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Fenêtres sur le passé
1889
La prostitution à Brest
Source :
LA PROSTITUTION AU POINT DE VUE DE L'HYGIENE ET DE L'ADMINISTRATION EN FRANCE ET À L'ÉTRANGER
PAR LE DOCTEUR L. REUSS
1889
PARIS
LIBRAIRIE J.-B. BAILLIÈRE ET FILS
19, rue Hautefeuille, près du boulevard Saint-Germain
1889 – La prostitution à Brest
Les renseignements contenus dans ce chapitre sont dus à l'obligeance de M. le Dr Ad. Duchateau,
professeur de clinique médicale à l'École de médecine navale.
Brest est un de nos grands ports de guerre, un de nos arsenaux les plus importants ;
sa population fixe en fait une des premières villes de France, car elle est de près de 70,000 habitants ;
sa population flottante, représentée par le personnel des différents corps de la marine et de l'armée de terre
qui y sont casernés, par les étrangers venus de France ou par ceux que les navires y débarquent incessamment
fait monter ce chiffre à plus de 90,000 individus.
Au point de vue de la prostitution, Brest est donc une ville intéressante à étudier.
Les marins qui reviennent dans leur patrie, y arrivent avec un besoin,
longtemps contenu et d'autant plus impérieux, de jouissances de toutes sortes.
Après les interminables voyages sur mer, les privations, l'abstinence forcée interrompue de loin en loin par une bordée tirée à une escale quelconque,
les marins débarquent assoiffés de liberté, impatients de boire, de faire l'amour,
de dépenser et leurs forces vives et l'argent qu'ils ont économisés
pendant de longs mois.
Ils se ruent à l'assaut des cabarets et des maisons de tolérance,
ils se pressent à la porte des filles en carte
Les soldats de la garnison, ceux de l'armée de terre comme ceux de l'armée de mer, s'adressent au contraire
de préférence aux prostituées clandestines.
Il est évident qu'avec de pareils éléments de désordres et de scandales l'administration devait se préoccuper
d'établir une réglementation de la prostitution.
Brest possède, en effet, un service des mœurs qui est placé sous la direction du Commissaire central de Police.
Il comprend cinq fonctionnaires, à savoir : un secrétaire, un brigadier et trois inspecteurs
qui sont spécialement chargés de la surveillance des maisons de tolérance et de celle des filles publiques.
Ce service est chargé de l'enregistrement des prostituées et de la répression des délits qu'elles commettent :
il est complété par l'adjonction d'un dispensaire.
La direction du dispensaire est confiée à un médecin civil, qui porte le titre de médecin du dispensaire.
Il est assisté d'un médecin de première classe de la marine, qui fait au dispensaire une corvée de trois mois,
à l'expiration de laquelle il est remplacé par un autre officier du même grade,
suivant un tableau de roulement déterminé d'avance.
Le médecin d'un des régiments d'infanterie de ligne casernés dans la ville,
doit également assister aux visites.
C'est, en général, un médecin major de seconde classe
qui est désigné pour ce service.
Mais, comme les troupes de ligne sont peu nombreuses à Brest,
le médecin de l'armée s'abstient le plus souvent de venir au dispensaire.
Les visites des filles isolées et des mineures sont gratuites :
elles ont lieu au dispensaire.
Les visites des filles en maison se font à domicile.
Les maîtresses de maison payent une taxe mensuelle de 1 fr. 50
pour chacune des filles qui se trouvent chez elles.
En 1877, il y avait encore vingt-sept maisons publiques.
Leur nombre diminue donc, comme ailleurs, et la cause de la disparition progressive des maisons de tolérance
doit être attribuée, à Brest comme partout, au développement et à l’extension de la prostitution clandestine.
La police a pris, vis-à-vis des lupanars, les mêmes arrêtés que ceux qui sont en vigueur à Paris ;
mais, moins tolérante que l'administration parisienne, elle ne permet pas au mari d'une patronne de loger
dans la maison de tolérance.
Les pénalités encourues par les maîtresses de maison pour les contraventions au règlement,
sont l'avertissement, la fermeture temporaire de la maison et enfin le retrait définitif de la tolérance.
Les filles isolées qui contreviennent aux règlements de police sont punies d'une amende
ou d'un emprisonnement variant de trois jours à un mois.
Les prostituées atteintes de maladies vénériennes sont soignées à l'hôpital du dispensaire.
On compte de ce chef environ 112 entrées par an.
Dans ce chiffre la proportion des prostituées clandestines arrêtées
et reconnues malades est de 39, eu égard à celle des filles inscrites isolées ou en maison, qui est de 73.
Les filles soumises seraient donc plus atteintes que les clandestines,
à première vue.
Mais il suffit de se rappeler que les médecins du dispensaire
font par année environ 900 visites sanitaires.
Les examens de filles clandestines sont infiniment moins nombreux,
et l'on est en droit de conclure, malgré l'apparence des chiffres,
que les filles soumises sont moins souvent malades que les clandestines.
La syphilis paraît du reste demeurer stationnaire à Brest ;
on n'a pas observé, depuis une série d'années,
de diminution sensible dans la fréquence des cas ;
Brest
Quartier des Sept-Saints 1895
on peut affirmer, cependant, que ses manifestations sont moins graves et moins intenses qu'autrefois ;
à ce propos, je crois intéressant de signaler que la syphilis cérébrale se rencontre, à Brest,
peut-être un peu plus souvent qu'ailleurs.
Les causes de la prostitution sont les mêmes que celles que j'ai étudiées dans la première partie de ce livre.
