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Fenêtres sur le passé

1883

Les prisons de Bretagne au XVIIIe siècle

Source : Le Finistère octobre 1883

 

Les prisons en Bretagne au XVIIIe siècle

 

Nos lecteurs connaissent déjà le nom de M. Dupuy (1), le savant professeur d'histoire de la Faculté de Rennes ; car nous avons puisé à pleines mains

dans son « Histoire de la réunion de la Bretagne à la France »,

couronnée par l'Académie des Inscriptions (prix Gobert).

 

Ce premier succès n'a fait qu'encourager M. Dupuy à poursuivre ses recherches sur l'histoire de Bretagne, et l'on peut être certain que cet infatigable fouilleur d'archives saura mener à bien sa vaste entreprise.

 

En attendant, et comme pour nous faire prendre patience,

il publie à part quelques études plus restreintes, sortes de chapitres détachés

du grand ensemble qu'il rêve de composer.

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Nous en signalerons tout particulièrement une sur les prisons bretonnes au XVIIIe siècle, et un simple résumé suffira pour montrer combien ces plaquettes d'apparence modeste sont riches en détails curieux el précis.

 

Les prisons sont très nombreuses en Bretagne avant la Révolution, moins nombreuses cependant que les tribunaux.

 

Seule, la Justice royale, (indépendamment des tribunaux civils et criminels, comme le Parlement les quatre présidiaux de Rennes, Vannes, Nantes et Quimper, et vingt-six sénéchaussées), présente huit groupes de juridictions spéciales.

 

Plus de neuf cents seigneuries sont investies du droit de haute justice ; on ne compte plus celles qui n'exercent que la moyenne ou la basse justice.

 

Sur vingt-sept prisons royales, plusieurs, telles que celle de Châteauneuf-du-Faou et de Carhaix, ne sont guère occupées qu'en temps de guerre ou lors du passage des troupes.

 

Les prisons des seigneurs haut-justiciers ne sont guère mieux entretenues ; beaucoup de seigneurs laïques on ecclésiastiques sont réduits à emprunter les prisons du roi : c'est ainsi que quinze soigneurs empruntent la prison de Carhaix, quatorze celle de Morlaix.

 

Quel tableau nous trace M. Dupuy de ces prisons vraiment primitives !

Celle de Concarneau ne comprend que deux chambres,

dont une forme le logement du geôlier ;

dans l'autre sont entassés pêle-mêle les prisonniers

de tout sexe et de toute origine.

 

À Quimper, où siège pourtant un des quatre présidiaux

de la province, « les prisons consistent en quatre appartements et un petit caveau.

 

Le rez-de-chaussée est occupé par le geôlier,

la chambre au premier étage sert de chambre criminelle.

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Dans un des recoins on a dressé une cloison qui sert de séparation, mais peu sûre, pour enfermer les femmes.

 

Au second étage est une chambre pour les prisonniers civils, et au troisième enfin est une chapelle.

 

Sous l'escalier est le caveau qui sert de cachot.

 

Ces prisons sont beaucoup trop petites, et l'insuffisance des logements occasionne des communications

qu'on doit toujours éviter.

 

Deux malfaiteurs accusés du même crime ne peuvent être séparés, et l'on sent parfaitement les dangereuses conséquences qui naissent de cette impossibilité de séparation.

 

Les hommes et les femmes ne peuvent pas non plus être bien sépares dans les prisons de Quimper ;

on a vu plus d'une fois les effets de ce défaut de séparation.

 

La chambre qu'on appelle civile est aussi incommode.

 

Elle sert en même temps à renfermer les prisonniers pour dettes, les prisonniers de passage, ceux des régiments

et ceux des milices garde-côtes. » (Archives d'Ille et Vilaine.)

 

Dans toutes les prisons, quand le geôlier a des chambres libres à sa disposition,

il est autorisé à les louer aux prisonniers pour dettes qui les demandent.

