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Fenêtres sur le passé

1888

Les criminelles de Kervalon à Brest

Source : la Dépêche août 1888

 

Les criminelles de Kervalon à Brest

Jeudi 16 août

 

Le cadavre a été découvert par des sergents du 19e régiment d'infanterie qui se promenaient

aux environs des douves des fortifications de Recouvrance.

 

Après s'être approchés de celui qu'ils croyaient être un vagabond ou un simple dormeur,

ils constatèrent que le visage portait de nombreuses blessures et était couvert de sang.

 

La gendarmerie fut prévenue et la levée du corps eut lieu dans l'après-midi, en présence de M. le docteur Brémaud.

 

On avait d'abord admis l'hypothèse d'un accident ou d'un suicide, mais il fut impossible de douter,

après les premières constatations, qu'on ne fût en présence d'un crime.

 

Le cadavre se trouvait étendu à une trop grande distance du mur pour que la mort fût le résultat

d'une chute volontaire ou accidentelle.

Il était évident que l'homme n'était pas tombé,

mais qu'on l'avait lancé dans le vide.

 

Le corps fut aussitôt reconnu.

 

La victime était un sieur Le Goff, âgé de 37 ans,

demeurant rue Kéréon n° 1.

 

Le parquet fis transporter le cadavre à l'hospice,

où l'autopsie fut pratiquée par les soins du docteur Brémaud.

 

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Sur ces entrefaites on découvrit que les coupables pouvaient bien être la femme de la victime et l'une de ses amies,

la nommée Mouster, née Ferrec.

 

On les arrêta et elles furent confrontées avec le cadavre de Le Goff.

 

En même temps l'enquête établit que les deux femmes avaient passé la soirée du lundi aux Quatre-Moulins

chez le père de Le Goff.

 

Elles s'efforcèrent de griser celui qu'elles songeaient déjà à tuer et n'y réussirent que trop bien,

car le malheureux s'y prêtait de bonne grâce.

 

Vers neuf heures et demie, ils se rendirent tous trois à l'établissement du Petit-Jardin,

où ils firent de nombreuses libations.

 

Détail qui fut remarqué et qui aura son importance, Le Goff se grisait de boissons fortes,

tandis que sa femme et sa complice ne se faisaient servir que de la limonade.

Elles avaient besoin de sang-froid.

 

Puis, elles sortirent, entraînant le malheureux,

qui ne pouvait plus se soutenir,

et on les vit descendre ensemble la rue de Brest.

 

Là, on perd leur trace.

 

Elles allèguent, pour se défendre, qu'effrayées par la rencontre

de trois individus qui les menaçaient, elles se sont enfuies

en abandonnant Le Goff au coin de Prat-Lédan.

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Elles seraient alors rentrées chez elles et se seraient couchées tranquillement sans souci du sort de l'homme

qu'elles avaient laissé aux prises avec les prétendus agresseurs.

 

Ce système ne se soutient pas.

 

Interrogées sur le signalement des individus qui les auraient attaquées,

elles ont fait des réponses et donné des indications contradictoires.

 

De plus, des témoins ont affirmé les avoir rencontrées à dix heures et demie sur la route de Saint Renan,

à l'intersection du sentier qui conduit au lieu du crime.

 

Nous croyons savoir que l'autopsie a fourni des constatations précieuses.

 

Hier, à deux heures de l'après-midi, MM. Perrussel, substitut du procureur de la République,

et Guicheteau, juge d'instruction, accompagnés de M. le docteur Brémaud et de M. le maire de Saint-Pierre,

se sont transportés à l'endroit où le corps a été retrouvé.

Après avoir relevé le plan du terrain,

les magistrats ont procédé à un nouvel interrogatoire.

 

Nous nous contentons aujourd'hui, pour tout commentaire,

de dire que les antécédents des deux accusées sont des plus mauvais.

 

Elles ont subi, l'une et l'autre, de nombreuses condamnations,

et la femme Moustier, notamment, est connue pour exciter

les souteneurs contre les passants attardés.

 

Le Goff vivait séparé de sa femme.

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Ils ne se rencontraient qu'à de rares intervalles et des disputes violentes étaient le résultat habituel

de ces tentatives de rapprochement.

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Source : Le Finistère novembre 1888

 

Voici la plus grave affaire de la session.

 

Elle est fixée la seconde de la journée et doit comporter au moins deux journées d'audience.

 

La salle, à peu près remplie, est composée presqu'entièrement d'un public d'hommes.

 

Les deux accusées, amenées par les gendarmes, montent sur le banc.

 

Elles se nomment :

1° Marie-Yvonne Stéphan, veuve Le Goff, 28 ans.

2° Victorine-Désirée Férec, femme Mouster, toutes deux sans profession, demeurant à Brest.

 

Cette dernière, habillée à la mode de Crozon, a une physionomie douce, point laide.

 

Elle est vêtue simplement et a l'air accablé.

 

Par moments elle pleure et tient son mouchoir blanc dans les mains.

 

Elle est éloignée de sa co-accusée et tout au bout du banc.

