-il la vitesse pour lui,

sera désemparé avant d'arriver à portée de torpille.

 

Oui, la torpille est une arme redoutable, mais on pourrait faire la guerre sans torpilles, on ne peut la faire sans canons.

 

L'action de la torpille a besoin d'être préparée par l'artillerie légère et moyenne.

​

Vous ne pouvez user de vos torpilles à une distance supérieure

à 400 mètres ;

quand vous serez à 400 mètres, vous aurez fait bien du mal

à votre adversaire avec votre artillerie.

 

La Whitehead a une portée maximum de 400 mètres ;

il faut donc que le croiseur ou le bateau maximum ait subi

depuis la plus longue portée des pièces jusqu'à 400 mètres le feu de son adversaire ;

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avant d'atteindre ces 400 mètres, quel ouragan de fer il aura subi !...

 

Vous aurez beau faire, c'est vraiment l'artillerie légère et moyenne qui prépare et décide le combat ;

pour que la torpille intervienne, il faut que l'artillerie lui ait mâché sa besogne.

 

Après tout, est-il si nécessaire de couler un navire ?

Il suffit de le désemparer en annulant ses moyens de détruire et de se conduire (combat du Huascar),

l'artillerie moyenne suffit à cette tâche

à l'époque actuelle.

 

Il s'agit de construire aujourd'hui et non de se demander comment on construira quand le problème

du lancement sous l'eau sera résolu.

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Combat naval Arica Huascar.jpg

Combat naval du Huascar

La ilustracion Española y Americana. Año XXIV. NUM XXII

Le sera-t-il ?

 

Quant à moi, qui ai fait beaucoup de lancements sous l'eau à bord du Tigre

(il y a longtemps, il est vrai), je me figure difficilement un lancement sous l'eau, avec des tubes de côté,

sur un navire filant 18 à 20 nœuds.

​

Et puis, où seront l'appareil de visée et le personnel qui dirigera le lancement ?...

​

Ce navire, aux œuvres mortes non protégées, les verra balayées par la mitraille, la grenaille,

le souffle des explosifs puissants.

​

Passons au Dupuy de Lôme.

 

Ce type a été très contesté en Angleterre, il a même,

un moment été l'objet d'une désapprobation à peu près générale.

 

Mais, après l'avoir condamné, les Anglais y reviennent.

 

Le Dupuy de Lôme a un cuirassement,

mais un cuirassement léger.

 

Pourquoi ?

 

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— Parce que l'obus de rupture de l'artillerie moyenne n'a pas encore reçu de solution satisfaisante

et vraisemblablement n'en recevra pas.

Il n'éclate pas.

Sa charge intérieure est insuffisante.

Si vous voulez le faire sûrement éclater et le munir d'une bonne charge, il cesse d'être obus de rupture.

De fait, c'est un boulet plein.

Sans doute, le projectile de rupture traverse facilement une muraille de 10 centimètres.

Après?...

 

Pour qu'il fût beaucoup à craindre, il faudrait qu'il traversât le pont cuirassé pour se loger dans les machines

et les chaudières.

Or, il n'a plus la vitesse voulue pour traverser ce pont avec une incidence aussi éloignée de la normale.

​

Oui, à mon avis, l'artillerie moyenne et légère tient

maintenant la corde.

 

Demain, ce sera peut-être le torpilleur sous-marin.

Après-demain, peut-être le ballon.

 

Mais nous devons construire aujourd'hui

pour les armes d'aujourd'hui.
 

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Nous ne pouvons construire en vue de ce qui n'existe pas encore.

​

Toute attaque trouve sa défense, toute défense trouve son attaque —c'est la loi.

 

J'ai défendu des idées très répandues sur le rôle de l'artillerie moyenne,

parce que je les crois justes, mais justes aujourd'hui.

 

Il n'y a pas de programme absolu par ce temps

la guerre est tombée dans le domaine de la concurrence industrielle.

 

La solution complète du problème si effroyablement complexe de « la composition de la flotte »

me semble au-dessus de toute intelligence humaine.

​

C'est pour cela que je voudrais le voir étudier par

ce « tout le monde qui a plus d'esprit que M. de Voltaire ».

 

Je ne prétends pas à l'infaillibilité,

mais je ne crois pas davantage à l'infaillibilité

d'un autre homme ou d'une école.

 

Je crois simplement à la supériorité de cet être impersonnel

qui se forme par la concurrence des idées

— comme, à mes yeux, il n'y a qu'un danger, l'inertie.

​

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