À Quimper, la seule chambre qu'il ait à offrir est la chapelle.

 

Il y dresse des lits pour les prisonniers de distinction,

à raison de 12 livres par an.

 

Ces prisons si étroites n'appartiennent pas même au roi.

 

Elles sont la propriété d'un particulier, qui les loue moyennant

300 livres par an.

 

La prison de la sénéchaussée de Lesneven n'est pas mieux tenue,

et l'on y entasse les criminels dans la chapelle.

 

Il est vrai que celle-ci, reconstruite aux approches de la Révolution, possède une infirmerie ; seulement, on a oublié d'y mettre des lits.

 

Aussi les conditions hygiéniques laissent elles singulièrement à désirer.

 

Prisonnier_dans_un_cachot_de_la_Bastille

En 1786, l’évêque de Léon constate qu'une véritable infection règne dans les cachots « horribles »

et meurtriers de Brest.

 

À Quimper, la prison « est située dans un endroit où le soleil ne parait jamais et où il règne tant d'humidité, que la paille qu'on donne aux prisonniers y pourrit en très peu de temps, de sorte qu'ils sont presque toujours couchés sur le fumier »

(Archives d'Ille et Vilaine).

 

Comment s'étonner si de telles prisons sont de redoutables foyers d'épidémies ?

 

D'ailleurs, à Morlaix, à Lesneven, à Quimperlé, à Carhaix, partout, elles sont dans un complet délabrement.

 

En principe, les prisons royales font partie du domaine de la couronne : mais, en fait, le domaine est souvent engagé

à divers seigneurs qui en perçoivent les revenus : ainsi le domaine de Morlaix est engagé au marquis de Goësbriand, ceux de Carhaix, Lesneven, Quimper et Quimperlé au duc de Penthièvre.

 

La prison de Châteaulin a pour geôlier héréditaire M. de Penfeuntenio, seigneur de Mesgrel,

sergent-voyer de la sénéchaussée.

 

À son titre de sergent-voyer est attachée la terre de Rosarnou, qui lui donne 2,000 livres de revenu.

 

Chargé de l'entretien et de la garde de la prison, il délègue ses fonctions à un commis.

À Quimperlé, M. de Tinténiac, comme sergent féodé seigneur de Quimerc'h,

a les mêmes attributions.

 

C'est lui qui désigne le geôlier.

 

En cas d'exécution capitale, d'autres seigneurs sont tenus de fournir la potence et de payer le bourreau.

 

Rien de moins compliqué, d'ailleurs, que l'administration d'une prison au XVIIIe siècle ; le geôlier y est absolument seul,

aidé à peine d'un ou deux guichetiers dans les prisons importantes.

 

Véritable entrepreneur, il se charge, sous de certaines conditions, de garder

et de nourrir les prisonniers à ses risques et périls,

sans autres gages que les bénéfices qu'il peut réaliser sur son entreprise.

 

On lui laisse même la faculté bien dangereuse de payer ses prisonniers

en argent.

 

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Une botte de paille, du pain et de l'eau, voilà l'ameublement et l'ordinaire que l'État fournit à ses « hôtes » ;

les soins de la propreté et de la santé ne se donnent qu'à prix d'argent, et le prisonnier pauvre s'en passe.

 

M. Dupuy étudie ensuite les diverses catégories de prisonniers; mais nous ne pouvons le copier jusqu'au bout,

et c'est dommage, car il nous donne de sérieux motifs de ne pas haïr le temps où nous vivons,

très préférable assurément à ce temps où florissaient le vagabondage, la mendicité, l'infanticide.

 

Et quelle sécurité!

 

En 1763, deux criminels, échappés de la prison de Quimperlé, groupent autour d'eux un déserteur, deux galériens,

une douzaine d'autres bandits, et font trembler toute la région comprise entre Quimper et Quimperlé.

 

Ils attaquent les passants sur les routes et les poursuivent jusque dans les villages.

 

Les laboureurs n'osent dire qu'ils les ont vus, logés et nourris.

