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Fenêtres sur le passé
1891
Le crime de Plounéour-Trez
Source : La Dépêche de Brest 28 juillet 1891
Dimanche soir, vers huit heures, le nommé Falc’hun, cultivateur à Plounéour-Trez, s'est rendu chez un de ses voisins, le nommé Kerlidou, sous prétexte de causer.
Porteur d'un fusil chargé, il a tiré à bout portant sur Kerlidou et l'a tué.
On ignore les mobiles du crime.
Hier soir, à quatre heures et demie, MM. Le Roux, faisant fonctions de juge d'instruction,
Bouisson, substitut du procureur de la République, le docteur Miorcec, médecin du parquet, Jégo, greffier,
et Marrec, interprète, sont partis en voiture pour se rendre sur les lieux.
Le meurtrier a été arrêté et écroué à la maison de sûreté de Lesneven.
Source : La Dépêche de Brest 29 juillet 1891
Le crime que nous avons annoncé sommairement dans notre numéro d'hier a été commis dimanche soir.
Plusieurs personnes, au nombre desquelles était la victime, se trouvaient dans la maison du sieur Falc'hun.
Vers huit heures, toutes sortirent, à l'exception de Kerlidou.
Que se passa-t-il alors ?
C'est ce que l’enquête à laquelle se sont livrés les magistrats a eu pour but d'établir.
Toujours est-il qu'une détonation ne tardait pas à se faire entendre.
On accourut aussitôt, Kerlidou gisait sur le sol dans une mare de sang.
Falc'hun prenant son fusil, avait tiré sur- lui à bout portant.
Le coup ayant fait balle, la mort fut instantanée.
Le doute n'était pas possible.
Cependant, au cours des interrogatoires qu’il a subis avant-hier et hier, Falc'hun nie avoir tiré.
De nombreux témoins ont été entendus par M Le Roux,
faisant fonctions de juge instruction.
II ressortirait de ces témoignages qu'aucun motif de haine n’existait entre les deux hommes et que le meurtrier, qui passe pour violent, pourrait avoir agi sous le coup d'une colère subite.
L'autopsie du cadavre, qui avait été laissé dans la maison de Falc'hun,
a été faite hier matin par le docteur Miorcec.
Les obsèques ont eu lieu dans l'après-midi.
Les magistrats sont rentrés à Brest cette nuit à une heure un quart du matin.
Falc'hun y arrivera aujourd'hui.
À demain de nouveaux détails.
Source : La Dépêche de Brest 30 juillet 1891
Falc'hun (Joseph), âgé de 50 ans, cultivateur au village de Trégueiller, en la commune de Plounéour-Trez,
qui a tué dimanche soir d'un coup de fusil le nommé Kerlidou (Jean-Marie), âgé de 38 ans, est arrivé hier,
à trois heures et demie, à Brest, menottes aux mains et escorté de deux gendarmes.
Il a été aussitôt écroué à la maison d'arrêt du Bouguen.
Voici le drame tel qu'il a été reconstitué par l'enquête :
Dimanche soir, vers sept heures et demie, Le Joly (Yves), âgé de 30 ans, Abautret (Jacques), 17 ans,
Gavarec (Jean-Marie), 14 ans, et la victime, entraient chez Falc'hun, histoire de causer un brin.
En plaisantant, ils lui demandèrent s'il voulait qu'on lui coupe la barbe.
Falc'hun se mit à rire et répondit qu'il se raserait bien tout seul.
Au bout d'un quart d'heure, Le Joly, Abautret et Cavarec sortirent, laissant Kerlidou chez Falc'hun.
Six ou sept minutes après, alors qu'ils causaient dans l’aire
à battre en face de la porte,
ils virent Kerlidou s'approcher de Falc'hun et lui tâter
les cuisses en lui disant qu’elles étaient molles.
Cette plaisanterie déplut à Falc'hun, qui le frappa à la tête d’un maillet qu’il tenait à la main.
Un instant après, Kerlidou et Falc'hun tenaient par le milieu un fusil que ce dernier venait de décrocher d'une poutre.
Falc'hun demandait à Kerlidou ce qu’il était venu faire chez lui et celui-ci répondait :
« Je ne suis pas venu pour te voler et je te prends pour un camarade ».
Falhun avait la voix très dure, tandis que Kerlidou, qui paraissait avoir peur, ne cessait de lui répéter :
« Mets le fusil à sa place et je sortirai. »
Le malheureux avait à peine prononcé ces mots qu'une détonation se faisait entendre.
Le Joly s'empressa d'accourir et, entrant dans la maison, il trouva Kerlidou étendu près de la porte,
dans une mare de sang.
Le meurtrier le frappait encore à coups de crosse, en disant :
« Veux-tu bien t'en aller ! »
Le Joly s'empressa d'aller prévenir le maire.
Pendant ce temps, la nommée Donval (Marie), couturière, attirée par la détonation, entra à son tour.
À la vue de Kerlidou mortellement frappé, elle alla droit à Falc'hun et lui dit :
— Ah ! Malheureux, qu'as-tu fait ?
— J'ai été forcé, répondit-il. J'ai tiré dessus, mais j'ai été forcé.
Cependant, le bruit du crime s'était rapidement répandu.
Le curé de Plounéour-Trez voulait pénétrer dans la maison pour prodiguer ses soins à la victime
s'il en était encore temps, mais personne n'osait se saisir du meurtrier.
Le nommé Scornec (René), tailleur de pierres, arrivant sur ces entrefaites, y entra avec deux autres personnes
et se dirigea vers Falc'hun qui, au moment de sortir, tira un pistolet de sa poche.
