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Fenêtres sur le passé

1882

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Léocadie Penquer et les 80 ans de Victor Hugo

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Source : Le Finistère mars 1882

 

La France, du moins celle qui se passionne encore pour les choses de l'esprit,

vient de célébrer le quatre-vingtième anniversaire du poète dont le génie embrasse le siècle entier,

du vieillard toujours jeune qui, dans Besançon, le 20 février 1802,

 

« Naquit d'un sang breton et lorrain à la fois. »

 

Bien rares sont les esprits à qui est accordé ce privilège de refleurir ainsi éternellement,

d'entrer vivants dans l'immortalité, de porter avec légèreté le fardeau de leur gloire,

si bien que pour ces fronts toujours éclairés les cheveux blancs semblent n'être qu'une couronne de plus.

 

Victor Hugo est de ceux-là.

 

Du fond de la Bretagne, nous unissons nos applaudissements à ceux de Paris ;

nous saluons, après tant d'autres, avec un respect filial, le maître en qui tout un peuple orgueilleux se regarde vivre

et s'écoute chanter.

​

Mais il faut être poète pour bien louer un poète.

 

À quoi bon redire en vile prose ce qui a tant de fois et si bien été dit en vers ?

 

Par bonheur, voici précisément qu'un poète vient à notre secours.

Mme Auguste Penquer, l’auteur de Velléda, veut bien nous communiquer

les vers qu'elle a récemment adressés à Victor Hugo,

à qui une affectueuse admiration la lie, comme nous, depuis longtemps.

 

Nous n'avons pas à la présenter aux lecteurs du Finistère ;

il n'est pas un d'entre eux qui ne la connaisse déjà.

 

Il nous sera permis seulement de la remercier en leur nom,

ainsi que le poète la remerciera sans doute :

car elle parle moins à son intelligence qu'à son cœur ;

c'est la corde paternelle, la plus doucement sonore, qu'elle fait vibrer en lui.

 

L'aïeul de Georges et de Jeanne sera plus touché de son souvenir délicat

que le poète ne sera flatté de son hommage.

 

N'a-t-elle pas raison de nous le montrer doux et bon plus encore que sublime ?

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Léocadie Hersent-Penquer,

née le 14 février 1817

au château de Kerouartz à Lannilis

morte le 19 décembre 1889,

poétesse française,

dite la muse brestoise.

Lui-même, le maître à qui l'antithèse est familière, n'est-il pas une antithèse vivante ?

 

La vieillesse sereine de l'auteur des Châtiments, soir tranquille d'un jour orageux,

n'est-elle pas égayée et comme apaisée par le voisinage de ces petites têtes blondes ?

 

Et n'est-ce pas ainsi que la postérité verra celui qui, après l'Année terrible, a écrit l'Art d'être grand-père ?

 

Au grand-père donc il appartient de parler, et de parler seul ; en attendant, donnons la parole à la grand-mère.

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Tu nais dans ce beau jour de fête,

Beau jour dont la France a l'orgueil :

C'est la fête du grand poète,

Aujourd'hui l'immortel aïeul !

 

Voici Georges et voici Jeanne,

Enfants par sa gloire adoptés !

Deux fleurs dont le parfum émane

Des vastes champs qu'il a plantés.

 

Deux cœurs, terrains où la semence,

Qu'il y vient semer chaque jour

Produira ces fruits de clémence

Qui sont les fruits de son amour.

 

Deux petites âmes charmées

De vivre heureuses sous sa loi,

Et, toutes deux, d'être enflammées

Des chaudes ardeurs de sa foi,

 

De se sentir pousser des ailes,

Pour voler vers ses horizons ;

Vol d'aigles ou vol d'hirondelles,

D'être partout ses compagnons.

 

II

 

Voici Georges et Jeanne ensemble,

Chargés de fleurs, chargés du vœux.

Voici la foule qui s'assemble :

Le monde entier est avec eux !

 

Tu nais dans ce beau jour de fête.

Beau jour dont la France a l'orgueil :

C'est la fête du grand poète,

Aujourd'hui l'immortel aïeul !...

 

III

 

Il fut, lui le vieillard robuste !

Comme toi le fragile enfant,

Lui le grand cèdre, Il fut l'arbuste !

Il fut le nain, lui le géant !

 

Il eut une bercelonnette

Tout comme toi, lui le berceur !

Il fut l’ange, lui le prophète !

Il fut le grain, lui le semeur !

 

Il fut la nuit, lui la lumière !

Il naquit les yeux clos au jour,

L'esprit sans rêve et sans chimère,

Lui qui fut l'idée et l'amour !

 

IV

 

À l'heure où tu nais, on couronne

De lauriers verts ses cheveux blancs.

Tu viens de naître, ma mignonne :

Lui vient d'avoir quatre-vingts ans.

 

Et c'est vers lui que je m'incline

En baisant ton front nouveau-né.

L'humaine foi, la foi divine,

C'est lui qui m'aura tout donné.

 

Voudra-t-il me donner encore

Un mot pour toi, rien qu'un seul vœu ? ...

Voudra-t-il bénir ton aurore

Et la recommandera Dieu ? ....

 

À la grand'mère, le grand-père

Voudra-t-il bien tendre la main ?

Voudra-t-il encor dire : « Espère !

« Tu n'es pas seule en ton chemin !

« Chante encor !.. redeviens poète!...

« Je suis là. Reprends ton essor :

« Chante, en un double chant de fête,

« Mes cheveux blancs, ses cheveux d'or ! »

 

Madame Auguste Penquer (Léocadie Salaün)

Brest le 26 février 1882

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