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Fenêtres sur le passé
1885
Des révolvers pour les agents de Brest
Source : Le Petit Brestois août 1885
Nos agents et les révolvers
Nous avons incidemment parlé, dans un de nos derniers numéros,
de l'achat de revolvers qui allaient être donnés à notre police.
Nous revenons sur ce sujet qui nous semble fort sérieux.
Tout d'abord, nous ne devons constater que l'on n'achètera et distribuera que 25 revolvers
à nos agents quoiqu'ils soient 56.
C'est avec intention que l'on a agi de la sorte.
Ainsi donc, notre conseil municipal a reconnu que tous ses agents ne sont pas suffisamment sérieux.
Nous sommes absolument de l'avis de M. l'adjoint-maire chargé de la police.
Cependant cette façon d'armer les uns et pas les autres ne manque pas d'être bizarre.
Quand un citoyen aura besoin de s'adresser à la police, il regardera tout d'abord, si l'agent porte un revolver,
car dans la négative, il ne voudra pas avoir affaire à lui, puisqu'il n'est pas sérieux, et il ira chercher un agent à revolver.
Ce petit joujou dangereux servira donc de signe distinctif
et il voudra dire : cet agent est de bon teint, il est garanti.
On pourra même mettre sur cette arme la devise suivante :
J'honore celui qui me porte !
Quand une personne aura à démêler quelque chose avec les agents
et que ceux-ci affirmeront le contraire, elle aura le droit d'être crue
sur parole par M. le commissaire de police,
si elle a eu le bonheur de tomber sur des agents sans revolver.
Cette mesure devra avoir même sa valeur jusque
devant le tribunal correctionnel.
Il arrive souvent qu'un citoyen est traduit devant ce tribunal
sous l'inculpation d'injures ou d'outrages aux agents
(même quand ceux-ci sont les provocateurs, ce qui arrive souvent).

Les juges ont coutume de toujours condamner le prévenu, même quand celui-ci amène à la barre
cinq ou six témoins qui, sous la foi du serment, affirment que le fait est faux, du moment que l'agent maintient,
et pour cause, la véracité de son procès-verbal.
Grâce à la nouvelle mesure distinctive, l'avocat n'aura pas de peine à prouver d'une façon péremptoire,
que son client doit être acquitté, vu le témoignage de gens sérieux et honorables puisque
l'agent qui a verbalisé est considéré comme peu sérieux par ses chefs.
Voilà quel sera le bon côté de la mesure adoptée par nos édiles.
Ce n'est peut-être pas pour cela qu'ils voyaient la nécessité de l'achat de revolvers,
mais enfin ils nous ont fourni une classification dont nous avons le droit d’user.
Malgré les avantages que nous venons d'indiquer, les inconvénients apparaissent énormes et graves surtout.
Parmi les 25 agents d’élite, il s'en trouvera certes plus d'un qui n'a pas coutume de savoir garder son sang-froid,
il arrivera alors des accidents regrettables dont la responsabilité morale tout au moins, remontera à qui de droit.
Il suffira qu'un homme ivre fasse résistance pour suivre la police au poste,
pour que ces agents sérieux brutalisent et martyrisent cet être inoffensif.
Les témoins de la scène ne manqueront pas de protester et de huer ces agents, alors, tout-à-coup, les revolvers partiront tout-seuls et quelques badauds recevront des balles.
Tout homme paisible qui rentrera chez lui, la nuit, à une heure avancée,
aura plus peur des agents à revolver que des malfaiteurs que notre police ne saisit jamais.
Les citoyens croiront utile de s'armer eux aussi, et d'ici peu on risque tort de se battre à Brest,
dans les rues, à coup de revolver, tout comme en Amérique.
Sur qui donc les agents pourraient-ils se servir d'une arme que l'on croit nécessaire ?
Ce n'est certes pas sur des incendiaires, des voleurs ou des assassins en fuite,
car quoiqu'il nous ait été donné de constater dans notre ville tous ces crimes,
nous n'avons jamais appris que notre police ait aperçu le visage de l’un de ces criminels !
Ce n'est pas un revolver qui leur manque, ce sont :
des yeux, des oreilles, de la tolérance pour les peccadilles et du bon sens surtout.
M. Brunelat a dit au Conseil que le port seul du revolver donnera plus d'autorité aux agents.