On lui arracha cette arme des mains et il se laissa saisir et garrotter sans la moindre résistance.
On s'approcha alors de Kerlidou, mais tous les soins étaient inutiles.
Le coup l'avait foudroyé.
Conduit le lendemain à la maison d'arrêt de Lesneven par le garde champêtre de Plounéour-Trez,
aidé de six autres personnes, Falc'hun, au cours des interrogatoires qu'il a subis,
a prétendu ne pas être l'auteur du meurtre.
D'après ses réponses, quelque peu incohérentes, c'est Kerlidou qui aurait pris le fusil pour l'en menacer,
et c'est en voulant le désarmer que le coup serait parti.
Quant au pistolet, il n'avait pas l'intention d'en faire usage,
et il ne l'a tiré de sa poche que pour faire peur aux personnes qui le sortaient de chez lui.
D'un caractère sombre, n'ayant aucunes relations, Falc'hun inspirait de vives craintes à ses voisins.
Il sortait très souvent la nuit et toujours armé.
En un mot, il passait dans le pays pour être très redoutable.
Il y a deux ans, à la suite d'une discussion avec un nommé Habasque,
il avait menacé ce dernier de son fusil, qu'il tenait à bout de bras en le visant.
Kerlidou, la victime, était marié. Il n'avait pas d'enfants.
Source : La Dépêche de Brest 12 août 1891
L'instruction du crime de Plounéour-Trez se poursuit.
Falc'hun, le meurtrier, jouit-il de toutes ses facultés ?
Tel est le point vers lequel se tournent maintenant les investigations des magistrats.
Après la guerre de 1870 -71, à laquelle il a participé,
Falc'hun présenta des symptômes apparents d'aliénation mentale.
Un jour, M. Barbanson, alors médecin à Lesneven, actuellement à Morlaix, fut appelé.
Quand il voulut l'examiner,
Falc'hun s'accula dans le fond de son lit,
et comme le médecin voulait s'en approcher,
il bondit sur lui, le saisit par la tête et le secoua violemment.
En présence de cet état d'exaltation,
M. Barbanson dut se retirer et ne revint plus.
Il invita cependant les parents à faire des démarches
pour le faire interner dans un asile ;
mais personne ne s'en étant occupé, il resta chez lui,
tantôt se promenant autour de son aire à battre
avec son fusil, tantôt plongé dans une sorte d'extase.
Puis, tout à coup, se mettant à rire, il rentrait chez lui et se mettait au lit en plein jour.
Depuis ce moment, Falc'hun ne paraît pas avoir retrouvé la plénitude de ses facultés mentales.
Il est resté taciturne, avec des idées fixes, ne tenant à voir ni à causer avec personne,
comme si ses semblables lui faisaient horreur.
Un cultivateur du village de Trégueiller, nommé Roudaut (Yves), âgé de 62 ans, a rencontré Falc'hun,
il y a douze ans environ, sur la route, à trois heures du matin, à environ un kilomètre de son domicile,
muni de son fusil avec un couteau ouvert fixé au bout du canon en guise de baïonnette.
Il y a deux ans, une bande de jeunes gens et de jeunes filles, passant près de la demeure de Falc'hun,
frappèrent à sa porte.
Quelques instants après, le nommé Favé (Jean), âgé de 63 ans, cultivateur, qui se rendait à vêpres,
vit la bande se sauver en courant et presque aussitôt une détonation se faisait entendre.
C'était Falc'hun qui tirait un coup de fusil sur eux.
La bourre vint tomber près de la nommée Favé
(Marie-Anne), âgée de 30 ans, seule en vue,
et qui se trouvait à environ trente mètres de sa porte.
Elle n'eut aucun mal, mais elle fut fort effrayée.
Falc'hun possède quelques parcelles de terre qu'il cultive.
À la mort de ses parents, il se figurait que tous leurs biens devaient lui revenir, et lorsque ses frères et sœurs vendirent leur part, il se crut lésé dans ses intérêts.
Cette circonstance a motivé, depuis cette époque, plusieurs discussions violentes entre lui
et son cousin Habasque (Christophe), qu'il a souvent menacé.
Falhun ne buvait pas.
Il était, au contraire, très sobre, et vivait de peu de chose.
Il travaillait, d'ailleurs, fort peu et, en 1877, son frère aîné, à qui il devait de l'argent, fit vendre tout son mobilier.
Depuis cette époque, il vivait misérablement.
Un fait qui est avéré et qui atténuera dans une certaine mesure le crime de Falc'hun,
si sa responsabilité est démontrée,
c'est que les jeunes gens du pays se moquaient de lui un peu plus qu'il ne le convenait.
Il était constamment leur jouet et les enfants eux-mêmes allaient souvent l'exciter en frappant à sa porte
où à ses fenêtres.
Tel est actuellement l'état de l'instruction.
Source : La Dépêche de Brest 14 octobre 1891
L'instruction ouverte contre le nommé Falc'hun (Joseph),
détenu à la maison d'arrêt sous l'inculpation de meurtre sur la personne du nommé Kerlidou (Jean-Marie),
cultivateur à Plounéour-Trez, est terminée.
Par décision du 10 octobre courant, Falc'hun va être admis à l'asile des aliénés de Quimper.
Une ordonnance de non-lieu a été, en conséquence, rendue par M. Guicheteau, juge chargé de l'instruction.
On n'a pas oublié cette affaire.
Dans un moment de colère, Falc'hun avait tiré un coup de fusil sur Kerlidou, qui le plaisantait.
Le prévenu avait donné des signes évidents d'aliénation mentale,
et son irresponsabilité a été pleinement établie par l'instruction.