retro29.fr
Le site Retro29.fr est arrivé à une taille critique.
La suite des articles se trouve sur le site de L'ANNEXE de Retro29.
Fenêtres sur le passé
1891
Le crime de Gouézec
Assassinat d'une petite fille de 11 ans
Source : Le Finistère juillet 1891
Dans cette affaire qui a causé une certaine émotion dans l'arrondissement de Châteaulin,
deux accusés comparaissent sur le banc.
D'abord Yvinec, l'accusé principal, homme vigoureux, âgé de 30 ans, brun, d'un aspect dur ;
puis la domestique de ce dernier, Jeanne Brenner, qui est aussi sa complice et qui,
dans cette affaire, a joué un rôle des plus odieux.
Celle-ci, qui est âgée de 18 ans, a une physionomie très éveillée et semble plus à l'aise qu'Yvinec
dont le regard est constamment baissé.
On remarque comme pièce à conviction une jupe en lambeaux ; c'est celle de la petite victime.
M. Frétaud occupe le siège du ministère public.
Me Le Bail et Couchouren sont au banc de la défense.
14 témoins ont été cités.
La salle s'emplit peu à peu.
Après les formalités d'usage et la prestation de serment des jurés,
il est donné lecture de l'acte d'accusation qui est ainsi conçu :
Le 11 janvier 1887, Yvinec, Pierre, cultivateur, épousait Marie Prat, veuve de Jean Louis Jaouen, qui avait une fille, Marie-Anne, âgée de 7 ans et née du précédent mariage.
Yvinec cessa bientôt de témoigner toute affectation à sa femme qu'il n'avait épousée que par intérêt.
La fortune de Marie Prat s'élevait à 3,300 fr., Marie-Anne Jaouen,
de son côté, possédait une ferme d'une valeur de 10,000 fr.
Dans le courant de l'année 1888, Jeanne Brenner,
alors âgée de 15 ans, entra comme domestique au service de Yvinec.
Elle ne tarda pas à prendre la direction du ménage
et passa bientôt pour sa maîtresse.
Elle devint enceinte et accoucha le 27 décembre dernier,
d'un enfant du sexe masculin.
L'opinion publique attribua la paternité de cet enfant à Yvinec ; d'ailleurs, Jeanne Brenner a affirmé n'avoir jamais eu de relations qu'avec ce dernier.
Dès le début du mariage, Marie-Anne Jaouen fut victime
de mauvais traitements de la part d'Yvinec.
Le sieur Louarn, son subrogé-tuteur, s'en émut et provoqua,
mais sans succès, une réunion du conseil de famille
dans le but de la priver de la tutelle.
Voulant jouir librement et sans contrôle de la fortune
de Marie-Anne Jaouen, Yvinec résolut de se débarrasser de cet enfant.
D'un caractère gai et d'une excellente santé, lors du mariage d'Yvinec avec sa mère,
la petite Jaouen ne tarda pas à devenir triste et maladive.
Ce changement était la conséquence des privations et des mauvais traitements que lui faisait subir Yvinec.
Celui-ci la frappait brutalement, la privait de nourriture et la dépouillait de ses vêtements
par les froids les plus rigoureux.
Il espérait ainsi lui faire contracter le germe d'une maladie mortelle.
Jeanne Brenner maltraitait aussi la petite Jaouen.
N'arrivant pas assez vite à ses fins, Yvinec conçut un projet dont il fît part à sa domestique.
Le 15 mars dernier, Yvinec se prouvait dans le grenier de sa maison,
lorsque Marie-Anne Jaouen y monta pour prendre la paille.
Il la poussa violemment et la fit tomber sur le sol d'une hauteur de 3 mètres environ.
Dans sa chute, la petite Jaouen se fit à la tête une blessure sans gravité.
Vers la fin du même mois, Yvinec étant aux champs
avec sa domestique lui déclara qu'il étoufferait Marie-Anne Jaouen, puisque la tentative du 15 mars était restée sans effet.
