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Fenêtres sur le passé
1891
Le drame de Kérinou
Source : La dépêche de Brest du 14 août 1891
Les habitants de Kérinou ont été mis en émoi hier par un drame sanglant.
Un homme de 42 ans, le nommé Halla (Alphonse), manœuvre chez M Quéré, entrepreneur à Kérinou,
après avoir tué la veuve Kernaon, qui avait refusé de l'épouser, s'est ensuite tué à son tour.
La nouvelle n'a pas tardé à se répandre en ville, y soulevant une vive émotion.
Voici ce qui s'était passé.
Au numéro 89 de la rue de Brest, en Lambézellec, à peu près à 150 mètres de Kérinou,
presqu'en face de la chapelle dite des Pendus, habitait avec ses deux filles, âgées de 15 et 9 ans,
la nommée Marie-Anne Pindivic, âgée de 46 ans, veuve en premières noces d'un sieur Thépault
et en secondes noces d'un sieur Kernaon.
Cette femme tenait une gargote, où quelques ouvriers et des retraités prenaient leurs repas et couchaient.
Depuis un certain temps, l'un de ces pensionnaires, nommé Halla (Alphonse), âgé de 42 ans, manœuvre, qui,
depuis environ huit mois, était en pension dans la maison, avait manifesté à la gargotière l'intention de l'épouser.
De son côté, celle-ci lui avait laissé entrevoir la possibilité
de convoler pour la troisième fois, si bien qu'il y a trois semaines,
la publication de mariage fut affichée à la porte de la mairie
de Lambézellec et les bans publiés à l'église.
Ce mariage déplaisait fort aux deux filles du premier lit
de la veuve Kernaon, qui firent toutes sortes de tentatives
auprès de leur mère pour la faire revenir sur sa détermination.
Halla, se croyant déjà le maître dans la maison,
se montrait parfois brutal à l'égard des deux fillettes, qu'il insultait fréquemment.
Les voisins, témoins de ces scènes, essayèrent de leur côté de dissuader la veuve Kernaon de contracter cette union.
Cette dernière se montra d'abord inflexible.
L'aînée de ses filles, qui paraissait ne vouloir de ce mariage à aucun prix menaça sa mère de quitter la maison
si elle continuait à entretenir des relations avec Halla.
Ce dernier, qui, parait-il, ne travaillait que par intermittences, était devenu le jouet des commères du quartier,
qui lui demandaient souvent en riant :
« Eh bien ! À quand la noce ?»
À quoi il répondait d'un ton convaincu :
« À bientôt ! »
Cependant, la veuve Kernaon, conseillée de toutes parts, se décida enfin à rompre avec Halla.
Il y a quelques jours, elle lui fit comprendre qu’elle ne voulait plus l'épouser.
Halla feignit de ne pas prendre cette résolution au sérieux, mais il en fut profondément affecté.
À diverses reprises, il demanda de nouvelles explications à la veuve Kernaon, que celle-ci aurait refusé de lui donner.
Hier matin, vers neuf heures, la veuve Kernaon montait dans une chambre située au second étage de sa maison,
pour enfermer ses coiffes dans une armoire.
Halla, qui se trouvait avec deux autres pensionnaires au rez-de-chaussée, dans la salle de droite,
où les pensionnaires prennent leur repas, suivit la veuve dans l'escalier et entra après elle dans la chambre.
Seuls tous deux dans la chambre, Halla a dû de nouveau demander à la veuve Kernaon
si sa résolution de rompre était définitive.
Sur la réponse affirmative de la veuve Kernaon, une dispute s'éleva entre eux.
Il tenait à ce moment dans la main droite une petite fiole contenant un mélange d'huile et de pétrole.
À quel usage destinait-il ce mélange assez inoffensif ?
Avait-il l'intention, devant un nouveau refus, de s'empoisonner ?
On ne sait au juste.
Toujours est-il que le drame était proche.
Maria Thépaut, la fille aînée du premier lit de la veuve Kernaon, qui était occupée au rez-de-chaussée
aux travaux du ménage, entendant sa mère pousser le cri :
« Laissez-moi me sauver, ne serait-ce que pour mes enfants ! »
gravit précipitamment l’escalier et on juge de son effroi quand, par l’ouverture de la porte laissée entrebâillée,
elle aperçut Halla qui, les yeux hagards et au paroxysme de la colère, tenait sa mère à la gorge,
renversée sur un lit en fer qui se trouve à gauche, en entrant dans la chambre.
Effrayée, elle descendit en courant et en poussant des cris.
