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Fenêtres sur le passé

1888

Le kiosque à musique du champ de bataille à Brest

Source : le Petit Brestois janvier 1888

 

Le kiosque à musique du Champ de Bataille à Brest

 

 

En principe, nous ne sommes pas partisan d'un kiosque pour la musique ;

ce n'est pas, en effet, en montant des musiciens sur une estrade que l'on obtient de meilleurs résultats,

au point de vue de l'acoustique, car, le son monte et parvient d'autant moins bien aux oreilles des auditeurs,

que vous élevez les musiciens.

 

Et, en effet, au théâtre, l'orchestre est placé aussi bas, que possible pour que chanteurs et spectateurs

puissent le dominer.

 

Sur le cours d'Ajot, il faut monter dans les allées du square pour bien entendre la musique.

 

Donc pas de kiosque sur le Champ-de-Bataille ou ailleurs, mais, si l'on veut,

une plate-forme ou tout au moins un béton pour que les musiciens ne stationnent plus dans la boue.

Si nous revenons longuement sur la question de construction

d'un kiosque, c'est que nous croyons qu'en général,

les amateurs de musiques militaires en sont partisans ;

nous venons de dire pourquoi nous n'en voulons pas,

et nous publions aussi les raisons données par M. Prax

promoteur de la question, pour qu'au contraire

ce projet soit mis à exécution ;

nous publions son discours en entier, parce qu'il répond

d'une façon très sensée à certains arguments de la commission

qui a conclu au rejet de la proposition.

 

M. Prax, prend la parole en ces termes :

 

Brest Kiosque _03.jpg

Dans une précédente réunion du Conseil, j'ai eu l'honneur, mes chers collègues, de vous proposer

l'érection d'un kiosque, pour les musiciens sur la place du Champ de Bataille.

 

Cette proposition a été approuvée par plusieurs membres du Conseil et M. Le Maire, nous a appris que lui-même avait, quelque temps auparavant, saisi la Commission des travaux, d'une semblable proposition, qui avait été rejetée.

 

Je vous avouerai qu'en faisant cette proposition, je ne pensais pas rencontrer une opposition aussi sérieuse,

pour une chose aussi utile.

 

Il y a pourtant plus d'arguments à présenter, en faveur du kiosque que contre son érection.

 

Dans les principales villes de France, Marseille, Le Mans, Laval, Lorient, Niort, Toulon, Douai, Rennes, Angers, etc. etc. des kiosques élégants ont été élevés et l'on aurait mauvaise grâce de discuter leur utilité et le bon goût

qui a présidé à leur Construction.

Citons en passant celui d'Angers, qui est un véritable

petit chef d'œuvre d'art et d'élégance.

 

Les municipalités de ces villes ont été soucieuses de mettre

les musiciens à l'abri du soleil et des intempéries des saisons

et le public, plus à son aise pour voir et entendre les exécutants.

 

Dans notre ville, le besoin s'en fait sentir, plus que partout ailleurs.

 

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Pendant la mauvaise saison qui dure à Brest, 8 mois de l'année et même pendant l'été, à certains jours de la semaine, les musiciens jouent sur le Champ de Bataille.

 

La plupart du temps les musiciens y sont les pieds dans la boue sans bouger de place.

 

Quand il fait du soleil et quelquefois il est très chaud, ils y sont exposés, l'ayant souvent dans les yeux

et ils se trouvent ainsi gênés, pour lire leur musique, par la réverbération de cet astre, sur leurs instruments en cuivre.

 

Très souvent par les vents de nord et de nord-ouest, le temps est assez beau, mais des alternatives de pluie

et de soleil, il pleut pendant cinq minutes et le soleil reparait aussitôt plus brillant que jamais.

 

Le public habitué à ce temps n'a pas quitté la place, mais les musiciens ont plié bagages à la première goutte de pluie laissant les spectateurs désappointés et mécontents.

 

La plupart du temps, surtout quand joue la musique des équipages de la flotte, si douce et si harmonieuse,

il est presqu'impossible à qui n'est pas dans les premiers rangs des spectateurs d'entendre distinctement

les instruments, surtout les solis de petite flûte, de clarinette et de haut bois.

