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Fenêtres sur le passé

1891

Incendiaires Ouessantines aux Assises

Ouessant incendie volontaire assises.jpg

 

Source : La Dépêche de Brest 11 janvier 1891

 

Les accusés sont deux femmes de l'île d'Ouessant, les nommées :

1° Paul (Marie-Françoise), femme Armand, âgée de 36 ans, ménagère, et

2° Suignard (Marie-Euphrasie), femme Théo, âgée de 25 ans.

 

L'acte d'accusation est ainsi conçu :

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L'acte d'accusation.jpg

 

« Le 26 octobre 1890, dans la soirée, un incendie éclatait dans l'île d'Ouessant, au village de Cost-al-Land,

dans une maison appartenant à la nommée Paul (Marie-Françoise), femme Armand, et en l'absence de celle-ci.

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L'opinion publique l'attribua aussitôt à la malveillance et dénonça la nommée Suignard (Marie-Euphrasie) ,

femme Théo, dont les allures suspectes avaient éveillé l'attention.

​

La femme Théo nia formellement être l'auteur de ce crime, mais une perquisition pratiquée à son domicile

y fit découvrir un grand nombre d'effets appartenant à la femme Armand.

Elle dut alors reconnaître qu'ils y avaient été transportés par cette dernière

et par elle-même pour les soustraire à l'incendie ;

elle ajouta que la femme Armand lui avait fait part depuis plusieurs mois du projet de brûler sa maison,

et que c'était celle-ci qui y avait mis le feu.

 

« La femme Armand essaya d'abord de nier les faits, mais elle ne tarda pas à faire des aveux complets.

​

Le 25 octobre, dans la matinée, elle avait mis le feu à des mottes déposées dans l'intérieur de sa maison ;

puis, elle avait quitté son domicile pour se rendre chez sa mère, qui habite une autre partie de l'île.

​

« La femme Théo était instruite de ses projets et avait promis d'aller,

après son départ, visiter la maison et s'assurer du progrès de l'incendie.

Le lendemain, dans l'après-midi, elle se rendit, en effet,

chez la femme Armand, et, après avoir constaté que le feu,

suivant son expression, « marchait bien »,

elle se retira sans avoir essayé de l'éteindre et ne prévint personne.

 

« La maison avait été assurée par les époux Armand à la compagnie

le Finistère, suivant police du 9 septembre 1889,

pour une somme supérieure à sa valeur ;

mais la prime échue, le 9 septembre dernier, était restée impayée.

La femme Armand espérait-elle, néanmoins, toucher l'indemnité garantie

par la compagnie ?

​

La chose est possible, mais il est plus vraisemblable d'admettre,

ainsi qu'elle le déclare elle-même, qu'étant réduite à la plus grande misère, elle espérait obtenir de l'autorité municipale la permission de faire

une quête dans l’île et sur le continent.

​

Sa conduite jusqu'ici n'avait donné lieu à aucune remarque défavorable.

 

Ouessant collection David Vincent (1).jpg

Collection David Vincent

« La femme Théo a déjà été condamnée deux fois pour vol, et ses voisins la soupçonnaient

d'être l'auteur de nombreux méfaits restés impunis ;

sa réputation est des plus mauvaises. »

 

Ministère public, M. Fretaud.

Défenseurs, Me Le Marchadour pour la femme Armand, et Me Le Bail, pour la femme Théo.

 

M. Bernard, greffier de paix à Ouessant, un des témoins assignés, touché trop tard par la citation,

ne comparaît pas ;

la cour le déclare excusé et passe outre aux débats.

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L'interrogatoire.jpg

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La femme Théo, interrogée, avoue avoir surveillé les progrès de l’incendie en regardant par la fenêtre et

avoir procédé au transport du mobilier de la femme Armand, en compagnie de celle-ci, deux jours avant l'incendie.

 

M. le président. — Il y avait au moins huit jours qu'on transportait le mobilier.

 

La femme Armand a nié longtemps, dans l'instruction, qu'elle eût mis le feu chez elle.