 

En 1769 une nouvelle bande désole le même pays et assassine quatre cultivateurs à un quart de lieue de Quimperlé.

 

La police est impuissante ; car s'ils sont menacés, les malfaiteurs n'ont-ils pas là tout près le port de Lorient

et les navires de la Compagnie des Indes ?

 

En revanche, si les coupables ne sont pas vite arrêtés, les innocents sont exposés à subir une interminable détention préventive avant d'être jugés.

 

Telle affaire criminelle dure plus de neuf ans !

 

C'est que les procès criminels ne rapportent rien aux juges, qui réservent tous leurs soins pour les affaires civiles.

 

Réduits au désespoir, les prisonniers multiplient les tentatives d'évasion, et souvent réussissent,

au prix d'incroyables efforts.

 

Le geôlier n'est guère moins malheureux : responsable des prisonniers commis à sa garde, il peut être mis aux fers

si l'un deux s'échappe, et, d'autre part, sa vie n'est pas en sûreté dans l'intérieur de la prison.

 

De bien minces avantages compensent ces inconvénients : il est parfois exempt,

comme à Lesneven et à Morlaix, du service de la milice bourgeoise, de guet et décapitation.

 

À Quimper, il est de plus dispensé de loger les gens de guerre et de fournir des lits pour les casernes;

même, il a le droit de débiter à son profil, sans payer l'octroi, quatre barriques de cidre.

 

Mais il est tenu « de fournir le charbon pour les questions du feu qui sont usitées en Bretagne, »

moyennant une certaine Indemnité payée par l'État.

Sa situation n'en est pas moins, en général, fort précaire :

celui de Carhaix est un pauvre diable qui n'a pas même de quoi avancer la solde des prisonniers, et doit faire appel à la générosité des boulangers, bien qu'il cumule les fonctions imposantes

de héraut de la communauté et tambour ordinaire de la ville ;

mais il déclare que, sans ces emplois, il ne saurait vivre.

 

C'est pour vivre aussi sans doute que le geôlier de Lesneven

fait de la prison une espèce de cabaret.

 

À côté du geôlier, le bourreau.

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Il y a quatre bourreaux pour la Bretagne ; Rennes, Nantes, Vannes et Quimper,

les quatre villes où siègent les Présidiaux, ont le bonheur d'en posséder un chacune.

 

Le bourreau de Quimper n'est pas, comme les trois autres, logé par la ville où il réside ; il n'a que 600 livres,

et sur cette somme il doit payer ses valets, en même temps que servir une rente à la veuve de son prédécesseur.

 

Mais il y a un casuel : 60 livres pour rouer, 30 pour pendre, 10 pour fouetter et pour marquer.

 

Par malheur, les exécutions sont infiniment rares à Quimper, de sorte que le bourreau n'en tire presque rien,

tandis que les exécutions de Nantes rapportent 200 livres par an.

 

C'est sur le droit de havage ou de coutume que se rattrape le bourreau de Quimper ;

il perçoit ce droit les mercredi et samedi, jours de marché, sur toutes les denrées qui se vendent dans la ville,

excepté sur les grains, qui ne sont sujets à aucun droit, sinon les jours d'exécution.

 

En tout temps, au contraire, la graine de chanvre y est assujettie, sans doute en vertu de ce principe

que le chanvre doit soutenir le geôlier, puisque la corde soutient le pendu.

 

Ce résumé, qui, la plupart du temps, reproduit les expressions même de M. Dupuy, suffit à faire deviner

quelle lumière nouvelle de telles recherches peuvent jeter sur l'histoire de la Bretagne.

 

Il suffit aussi, malgré une conclusion trop optimiste peut être, pour nous convaincre de l'opportunité

d'une révolution qu'appelaient des abus si invétérés.

NOTE COMPLEMENTAIRE.

 

En certains endroits, l'exploitation des prisonniers par les gouverneurs et les gardiens était chose horrible.