Trouvant le nommé Gléran (François), âgé de 70 ans,
pensionnaire chez elle depuis neuf ans,
dans la salle où se trouvait Halla avant de monter,
elle lui dit en sanglotant :
« Venez vite, on tue ma mère ! »
Gléran se munit aussitôt d'une forte hache qui se trouvait près du foyer, et, suivi de la jeune Thépault,
monta dans la chambre où se passait la scène.
La porte était fermée au loquet.
Il l'ouvrit précipitamment et un spectacle horrible s’offrit à leurs yeux.
La veuve Kernaon était étendue sur le plancher, près du lit.
Elle gisait sur le dos étendue dans une mare de sang.
Elle donnait pourtant encore signe de vie.
Près d'elle, à sa droite, était allongé Halla, ayant près de la main droite un revolver, du calibre de sept millimètres, encore fumant.
Tous deux avaient la tête près de la porte.
La chambre était bouleversée.
L'état du lit indiquait qu'une lutte avait eu lieu entre le meurtrier et sa victime.
Près de la croisée donnant sur la rue de Brest, aux pieds de la veuve Kernaon,
une mare de sang semblait indiquer qu'elle a dû tomber à cet endroit, se relever en se débattant
dans les affres de l'agonie, puis retomber près de la porte.
Les murs étaient intacts.
La table, les chaises et les autres meubles qui constituent l'ameublement de la chambre avaient reçu
des éclaboussures de sang.
La fille Thépault ne put soutenir la vue de ce tableau sanglant.
Affolée, elle courut chercher les voisins, qui s'empressèrent de prévenir les autorités.
MM. Martin, commissaire de police, Hautin, maire, et Battesti, maréchal des logis de gendarmerie,
se transportèrent aussitôt sur les lieux, accompagnés de M. Nicol, médecin-pharmacien à Kérinou.
En même temps, un gendarme venait aviser
M. le procureur de la République à Brest.
On prodigua les soins à la veuve Kernaon, mais tout fut inutile.
Elle rendait le dernier soupir quelques instants après,
sans avoir pu prononcer une seule parole.
M. Martin ouvrit immédiatement une enquête.
Il interrogea tous les voisins de la veuve Kernaon pour découvrir les mobiles de ce drame,
qui furent faciles à découvrir.
Le meurtre lui-même n'a pas été plus difficile à reconstituer.
Halla, tenant la veuve Kernaon à la gorge, acculée au lit en fer, a dû lui introduire le canon du revolver,
qu'il s'est procuré on ne sait trop où, dans la bouche, et faire feu à plusieurs reprises.
Croyant sa victime morte, il a tourné l'arme contre lui et l'a déchargée également dans sa bouche.
À une heure, M. Nicol procédait à l'autopsie du cadavre, en présence de MM. Martin, commissaire de police,
Hautin, maire, et Battesti, maréchal des logis de gendarmerie.
Le cadavre de la veuve Kernaon, examiné le premier, a permis de constater qu'elle avait reçu trois balles.
L'une d'elles était sortie par la tempe gauche,
les deux autres par la joue droite.
Halla en a reçu deux.
L'une, après avoir perforé le crâne, a été trouvée sur le plancher.
L'autre est restée dans la tête.
Sa mort a été foudroyante.
Le revolver, qui contenait encore une balle, a été saisi par M. Martin pour être déposé au greffe du tribunal civil.
À deux heures et demie, M. Bouisson, substitut de M. le procureur de la République,
s'est rendu dans la chambre où s'est déroulé le drame et M. Cholet, juge de paix du 1er canton de Brest,
venait, quelques instants après pour apposer les scellés.
Toutes ces formalités remplies, le corps d'Halla a été mis dans un cercueil en bois blanc et transporté
par quatre hommes au cimetière de Lambézellec, où il a été déposé dans une cabane en attendant l'inhumation,
qui aura lieu aujourd'hui.
Le corps de la veuve Kernaon a été descendu au rez-de-chaussée
et déposé sur un lit, où un grand nombre de personnes
sont venues hier l'asperger.
La douleur de ses deux filles en larmes, fait peine à voir.
Le plancher de la chambre du meurtre a été lavé.
Une foule considérable, qui, dès la nouvelle du crime, avait stationné devant la maison, s'est peu à peu dissipée.
La veuve Kernaon était très estimée dans le quartier, où sa mort a produit une vive émotion.
Halla, que l'on dit originaire de Douarnenez, était célibataire.
Il passait pour paresseux et était peu estimé.