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Fenêtres sur le passé
1887
Morts pour la patrie
Anciens élèves du lycée de Brest
Source : La Dépêche de Brest 3 janvier 1887
Les vacances du 1er janvier ont ramené dans leurs familles, pour quelques jours, les jeunes saint-cyriens,
encore tout frais échappés du lycée, et qui, malgré leurs vingt ans,
aiment les vacances comme leurs plus jeunes camarades encore écoliers.
Quelques mois passés à Saint-Cyr leur ont donné une attitude martiale, une démarche dégagée ;
ils portent fièrement leur shako peu élégant, mais armé d'un plumet splendide.
Braves et vaillants jeunes gens, en vous voyant, je pensais à ceux de vos anciens qui,
comme vous pleins d'enthousiasme pour la gloire de la patrie, n'ont pas voulu, comme ils le disaient,
croupir dans les garnisons et sont allés au loin donner glorieusement leur vie pour la France.
Sans remonter bien loin, c'était Jéhenne foudroyé par la maladie qui, quelques jours plus tard,
devait enlever son vaillant chef, l'amiral Courbet.
Jéhenne était de Brest par sa famille ;
jeune sous-lieutenant, il devait partir pour l'Égypte quand l'envoi des troupes fut arrêté ;
quelques semaines après, il se rattrapa de cette déconvenue en se faisant envoyer au Tonkin.
À Sontay, il se jeta avec ardeur dans la mêlée, tomba grièvement blessé d'une balle dans l'aine et un bras fracassé ; ramassé par ses soldats, il put être sauvé ;
« je suis en compote », écrivait-il quelques jours plus tard.
Nommé lieutenant et décoré de l'étoile des braves pour sa glorieuse conduite, il vint en convalescence en France.
Mais encore mal rétabli de ses terribles blessures, il voulut retourner au combat.
Il se signala aux affaires des Pescadores, et l'amiral Courbet, qui l'avait remarqué
et l'entourait d'une amitié particulière, l'aurait récompensé de ses nouveaux faits d'armes.
La même mort les réunit.
Aujourd'hui, c'est le lieutenant d'infanterie de marine Truche qui vient de tomber au Sénégal.
Engagé volontaire au 2° d'infanterie de marine en 1876, il entra à Saint-Cyr en 1878 et sortit sous-lieutenant en 1880.
Vous pouvez les voir allant et venant sur le Champ-de-Bataille,
c'est là qu'ils rencontrent et revoient leurs camarades
et amis de tout âge ;
ils sont justement fiers d'avoir pu se faire classer, par leur travail,
dans l'élite de l'armée française.
Autour d'eux, ne les quittant pas d'une semelle,
sont leurs cornichons, qui l'année prochaine deviendront leurs melons.
Ne croyez pas que ces braves garçons, dans leurs conversations
qui vous paraissent si animées, s'occupent de badauderies
ou font même attention aux jeunes regards qui peuvent aller à eux ; pourtant, si ces yeux ne les regardaient pas,
ils ne seraient pas contents.
Ils causent de la vie de l'école, de leurs chefs, de leurs exercices,
de leurs projets d'avenir ;
l'école est dure, pourtant ils la font aimer et désirer aux amis
qui les écoutent ;
l'avenir pour eux, c'est la lutte au loin,
puisqu'on ne se bat pas sur la frontière ;
la mer, qu'ils voient près d'eux, les attire ; au-delà, c'est la vraie vie,
c'est l'avancement, ce sont les propositions, c'est la croix sur la poitrine.
L'année dernière, il était à Brest; envoyé au Sénégal,
il fut affecté à la 2e compagnie des disciplinaires coloniaux.
Les noirs du village de Séléki refusaient de payer une amende
qui leur avait été infligée ;
le lieutenant Truche, commandant le poste de Sédhiou, se porte
sur leur territoire avec deux blancs et une cinquantaine de volontaires.
Arrivé à Séléki, il se trouva en présence d'une masse de noirs
qui l'attaquèrent ;
les auxiliaires lâchèrent pied et, après une résistance énergique,
le lieutenant Truche tomba pour ne plus se relever.
Il allait passer capitaine.
Monot, de Brest, engagé volontaire au 2e d'infanterie de marine, admis à Saint-Cyr, d'où il sortit sous-lieutenant,
fut envoyé au Cambodge pour sa première campagne ;
il y a quelques mois, il y mourut des suites d'une insolation.
Le même courrier qui apportait la nouvelle de la mort de Monot annonçait également celle de Béjoutet,
capitaine au 4e d'infanterie de marine.
Engagé volontaire au 2e d'infanterie de marine, il fut aussi élève de notre lycée et admis à Saint-Cyr.
Depuis dix ans, il fit diverses campagnes aux colonies ;
il revenait de l'Extrême-Orient pour rétablir en France sa santé abîmée par les fatigues du climat et de la campagne ;
il dût s'arrêter à Port-Saïd et y mourut.
Delaplane, de Brest, engagé volontaire au 2e d'infanterie de marine, sorti sous-lieutenant de l'école de Saint-Maixent, mourut au Tonkin victime du climat.
Simon, fils de l'amiral Simon, bien connu à Brest, et dont le frère, lieutenant de vaisseau,
vient de recevoir la croix de la Légion d'honneur, repose à côté de son camarade Delaplane.
Engagé volontaire dans l'artillerie de marine, il était arrivé à l'épaulette par son travail et son mérite.
Voilà une liste bien longue déjà des anciens élèves du lycée de Brest qui, dans ces derniers mois,
sont morts pour la Patrie.
Nous en oublions peut-être.
Honneur à la mémoire de ces jeunes gens.