La misère s'y trouve au premier rang ;
l'abondance des cabarets et des débits de boissons y joue un rôle important.
Les filles de la basse classe de la population prêtent volontiers une oreille attentive aux insinuations
et aux excitations des patronnes de ces cabarets ;
en poussant ces jeunes filles à la débauche, celles-ci espèrent achalander leurs établissements ;
beaucoup se laissent prendre à ces promesses mensongères et à l'appât de la vie d'oisiveté et de délices
que ces mégères leur ont dépeinte sous les plus riantes couleurs.
Les jeunes ouvrières apportent un contingent important à la prostitution clandestine ;
le goût du luxe et de la toilette, l'amour du plaisir, une première séduction sont, ici comme à Paris,
les causes prédominantes de leur perte.
Brest doit enfin au genre de sa population même une espèce particulière de prostitution.
Je veux parler des femmes de marins que l'absence de leur mari, la pénurie des ressources et les embarras d'argent jettent peu à peu dans la prostitution clandestine et font arriver plus ou moins vite à la prostitution tolérée.
Ces femmes, que la misère seule a d'abord poussées à la débauche,
perdent le goût du travail et finissent par demander à la prostitution
toutes les ressources dont elles ont besoin ;
après plusieurs arrestations, elles sont inscrites d'office.
La prostitution clandestine s'épanouit de plus en plus à Brest ;
elle n'y revêt pas les dehors brillants qui la rendent si attrayante à Paris
et dans d'autres grandes villes ;
mais elle n'en est pas moins dangereuse.
Les brasseries à femmes, telles que nous les avons à Paris, sont inconnues ;
il n'y a pas non plus de maisons de passe.
Ces établissements sont remplacés par des débits de boissons,
notoirement connus, où les filles mènent leurs galants pour faire une passe,
où les bonnes et les domestiques se livrent habituellement à la prostitution avec les clients, de l'assentiment des patrons.
Ces débits sont au nombre d'une cinquantaine environ.
Il convient de placer dans la même catégorie, certains cafés-chantants où l'on fait de la mauvaise musique
et qui sont très fréquentés par les marins, les soldats et la population ouvrière.
Les artistes de ces cafés, mal payées, font toutes de la prostitution clandestine.
La liberté des débits de boissons est une des principales causes de l'accroissement de la prostitution.
La concurrence est formidable.
Les débitants, pour retenir la clientèle, sont obligés de lui offrir certains avantages ;
ils ne peuvent pas indéfiniment abaisser le prix des consommations, et beaucoup d'entre eux seraient obligés
de fermer leur boutique, s'ils n'avaient imaginé d'y attirer les consommateurs
en mettant à leur disposition les jeunes filles qui servent dans l'établissement.
Les patrons et les patronnes de ces débits engagent donc des filles, souvent jeunes et jolies,
qui officiellement ne sont là que pour servir à boire aux clients.
Ils les poussent à se prostituer ; si elles s'y refusent, elles sont immédiatement mises à la porte.
Le prix des passes dans ces établissements, varie de vingt-cinq centimes à deux francs,
suivant le débit et la clientèle qui le fréquente.
Les prostituées de Brest sont presque toutes originaires de la Bretagne ;
les filles isolées et les clandestines sont en majeure partie nées dans la ville même ou dans ses environs immédiats.
Les maîtresses de maison s'approvisionnent de filles à Nantes, à Rennes, à Lorient, à Quimper,
à Morlaix et jusqu'à Rouen et au Havre.
Partout où il y a des prostituées, il y a des souteneurs.
Brest n'en est pas plus à l'abri qu'aucune autre ville.
Les éléments divers qui concourent à former les bas-fonds
de la population impriment à ces souteneurs un caractère particulier de sauvagerie et de férocité.
La police les traque et les surveille ; au moindre délit, ils sont déférés aux tribunaux.
L'administration de la marine et celle de l'armée sont toutes deux
Brest
Quartier des Sept-Saints 1870
également intéressées à la bonne réglementation et à la surveillance de la prostitution.
Toutes deux doivent veiller à la santé des troupes dont elles ont la direction.
Aussi les militaires et les marins malades sont-ils tenus, par un règlement,
de faire connaître au médecin de leur corps le nom et l'adresse de la femme qui les a contaminés.
Ce règlement est malheureusement d'une application difficile.
Ni marins, ni soldats se soucient fort de donner ce nom et cette adresse ;
ils se retranchent souvent derrière leur ignorance absolue ;
ils allèguent avoir été en état d'ivresse et ne pas se rappeler où la femme qui les a raccrochés les a menés.
Il est certain que, pour les marins du moins, les choses se passent très fréquemment de cette façon.
Quand les rapports ont eu lieu dans un débit de boissons, la peur d'une vengeance empêchera
la plupart du temps le marin ou le soldat contaminé de révéler l'adresse de ce débit.
En un mot, les mêmes raisons qui empêchent à Paris ce système de délation de donner les résultats
qu'on était en droit d'en attendre, existent à Brest et l'on verra, par la suite de ces études, que nulle part,
à l'étranger comme en France, un seul pays excepté, on ne peut obtenir des militaires des renseignements exacts
sur l'origine de leur contamination.
Brest possède quelques Refuges dans lesquels on reçoit les prostituées qui veulent renoncer à leur métier.
Elles sont rayées des contrôles de la police, lorsque l'administration s'est assurée de la fermeté de leurs résolutions.
Ces refuges, dirigés par des sœurs et placés sous la surveillance de dames charitables, sont en général des ouvroirs.
Les pensionnaires y sont astreintes à un travail assez dur.
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