Le 1er avril, il lui fit connaître son intention de mettre son projet
à exécution dans la soirée et ordonna à l'enfant de garder
le lit toute la journée.
Vers huit heures du soir, Jeanne Brenner apporta des aliments
à la petite Jaouen, qui les mangea avec appétit.
À dix heures, lorsque tout le monde fut couché, à l'exception toutefois de Jeanne Brenner, Yvinec descendit du grenier au rez-de-chaussée
de la maison.
Sa domestique l'attendait.
Il monta dans le lit de Marie-Jeanne Jaouen.
Pendant une demi-heure, on entendit les râles et les gémissements
de l'enfant, qui dit, à deux reprises : « Laissez-moi, laissez-moi ! »,
et finit par expirer.
Durant cette scène, qui se passa dans l'obscurité, Jeanne Brenner fit le guet près de la porte,
de crainte que quelqu'un ne fût attiré par les cris de la victime.
Son crime accompli, Yvinec prit soin de réparer le désordre du lit, puis remonta se coucher,
après avoir recommandé à sa complice de préparer le lendemain matin le déjeuner de Marie-Anne Jaouen
et d'annoncer son décès en feignant la surprise.
Ces instructions furent ponctuellement exécutées par Jeanne Brenner.
L'autopsie a démontré que la mort, qui a eu lieu deux heures environ après l'ingestion du repas,
est due à la suffocation produite par la compression de la poitrine et du ventre,
et aussi par l'occlusion des voies respiratoires.
L'opinion publique s'émut d'une fin aussi prompte
que rien d'ailleurs ne pouvait faire prévoir,
et désigna bientôt Yvinec comme l'auteur de la mort
de Marie-Anne Jaouen.
Cependant, malgré les charges qui l'accablent,
Yvinec a toujours protesté de son innocence et a persisté
dans ses dénégations au cours de l'information.
Jeanne Brenner, après avoir nié toute participation au crime,
est entrée dans la voie des aveux et a fait connaîtra
tous les détails de ce crime dont elle a elle-même été complice.
Après cette lecture, M. le Président procède à l'interrogatoire
des accusés.
Yvinec, lui, nie tout, absolument tout.
Il n'a fait aucun mal à la petite Jaouen ni à sa femme.
II n'a pas tenu les propos que lui prête l'information
et n'est pour rien dans la mort de la petite fille,
qu'il n'a apprise que le lendemain matin.
Carte postale colorisée - Homme de Gouézec
La fille Brenner, qui a révélé tous les détails de ce crime, revient sur ses aveux :
si elle a avoué, dit-elle, c'est que les gendarmes lui ont dit qu'elle irait « aux galères »
ou qu'on lui couperait le cou si elle ne disait pas ce qu'elle a dit à l'instruction.
Quand M. le Président lui demande quand elle s'est décidée à changer ainsi de système de défense,
la fille Brenner ne veut pas répondre.
Me Le Bail insiste pour que ce point soit éclairci.
Jeanne Brenner ne répond pas davantage.
On procède ensuite à l'audition des témoins.
Certaines déclarations sont accablantes.
Malgré cela Yvinec s'obstine à nier.
On n'entend que quelques témoins, à cinq heures il n'y en a que deux entendus.
L'audience est ouverte à onze heures précises.
La salle, à peu près remplie, est composée presque entièrement d'un public d'hommes,
pour la plupart gens de la campagne.
Les débats continuent par l'audition des témoins.
L'accusé, Yvinec, parait plus inquiet.
Les dépositions de la veille semblent l'avoir un peu déconcerté, mais ne l'ont point abattu.
Presqu'immobile et le corps tourné vers la Cour, il écoute attentivement les témoins qui viennent déposer.
Jeanne Brenner, dont le système de défense a si brusquement et si étrangement varié,
excite aujourd'hui moins d'intérêt.
Elle montre d'ailleurs moins d'assurance qu'hier, et, comme Yvinec,
semble prêter une très grande attention aux témoignages.