La veuve Le Goff, plus âgée en apparence que les 28 ans

que lui attribue l'état-civil, a les traits durs,

la mine tranquille et le maintien calme.

 

Elle aussi pleure en s'asseyant sur le banc,

mais elle se remet vite et promène un regard assuré sur l'auditoire.

 

Elle porte le costume de Brest.

 

La veuve Le Goff est assistée de Me de Chabre.

 

Me Le Bail défend la femme Mouster.

 

M. Fretaud occupe le siège du ministère public.

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Au pied du bureau où siège la cour se trouvent les pièces à conviction :

c'est un paquet d'effets ficelé, sans doute les effets de la victime, le malheureux Le Goff.

 

32 témoins doivent être entendus.

 

L'affaire commence à 6 heures du soir par le tirage du jury et les formalités d'usage ;

puis M. le greffier donne lecture de l'acte d'accusation ainsi conçu :

 

Dans la soirée du 12 août 1888, les nommées Stéphan, Marie-Yvonne, femme Le Goff, et Férec, Victorine-Désirée, femme Mouster, se présentaient au bureau de police de Recouvrance pour demander si le mari de la femme Le Goff avait été déposé à la chambre de sûreté pour ivresse.

 

En rentrant chez elle, la femme Le Goff déclarait, que son mari se disputait sur une route avec trois inconnus,

et qu'elle l'avait laissé se quereller.

 

Le lendemain 13, elle priait un témoin de la prévenir si son mari rentrait.

 

Enfin les deux accusées s'empressaient de se présenter dans les bureaux de police de Brest et de Recouvrance

pour faire des recherches au sujet de la disparition du sieur Le Goff.

Toutes ces manœuvres avaient pour but de dépister la justice

et de faire croire, soit à un accident, soit à un crime commis

par des inconnus sur la personne de Le Goff,

alors qu'en réalité les accusées l'avaient assassiné.

 

Bientôt après, le cadavre de Le Goff était découvert

près de la porte du Conquet, dans la douve des fortifications, profonde en cet endroit de 4 mètres.

 

La face tournée contre terre baignait dans le sang.

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La tête se trouvait à 2 mètres 80 du mur, les pieds à 1 mètre 57.

 

La femme Le Goff a été bientôt contrainte de faire des aveux partiels ;

elle reconnaît avoir, de concert avec la femme Mouster, prémédité le crime, fait boire son mari dans ce but,

l'avoir entrainé ivre-mort sur les fortifications, en le tenant chacune par un bras.

 

Son rôle se serait borné là, et la femme Mouster seule aurait précipité Le Goff dans le vide.

 

La femme Mouster proteste de son innocence.

 

L'autopsie a établi que la mort était due, soit à l'asphyxie par suffocation, les deux accusées ayant étouffé Le Goff, soit à une asphyxie produite par la position de la victime, trouvée la face contre terre,

un évanouissement ou une syncope ayant dit suivre immédiatement la chute,

deux personnes de force médiocre ayant pu prendra Le Goff par les pieds et par la tête

et le précipiter du haut du rempart dans la douve.

 

La moralité des deux accusées est déplorable : elles se livraient à l'ivrognerie et à la prostitution.

 

Après leur crime, ces deux femmes amenaient, dans la chambre de la victime,

deux individus dont elles faisaient la rencontre et passaient la nuit avec eux.

La femme Mouster était la maîtresse de Le Goff,

et souvent la femme légitime et la maîtresse partageaient

le même lit avec la victime.

 

Le mobile du crime parait devoir être attribué au désir

de se débarrasser d'un mari et d'un amant

ne voulant plus travailler et par suite devenu une charge.

 

L'audience du samedi 10 novembre est en partie prise

par les interrogatoires des accusées, dont les systèmes

de défense sont tout différents,

la veuve Le Goff rejetant la culpabilité sur la femme Mouster.

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Treize témoins sont ensuite entendus et l'affaire est renvoyée au lundi.

 

Audience du 12 novembre.

 

Tous les témoins sont entendus à cette audience et l'affaire est renvoyée à demain, dix heures et demie.

 

Audience du 13 novembre.

 

À 10 heures et demie, M. Fretaud, procureur de la République, prononce un réquisitoire énergique

et demande au jury d'être sans pitié.

 

Me de Chabre, défenseur de la veuve Le Golf, et Me Le Bail, avocat de la femme Mouster,

défendent habilement leurs clientes.

 

À trois heures, le jury entre en délibération et rapporte, après une demi-heure de délibération,

un verdict de coups mortels, avec admission de circonstances atténuantes en faveur des deux accusées.

 

La Cour rend un arrêt qui condamne la veuve Le Goff à 8 années de réclusion et la femme Mouster à 10 ans

de la même peine, sans interdiction de séjour.

 

La femme Mouster reste insensible.

 

La veuve Le Goff pleure à chaudes larmes, pendant que son père, le vieux Stéphan, lui dit adieu.

 

Après l'audience et avant que les gendarmes amènent les accusées,

la femme Mouster dit à son défenseur, Me Le Bail, qu'elle aurait préféré aller à la Nouvelle-Calédonie.

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