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Fenêtres sur le passé
1890
Un gendre tue sa belle-mère à Lopérec
Source : Le Finistère novembre 1890
Voici quelques détails sur l'assassinat qui a été commis le 16 au village de Pontarmil.
Le meurtrier, Pierre Morvan, exerce la profession de charbonnier.
Il passe pour très violent.
Il y a environ deux ans, un de ses voisins, Vigouroux, lui avait arraché sa femme des mains au moment où,
après l'avoir frappée à coups de pied et à coups de poing, il allait l'étrangler, en lui serrant le cou de toutes ses forces.
La malheureuse râlait déjà.
Le 16, vers dix heures et demie du matin, ce même voisin entendit des cris du côté de la maison de Morvan.
Il courut dans cette direction, pour se rendre compte de ce qui se passait.
La première chose qu'il aperçut, c'est la nommée Jeanne Coué, pauvre vieille femme de 82 ans, belle-mère de Morvan, appuyée contre un lit en face de la porte de la maison qu'elle habitait avec son gendre.
Elle était toute décoiffée et avait la figure et la tête couvertes de sang.
« C'est toi, malheureux, qui vient de mettre dans un pareil état ta belle-mère », cria Vigouroux à Morvan,
qui était sur sa porte, « suis-moi. »
Morvan obéit et il l'emmena à son domicile.
Quand Morvan fut un peu calmé, Vigouroux lu laissa un moment seul avec sa fille, pour mettre ses bêtes aux champs.
Mais Morvan profita de son absence pour s'enfuir et retourner à son domicile
où il se mit de nouveau à maltraiter sa belle-mère.
La petite fille de Morvan, Rose, âgée de 7 ans, accourut bientôt chez M. Vigouroux, pour le prier d'intervenir une seconde fois et d'arracher la pauvre vieille femme des mains de son grand-père.
Vigouroux la suivit.
En entrant dans la pièce du rez-de-chaussée,
il aperçut Jeanne Coué étendue sur le sol.
Son gendre la frappait à coups de pied et elle avait à la tête
une blessure qui saignait abondamment.
Vigouroux enjoignit à Morvan de cesser ses actes de brutalité.
Il envoya chercher un voisin, M. Le Borgne, de Kervez,
et tous deux essayèrent, mais en vain,
d'arrêter le sang qui inondait la tête de la victime.
Vers une heure, elle perdit complètement connaissance
et vers quatre heures rendit le dernier soupir.
Morvan a été arrêté dans la soirée et écroué à la prison de Châteaulin.
Quand on lui a demandé pourquoi il avait tué sa belle-mère :
« Voilà, a-t-il répondu :
Quand je suis rentré à la maison, elle m'a demandé du tabac ;
je lui ai dit que je n'en avais pas ; elle s'est mise à me dire un tas de choses.
Je me rappelle alors que je l'ai frappé, mais je ne sais plus avec quoi ; j'étais trop soûl. »
Nous ne savons ce que la justice pensera de ce système de défense.
En attendant, l'opinion publique est violemment soulevée contre le meurtrier.
Cette affaire est un de ces drames de l'ivresse malheureusement encore assez fréquents dans notre pays,
surtout dans les campagnes.
C'est un acte d'une brutalité révoltante ayant eu pour résultat fatal la mort d'une pauvre vieille de 83 ans.
L'accusé est un nommé Morvan (Jean-Pierre).
Il est âgé de 51 ans et exerce la profession de charbonnier à Lopérec.
Il a la figure ouverte et calme.
Il est habillé comme les campagnards.
Son attitude est bonne.
Il est assisté de Me de Chabre, avocat au barreau de Quimper.
M. Fretaud occupe le siège du ministère public.
Aux pièces à conviction on remarque une paire de sabots, une canne, instruments du crime,
puis le crâne de la vieille Coué.
L'acte d'accusation résume ainsi les faits relevés à la charge de Morvan :
Dans la matinée du 16 novembre 1890, Morvan eut en rentrant chez lui une altercation avec sa belle-mère,
âgée de 83 ans.
Il se jeta sur elle et lui porta avec un bâton des coups tellement violents
que toutes les parties de son corps en furent meurtries et que ses vêtements furent mis en lambeaux.
Un voisin, attiré par les cris, survint et entraîna Morvan loin de chez lui en tentant de le calmer.
Mais l'accusé revint quelques instants après et sans aucune provocation se jeta de nouveau sur sa belle-mère
et lui porta un coup de sabot à la tête.