Les personnes qui prennent des chaises doivent se résigner d'avance à ne rien entendre, il en serait autrement si autour

d'un kiosque, comme cela se fait dans beaucoup d'endroits,

on plaçait plusieurs rangs de chaises, sur lesquelles les personnes assises aux premiers rangs n'empêcheraient pas celles

qui désirent rester debout de voir et d'entendre les musiciens.

 

D'après le rapporteur de la Commission des travaux,

le kiosque n'a sa raison d'être que dans un square entouré

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de verdure à l'ombre des arbres, je lui ferai observer que presque partout les kiosques sont placés sur des places

dans le genre du Champ de Bataille et cela se comprend, s'il y avait de l'ombre pour abriter les musiciens,

la construction d'un kiosque deviendrait superflue.

 

S’il aime la verdure l'on peut établir comme presque partout au tour du kiosque, un tertre en gazon,

dans lequel on placerait des fleurs de toutes sortes suivant la saison en ayant soin de dissimuler

dans la terre les pots qui les contiennent.

 

M. le rapporteur ajoute que la place est si nue que le kiosque placé au milieu du Champ de Bataille lui ferait l'effet d'un vaste parapluie ouvert.

Qu'il se détrompe : j'ai eu l'honneur de voir le profil du kiosque choisi par la Commission, il est très élégant, très gracieux,

à mon avis la Commission a eu très bon goût en le préférant

à tout autre, il sera loin de produire mauvais effet, au contraire,

il sera le complément de l'ornementation de la place.

 

Son expression d'immense parapluie ouvert,

n'est pas tout à fait heureuse.

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Le mot, en tous cas, serait plus approprié en cette circonstance, car ce kiosque, sera non seulement un parapluie

pour les musiciens, mais le plus souvent il leur servira de parasol, car il est aussi et plus particulièrement

destiné à les garantir du soleil en y joignant le grand avantage de les empêcher d'avoir les pieds dans la boue

pendant près de deux heures et celui de permettre au public de les voir et de les entendre.

 

Dans l'été la construction de ce kiosque permettrait de satisfaire tout le monde, car il sera éclairé au gaz

et les musiciens pourront jouer à partir de huit heures du soir, heure à laquelle chacun,

la journée et le repas terminés pourra aller les entendre.

 

Quand une ville a la bonne fortune de posséder une des meilleures musique de France,

la rivale de la garde Républicaine, j'ai dit la musique de la marine, soit dit en passant sans porter atteinte

aux musiques de la garnison, qui tous les ans sont obligées de renouveler leurs musiciens,

cette ville doit s'imposer quelques sacrifices pour la mettre en relief, non seulement pour l'agrément

de ses habitants, mais encore pour retenir dans ses murs les nombreux étrangers qui viennent visiter notre bel arsenal et notre rade magnifique.

Il y a encore un autre avantage pour le public, c'est celui de pouvoir entendre

de temps à autre les élèves du Choral Chevé à qui la ville donne une subvention annuelle et dont peu de personnes ont eu le bonheur de pouvoir apprécier les talents.

 

Cela permettrait en outre d'organiser de temps à autre des festivals publics

où la musique vocale alternerait avec la musique instrumentale.

 

Quant au prix du kiosque, la dépense est minime, si on la compare à la grande utilité

et à l'agrément que cet édifice procurera à la population.

 

Dans notre ville où les travailleurs et les petits employés sont en grand nombre,

trop peu de plaisirs gratuits sont à leur disposition pour que nous négligions

de leur faire entendre la musique, quand le temps est incertain,

ce qui arrive malheureusement trop souvent.

 

Malgré la décision défavorable de la Commission,

vu l'utilité du kiosque et les bonnes raisons qui militent en sa faveur.

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Émile-Joseph-Maurice Chevé

Professeur de musique,

Né à Douarnenez (Finistère)

le 1er juin 1804

Mort à Paris le 26 août 18641.

Fondateur de la Société chorale Galin-Paris-Chevé.

J'ai l'espoir que les membres de cette commission revenant sur leur première décision,

se joindront au reste du Conseil pour en voter la construction le plus tôt possible et satisfaire ainsi le vœu

de la plus grande partie de la population.

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