À l'audience, elle fait certains aveux ;

au sujet du déménagement de son mobilier, elle fournit cette explication :

« Si j'ai déposé des objets mobiliers chez la femme Théo, c'est parce que je lui devais de l'argent

pour des pommes de terre qu'elle m'avait cédées. »

 

M. le président. — C'est une explication ridicule.

Vous avez déclaré, en effet, que vous ne deviez que trois francs à la femme Théo.

 

D. (à la femme Théo). — La femme Armand ne vous avait-elle pas dit qu'elle profiterait d'une certaine circonstance pour mettre le feu chez elle ?

R. — Oui, elle devait mettre le feu le jour où on tuerait un porc chez sa mère, qui habite à l'autre bout de l'île.

 

La femme Armand. — Ce n'est pas vrai, je n'ai pas dit cela.

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Audition des témoins.jpg

 

M. Bolloré, juge de paix, qui a instruit l'affaire, confirme les déclarations

faites par les accusées au cours de l'information.

 

Des voisines de la femme Armand viennent affirmer qu'elles ont vu les allées

et venues de la femme Théo, le jour de l'incendie,

et le transport des meubles opéré par les deux accusées.

 

Une autre déclare avoir vu la femme Théo pénétrer,

le même jour chez la femme Armand.

 

La veuve Guéganton, 65 ans, dépose ensuite :

— Je n'ai vu que la fumée, monsieur.

D. — Et puis.

R. — Et puis, en revenant de la rivière, j'ai vu les deux cheminées qui fumaient

ça m'a étonnée ;

alors j'ai voulu ouvrir la porte ;

mais elle était fermée.

Je n'ai vu personne nulle part.

J'ai trouvé ça drôle.

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Ouessant femme.jpg
Le réquisitoire.jpg

 

M. Fretaud, procureur de la République, prononce ensuite son réquisitoire.

 

Par une argumentation serrée, l'organe du ministère public développe les moyens qui appuient l'accusation

et démontre la culpabilité des deux accusées.

​

En terminant, il appelle l'attention du jury sur le crime d'incendie qui est, dit-il,

un de ceux dont les conséquences peuvent être épouvantables.

​

« L'incendiaire, s'écrie M. Fretaud, est impitoyable comme l'élément qu'il déchaîne, comme la foudre qui éclate, comme le flot qui s'entrouvre !

​

Eh bien, moi, je ne suis pas impitoyable, puisque je suis le premier à solliciter des circonstances atténuantes.

Je suis un magistrat qui ne méconnaît pas la part qu'il faut faire à l'indulgence et à la clémence, et soyez certains messieurs, que je suis plus heureux quand je formule un recours en grâce que lorsque je prononce un réquisitoire. »

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Les plaidoiries.jpg

 

Me Lemarc'hadour, défenseur de la femme Armand, plaide l'acquittement.

Sa cliente, dit-il, a agi dans un moment d'affolement.

​

Il n'y a pas eu de préjudice pour autrui,

la maison incendiée étant tout à fait isolée.

La femme Armand a détruit sa propre-chose.

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Faisant ensuite ressortir le passé honnête de sa cliente,

les longs et bons services de son mari, ancien gardien du phare d'Ouessant, Me Lemarc'hdaour dit qu'il attend avec confiance des jurés l'œuvre d'humanité et de justice qu'ils vont accomplir.

 

Me Le Bail présente ensuite la défense de la femme Théo

et pose deux hypothèses :

ou il n y a pas eu d'auteur principal, et alors il n y a pas eu complicité ;

ou bien, s’il y a eu un auteur principal, il n'y a pas eu collaboration effective, et dans ce cas encore pas de complicité active.

 

D'ailleurs, ajoute l’honorable défenseur, il n'y a pas eu de préjudice véritablement juridique, et seule question que vous ayez à résoudre

c'est de rechercher si, ayant devant vous un crime,

vous avez deux criminels.

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Ouessant collection David Vincent (2) (1152 x 1728).jpg

Collection David Vincent

Acquittement.jpg

 

Le jury se retire pour délibérer et rentre presque aussitôt en séance avec un verdict d'acquittement.

 

La session est close.

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© 2018 Patrick Milan. Créé avec Wix.com
 

Dernière mise à jour - Mars 2022
 

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