Jeanne-Marie Coué s'affaissa baignée dans son sang.
Morvan allait encore la frapper lorsqu'on parvint à le maîtriser.
Sa belle-mère avait le crâne fracturé et elle expira quelques heures plus tard,
sans que le meurtrier eût manifesté ses regrets du crime qu'il venait de commettre.
L'accusé, pour sa défense, prétend qu'il était en état d'ivresse
et qu'il n'avait pas conscience de ses actions.
Mais l'information a établi que si Morvan avait bu quelques verres d'eau-de-vie dans la matinée du 16 novembre 1890,
il n'avait nullement perdu la raison.
Sa réputation est détestable :
En 1889, il a été condamné correctionnellement à quinze jours
de prison pour vol.
Ivrogne et incorrigible, il devient, lorsqu'il a bu, querelleur, brutal et, véritablement dangereux.
Il a plusieurs fois exercé des violences sur la personne de sa femme et souvent proféré des menaces
contre sa belle-mère.
Après les formalités d'usage, M. le président interroge l'accusé.
D. — Depuis combien de temps êtes-vous marié ?
R. — Depuis 28 ans.
M. le président fait remarquer que l'accusé s'enivrait souvent, travaillait fort peu
et se livrait souvent à des actes de violence.
L'accusé. — Je ne frappais pas souvent, mais j'ai une mauvaise boisson.
M. le président fait observer à Morvan qu'il est brutal et violent et qu'il frappait non seulement les étrangers,
mais aussi ses parents.
Morvan. — J'ai saisi quelquefois ma femme, mais je ne l'ai pas frappée.
D. — Vous la frappiez avec la dernière des brutalités et souvent on a dû l'arracher de vos mains ?
R. — Ce n'est pas vrai,
D. — Votre femme déclare que vous frappiez aussi votre belle-mère ?
R. — Elle ne dit pas la vérité.
D. — Depuis quand habitiez-vous avec votre belle-mère ?
R. — Depuis 28 ans.
D. — Vous trouviez que c'était trop longtemps ?
R. — Je n'ai pas dit cela.
D. — Cependant, vous avez tenu ces propos :
« Vieille g..., tu seras cause que j'irai aux galères ! »
Ou bien : « Je ne serai content que lorsque je t'aurai tuée ! »
R. — Je n'ai jamais dit cela ; mais j'ai appelé quelque fois ma belle-mère : « vieille g... »
En somme, Morvan nie les propos et les coups qu'on lui reproche d'avoir porté à sa belle-mère.
M. le président insiste.
D. — N'avez-vous pas dit à plusieurs personnes
« qu'il fallait que votre belle-mère disparût,
que vous aviez sa vie entre vos mains ? »
R. — Je n'ai pas tenu ces propos-là, à ma connaissance.
M. le président. — Des témoins vous le diront tout à l'heure.
M. le président arrive à la scène du meurtre.
D. — Le 16 novembre, vous avez bu avec Glémarec ?
R. — Nous avons bu à la maison un quart d'eau-de-vie à nous deux, puis un autre quart ou un 1/2 quart dans un débit.
M. le président. — D'après certains témoins, messieurs les jurés, Morvan n'était pas ivre.
Morvan prétend avoir bu encore de l'eau-de-vie après ces consommations et soutient qu'il était ivre alors.
D. — Eh ! bien quand votre belle-mère est rentrée, il y a eu une scène entre elle et vous ?
Que lui avez-vous dit, voyons ?
R. — Ma belle-mère m'a demandé du tabac, et comme je lui disais que je n'en avais pas, elle m'a chicané ;
il faut croire que je lui ai dit quelque chose.
D. — Et puis ?
R. — Et puis, je l'ai frappée.
D. — Comment l'avez-vous frappée ?
R. — Je ne me souviens plus.
D. — Des témoins vous ont vu poursuivre votre belle-mère ;
vous l'avez atteinte et portée dans vos bras à la maison pour mieux la frapper ?
