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Fenêtres sur le passé
1887
Les horloges de Morlaix
« C’est tout à fait étonnant ! »
Telle était l’exclamation poussée hier par un touriste anglais qui venait d’entendre sonner deux heures
à l’horloge de Saint-Mélaine.
« C'était donc toujours le même heure dans ce pays, monsieur ? » ajouta-t-il en se tournant de mon côté.
Je vous avoue que je n’y comprenais rien.
Il daigna alors me dire que visitant, il y avait environ un quart d'heure un autre quartier de la ville, il avait réglé sa montre sur une horloge qui sonnait également deux heures.
Il se trouvait maintenant dans une certaine perplexité, devant rendre l'express, et me priait d'un ton suppliant de lui indiquer « quelle était le bonne heure ».
J'étais aussi embarrassé que mon Anglais, et sa question, toute simple qu'elle fût, me prenait au dépourvu.
Je lui indiquais l'heure à peu près ; j’aime à croire qu'il n'aura pas manqué le coche.
Si je vous rapporte cette petite anecdote, qui est absolument vraie, c'est que la façon de régler à Morlaix les horloges publiques porte chaque jour le trouble dans les ménages et cause même des préjudices très sérieux aux négociants et aux voyageurs
Il serait cependant si simple d'avoir partout une heure, à quelques secondes près, uniforme à celle du chemin de fer !
Que le sacristain de St-Mathieu ou de St-Melaine règle son horloge d'après l'antique toquante qui ballotte dans son gousset, cela est regrettable, mais nous n'y pouvons rien ; mais, comme contribuables, nous sommes en droit d'exiger, je crois, que l'horloge municipale marque la « bonne heure », comme disait le sujet de la reine Victoria, et ne nous envoie pas chercher à la gare le train de 4 h. 5 quand le quart est déjà sonné !
Je comprends qu'il paraisse un peu pénible à M. le concierge de la mairie de grimper chaque jour la centaine de marches qui mènent au chemin de fer pour prendre seulement l'heure.
Mais le télégraphe est à deux pas de l'hôtel de ville, et chacun sait que tout bureau télégraphique possède une heure rectifiée chaque matin, qui est la même que celle de toutes les gares, c'est-à-dire l'heure de Paris.
J'ai ouï dire de bonne source que ce même concierge, qui jadis avait recours au ci-devant télégraphe, avait objecté à l'un de nos édiles que les employés de ladite administration s'amusaient, en le voyant arriver, à retarder ou à avancer l'aiguille de leur pendule !
Je savais que M. D .. aimait à rire, mais je ne le connaissais pas aussi facétieux et je doute fort qu'on ait ajouté foi à sa petite histoire.
Il me semble, en effet, que MM. les télégraphistes morlaisiens ont autre chose à faire que de guetter l'arrivée du factotum de M. le maire pour faire exécuter des cabrioles à l'aiguille de leur pendule, dans le seul but d'induire en erreur leurs concitoyens
Ce serait une farce à peine pardonnable en temps de carnaval.
Allons, monsieur D . .,un bon mouvement, prenez exactement l'heure chaque matin, réglez scrupuleusement l'horloge de l'hôtel de ville, et vous aurez droit aux remerciements des Morlaisiens et même... des Anglais.