 

Une foule de documents authentiques, un grand nombre

de Mémoires accusateurs dévoilent les mystères affreux des prisons.

 

Un des tableaux les plus complets est celui que nous a laissé

le poète Constantin de Renneville (2), qui resta onze années

à la Bastille de 1702 à 1713.

 

Le gouverneur de cette prison, qui touchait du trésor 2,000 fr. par jour pour la nourriture et l’entretien des prisonniers,

en dépensait 200 au plus : encore trouvait-il le moyen de diminuer

cette somme en imaginant des jeûnes nouveaux et en punissant

du cachot bon nombre de ces malheureux,

pour n'avoir qu'un peu de pain et d'eau à leur fournir :

c'est ce que le lieutenant Bernoville appelait ses deniers clairs.

À part les prisonniers de distinction, illustres par leur naissance

ou leur rang, qui pouvaient avoir une chambre particulière,

les autres captifs, presque partout, étaient enfermés pêle-mêle, couverts de haillons sordides, ou même complètement nus,

quelquefois avec des aliénés, les asiles n'étant pas encore connus.

De Renneville _01.jpg

De Renneville garda les mêmes vêtements  pendant ses onze années de captivité et fut longtemps enfermé

avec trois fous furieux, que les geôliers s'amusaient à exciter contre lui, pour le forcer à partager leurs extravagances.

 

Pour contenir ces malheureux auxquels l'excès de la misère aurait pu prêter une résolution désespérée,

les geôliers avaient recours aux traitements les plus féroces; il n'était question que de bras et jambes cassées,

de prisonniers qui devenaient fous ou qui mouraient dans les tortures.

 

Certain prisonnier, par exemple, ayant étranglé un de ses compagnons, resta huit jours au cachot, tout nu,

avec le cadavre de sa victime attaché sur ses genoux.

 

Être mis au cachot, c'était le plus redoutable des supplices.

 

Sous une voûte obscure, de laquelle suintait une eau glaciale, le prisonnier gisait, accablé par le poids de ses fers et aux prises avec la faim et le froid.

 

Il y avait là une chaîne, qui pouvait ceindre un homme par les reins dans un cercle de fer et qui s'attachait à une autre chaîne fixée dans le pavé ou le mur du cachot : On peut voir encore de ces sortes de carcans dans certains châteaux de Bretagne et notamment dans celui d’Hennebon.

 

Joignez à cela un affreux collier pesant seul cinquante livres ; le prisonnier qu'on chargeait de ces fers avait,

au bout de quelques heures, la chair entamée.

 

On frémit en songeant à ces traitements monstrueusement barbares, appliqués quelquefois à des innocents,

à des gens dont le seul crime était d'avoir déplu à tel grand personnage ou tué un lapin sur la terre du seigneur.

 

Combien périrent ainsi misérablement dans les tortures, oubliés souvent de ceux qui les avaient fait enfermer sans motif, oubliés même des juges qui avaient mission d'instruire leurs procès !

 

Lisez attentivement la pièce suivante, copiée sur un document officiel,

dont l’original est aux archives des Côtes-du-Nord, et voyez quel était, à celle triste époque, le respect de la liberté

et de la vie humaine :

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Tout commentaire est inutile, n'est-il pas vrai?

 

Ce seul document ne justifie-t-il pas la fureur populaire dont l'élan emporta la Bastille?

 

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(1) Antoine Dupuy ( 1835-1891)  professeur d'histoire à la faculté de Rennes dont il devient le doyen,

il fut un des principaux collaborateurs de la revue universitaire les Annales de Bretagne

 

(2) René-Auguste-Constantin de Renneville

Né à Caen le 9 octobre 1677, mort le 13 mars 1723 dans le Landgraviat de Hesse-Cassel

Homme de lettres protestant.

Détenu à la Bastille du 16 mai 1702 jusqu’en 1713, il fut libéré grâce à l’intervention de la reine Anne d’Angleterre.

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