R. — C'est possible, mais je ne m'en souviens pas.
D. — Un témoin a vu d'abord votre belle-mère toute en sang.
R. — Je ne peux pas vous dire si c'est vrai.
D. — Un autre témoin, Vigouroux, a essayé de vous calmer ?
R. — Certainement, si je n'avais pas été ivre, j'aurais souvenance de quelque chose.
D. — Vigouroux vous a emmené chez lui ; puis, ayant eu besoin de sortir, il vous a laissé dans sa demeure.
R. — Oui, il m'a dit cela après.
D. — Eh ! bien, vous êtes retourné chez vous ; vous avez saisi de nouveau votre belle-mère,
et lorsque vous l'avez eu renversée à terre, je prends l'expression d'un témoin,
« vous lui avez défoncé le crâne à coups de sabots. »
R. — J'ai dû lui faire cela, puisque c'est arrivé.
D. — Vous alliez encore la frapper de nouveau, lorsqu'on vous en a empêché.
R. — On m'a dit cela.
D. — On vous a engagé alors à solliciter le pardon de la pauvre femme, qui allait mourir ?
R. — Peut-être bien, je ne sais pas.
D. — Je le sais, moi ;
des témoins disent que la pauvre vieille, voulant vous pardonner votre action, vous a tendu la main ;
vous la lui avez refusée.
R. — Je ne me souviens de rien.
D. — Vous êtes allé le lendemain dans une auberge, où vous avez joué une comédie
que nous allons voir se continuer à l'audience.
Vous faisiez semblant d'être en état d'ivresse ?
R. — Je ne faisais pas semblant d'être ivre.
Sur une question de M. le président, Morvan nie avoir, la nuit suivante, chez Corcuff, tenu ce propos :
« C'est moi qui ai tué cette vieille canaille ! »
On passe ensuite à l'audition des témoins, dont voici les plus importants :
M. le docteur Baley, qui a fait l'autopsie du cadavre de la femme Coué,
déclare que tout le corps était couvert de lésions, surtout à la tête ;
puis, prenant en mains le crâne de la victime, il montre aux jurés l'endroit de la fracture.
M. Baley dit que cette fracture a occasionné une hémorragie qui a causé la mort, survenue après 5 minutes d'agonie.
Sur interpellation du président :
— L'accusé a dû s'acharner sur sa victime et porter des coups terribles.
Vigouroux (François), de Lopérec, dépose ensuite.
Sa déposition confirme de tous points les faits reprochés à Morvan dans son interrogatoire.
Le témoin ajoute que Morvan est un homme dangereux quand il a bu.
Un jour, le témoin a sauvé la vie à sa femme ; il a reçu de lui un coup de sabot.
Morvan. — Il y a longtemps qu'on me connaît dans le pays, et, certainement à jeun, je ne suis pas méchant.
Rose Morvan, âgée de huit ans, petite-fille de l'accusé,
dit avoir vu son grand-père prendre un bâton derrière la porte
et frapper sa grand'mère partout où il pouvait.
Le Borgne (Yves), de Lopérec, connaît Morvan depuis son enfance.
Appelé, dit-il, par la petite Morvan pour secourir sa grand'mère,
je me suis rendu au plus vite.
Quand j'ai voulu empêcher Morvan de frapper pour la troisième fois sa belle-mère, il a dit :
« Laisse-moi, il y a dix ans que j'aurais dû tuer cette vieille g.., ! »
J'ai réussi, à force de menaces, à le calmer
mais il faisait semblant d'être ivre.
Sur interpellation de M. le président :
— Morvan passait pour brutaliser toute sa famille.
Les autres témoins viennent affirmer que le jour du crime,
Morvan n'était pas aussi ivre qu'il voulait bien le faire paraître.
Enfin, une femme Corcuff, belle-sœur de l'accusé,
dit que celui-ci, quand il a bu, est méchant, querelleur,
cherchant chicane à tout le monde, grands et petits.
Il a battu souvent sa femme et sa belle-mère.
Sur interpellation de M. le président :
— La nuit qui a suivi le crime, dans la chambre de la morte, Morvan a dit :
« Je ne regrette pas d'avoir tué la vieille ; seulement c'est malheureux pour mes enfants. »
Morvan ne semblait pas ivre.
Le témoin Le Borgne, rappelé, dit, sur interpellation de M. le président :
— J'affirme que Morvan voulait retourner une troisième fois frapper sa belle-mère et qu'il a dit :
« Il y a dix ans que j'aurais dû faire son affaire ! »
Me de Chabre. — Le témoin croit-il que Morvan voulait tuer sa belle-mère ?
Le témoin. — Je le suppose, car il savait bien qu'il l'avait assez massacrée.
M. le président dit qu'il posera la question de préméditation.
M. Fretaud, procureur de la République, prononce le réquisitoire.
Nous sommes appelés, dit l'honorable magistrat, à assister à des affaires de nature toute différente,
et je puis dire que si l'on compare celle que je vous ai présentée hier à celle que je vous présenterai tout à l'heure,
nous sommes frappés tout d'abord d'un contraste saisissant.