On continue à entendre les témoins dans l'ordre de la liste.
Yvinec a réponse à tout.
Son système de défense est bien simple :
il n'a rien vu, rien fait et n'est pour rien dans cette affaire.
Comme il continue à prétendre que la petite fille s'est plainte jusqu'à sa mort d'avoir mal à l'estomac,
M. Frétaud, procureur de République, lui dit :
« Mais il fallait faire venir un médecin,
cette enfant avait de quoi payer. »
M. le Président à Yvinec :
« C'est la première fois que vous faites cette déclaration. »
Hier, la fille Brenner était presque muette,
aujourd'hui elle se défend avec beaucoup d'énergie
et une très grande volubilité.
Comme M. le Président cherche à lui faire expliquer
ce changement, elle rougit et garde le silence.
Les témoins qu'on entend déposent de faits de brutalités, de mauvais traitements commis sur l'enfant par Yvinec
et de certains propos compromettants tenus par lui et par sa co-accusée.
À trois heures, M. Frétaud prononce un réquisitoire et, dans des termes éloquents et énergiques,
réclame du jury un verdict avec circonstances atténuantes pour la fille Brenner
et un verdict sans pitié pour Yvinec, qui, dit l'honorable magistrat, n'a pas été, comme l'assassin du « Len Du »,
un assassin d'un jour, mais a été l'assassin du 15 mars, l'assassin du 1er avril, l'assassin de tous les jours !
Me Le Bail présente ensuite la défense d'Yvinec.
Il essaie de démontrer que la tentative d'assassinat n'est pas établie et que, en ce qui concerne le crime d'assassinat, il n'y a pas de base solide, équitable, sur laquelle les jurés puissent asseoir leur sentence.
On ne peut s'appuyer sur les déclarations de la fille Brenner, d'un autre côté le rapport médical n'est pas décisif,
on n'a donc pas droit de prononcer une condamnation.
« En présence de la gravité de l'accusation qui pèse sur cette femme, en présence du rôle infime qu'elle a joué
dans la soirée du 1er avril, si vous veniez à rapporter contre elle un verdict de culpabilité,
je pourrais moi aussi m'écrier douloureusement : malheureuse, malheureuse fille !»
À sept heures, le jury se retire pour délibérer.
Au bout de vingt minutes, il rentre en séance, rapportant un verdict négatif
en faveur de la fille Brenner qui est acquittée.
Yvinec, déclaré coupable d'assassinat avec admission de circonstances atténuantes,
est condamné à la peine des travaux forcés à perpétuité.
En outre, le récit de la femme Yvinec ne peut être accepté.
En terminant, Me Le Bail dit que la culpabilité d'Yvinec
est au moins douteuse et que, dans toutes les civilisations,
le doute doit profiter à l'accusé.
Me Couchouron plaide à son tour pour la fille Brenner.
Il examine le degré de responsabilité qui peut incomber à sa cliente et dit qu'avant d'apprécier le côté moral des événements,
ce serait faire œuvre injuste que de s'appuyer sur les antécédents d'une accusée.
Me Couchouron combat les charges de l'accusation.
Il examine le rôle de la fille Brenner, sa participation au crime, participation secondaire que lui attribue l'accusation
et soutient que la responsabilité de sa cliente ne l'accuse pas suffisamment pour permettre au jury de rapporter contre elle
le verdict qu'on réclame.
Le défenseur termine ainsi :
Carte postale colorisée - Homme de Gouézec
Bagne en Guyane
Parti de France le 25 janvier 1892
sur le "Ville de St Nazaire"
Arrivé en Guyane le 9 février 1892
Interné aux îles du Salut
le 9 février 1892
Interné à Cayenne
le 19 février 1892
Évadé de la Montagne d'Argent
le 21 mars 1892
Réintégré le 20 mai 1892
Condamné le 6 juillet 1892
1 an de réclusion cellulaire
Évasion, vols qualifiés.
Décédé aux îles du Salut
le 13 octobre 1893