Hier, c'était un :
jeune homme qui faisait la chasse aux enfants et aux jeunes filles, qui voulait assouvir d'ignobles passions.
Aujourd'hui, j'accuse un homme âgé, plus que mûr, (il a 51 ans), d'avoir torturé, martyrisé,
tué une vieille femme de 83 ans.
M. Fretaud fait ensuite le tableau du ménage des époux Morvan,
où vivaient également un vieillard et une petite fille de huit ans ;
puis il dépeint le caractère de l'accusé, le représente méchant, dangereux,
inspirant la terreur aux siens et aux gens du voisinage, avec qui souvent il a des discussions, des querelles ;
il le montre brutal, terrible à l'égard de sa femme, un ange de douceur, presque un martyr volontaire.
L'honorable magistrat fait un tableau saisissant de la situation
de ce vieillard dans la maison de Morvan :
cette vieille bonne femme, saine de corps,
dont les jours sont comptés, mais qui pouvait encore fournir
une certaine carrière, avait les infirmités de la vieillesse ;
elle était chancelante, elle ne pouvait pas se défendre
si on l'attaquait.
Ah ! Oui, elle était radoteuse, comme beaucoup de vieillards ;
mais si elle faisait des observations, elle voulait défendre sa fille ; elle savait que celle-ci était le roseau qui plie devant le tyran.
L'organe du ministère public, rappelant le propos de Morvan, explique comment celui-ci a concentré
sur la vieille femme toutes ses haines, toutes ses rancunes ;
puis l’idée du meurtre est entrée dans l'esprit de cet homme dégradé, essentiellement égoïste.
Arrivant au drame accompli le soir du 16 novembre, M. Fretaud en retrace les détails en termes émouvants, et, prenant les faits mêmes, l'acharnement de l'accusé sur sa victime, les propos qu'il a tenus,
fait ressortir la préméditation, la volonté homicide préparée d'avance.
Demanderai-je la peine de mort ?
Non. Je m'abstiens le plus possible de demander le châtiment suprême.
Vous verrez, messieurs, ce que vous devez faire.
Ce que je veux, c'est une peine grave.
Je vous demande de vous tenir sur la question juridique, car vous êtes souverains appréciateurs de l'affaire.
Je dis, messieurs, que cet homme, qui a commis un pareil forfait,
n'est plus digne de vivre de la vie sociale et doit être retranché de ses concitoyens.
La parole est à Me de Chabre, défenseur de l’accuse.
Vous n'avez pas, dit l'honorable avocat, à vous préoccuper des conséquences de l'acte accompli,
mais bien de l’intention de l’agent.
Vous avez à vous demander si vous n'avez pas devant vous une scène de sauvagerie profonde
que tout le monde doit regretter, ou si vous êtes en présence d'un crime qu'on doit châtier.
Si la thèse de M. le procureur est vraie, pourquoi n'a-t-il pas requis l'expiation suprême ?
Le procureur s'est arrêté ;
il a eu raison, car les premiers magistrats qui ont examiné l'affaire n'ont pas osé venir dire avec certitude,
ou même présumer, que Morvan était coupable d'assassinat,
et l'acte d’accusation relève seulement la question d'homicide.
Étant donné l'état mental de cet homme, son état d'ivresse habituel, est-il possible de soutenir qu'il ait eu l'intention bien arrêtée de commettre un crime ?
Abordant les faits de l'accusation, Me de Chabre soutient qu'ils ne sont pas démonstratifs de la préméditation,
et prétend que la solution vraie de l'affaire est simplement celle-ci :
Des coups sans intention de donner la mort.
Quelle que soit la solution que vous adoptiez, dit Me de Chabre en terminant,
je vous demande de ne pas prononcer la peine capitale ;
je vous demande de ne pas oublier que la pauvre vieille qui est morte a pardonné à Morvan, et si elle a pardonné,
vous ferez comme elle ;
vous ne vous montrerez pas plus sévères que la victime.
Quel que soit donc votre verdict, mitigez-le, messieurs, par des circonstances atténuantes.
Le jury écarte la préméditation.
Morvan, déclaré coupable d'homicide volontaire, sans circonstances atténuantes,
est condamné aux travaux forcés à perpétuité
Bagne de la Nouvelle Calédonie
Embarqué le 17 octobre 1891
sur le transport "la Calédonie"
Décédé le 15 mai 1899