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Fenêtres sur le passé

1882

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Le 14 juillet 1792 à Quimper

Source : Le Finistère juillet 1882

 

LE 14 JUILLET 1792 À QUIMPER.

 

Voici un document, qui, pensons-nous, intéressera nos lecteurs.

 

Il a pour titre : Procès-verbal de la Fédération du district de Quimper, du 14 juillet 1792, l’an quatrième de la liberté.

 

Nous le reproduisons textuellement en respectant l'orthographe du texte.

 

Conformément aux lettres de convocation du Directoire, les officiers des différentes municipalités de son ressort

se sont réunis en la salle des assemblées du conseil général de la commune de Quimper.

 

Sur les dix heures du matin, les administrateurs, ayant à leur tête M. Daniel  Kersaux (1),

président de l'administration , accompagnés de ses officiers municipaux, décorés de leurs échappes

et portant en main des branches de chêne, symbole de la durée d'une constitution établie sur les droits de l'homme et sur la volonté inébranlable de vingt-quatre millions d'individus, se sont rendus au département,

escortés d'un détachement de citoyens militaires pris dans les gardes nationales des différentes municipalités,

et précédés du guidon du district.

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Les corps judiciaires étaient rassemblés au directoire du département.

 

À onze heures les différents corps administratifs, municipaux et judiciaires se sont mis en marche, pour se rendre au champ de la fédération.

 

Ils étaient confondus, sans aucune distinction de préséance ;

conduite bien digne de magistrats qui, insusceptibles des petitesses

d'une vanité puérile, croient ne devoir se distinguer que par leur zèle

à remplir les fonctions qui leur ont été déférées par les suffrages du peuple.

 

A la tête du cortège, était l'image de la Bastille, portée par des citoyens militaires, parmi lesquels on distinguait un peintre célèbre,

M, Valentin (2), qui, l'un des premiers, monta à l'assaut de ce boulevard

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Autoportrait de François Valentin peignant sa femme

Hôtel de ville de Guingamp

du despotisme, et qui a prouvé par cet acte d'héroïsme que le feu du courage peut s'allier avec le feu du génie.

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Venaient ensuite la bannière du département et le guidon du district.

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La première était portée par M. Gazon, l'un des fédérés de 1790 ; et l'autre par M. Godard,

le doyen des vétérans du district.

 

Le cortège marchait au bruit de la musique de la garde nationale quimpéroise.

 

Arrivé sur la place Saint-Corentin, il a été accueilli par M. l'évêque du Finistère et ses vicaires,

qui se sont mis à la tête et l'ont conduit jusqu'à l'autel de la Patrie, en chantant un psaume relatif à la circonstance.

 

L'entrée du cortège au champ de la Fédération, a été signalée par plusieurs décharges d'artillerie.

 

La garde nationale, les vétérans, les élèves de la patrie et les gendarmes nationaux forment, sur deux rangs,

un quarré long au milieu duquel s'élevoit un autel à quatre faces surmonté d'une pyramide.

 

Aux deux faces latérales étoient des trophées d'armes ombragés de drapeaux tricolores.

 

La majestueuse simplicité de ce monument rappeloit aux citoyens les fêtes publiques d'Athènes et de Rome.

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L'office célébré par M. l'évêque, M. Gomaire (3), l'un de ses vicaires,

a prononcé un discours brûlant de patriotisme et marqué au coin de l'énergie qui caractérise les ouvrages de ce prêtre citoyen.

 

À la suite de ce discours, M. Vacherot, commandant d'une des divisions

de la garde nationale de Quimper, et major de la fédération, est monté à l'autel,

et au nom de ses frères d'armes,

il a prêté le serment de maintenir la constitution et de vivre libre, ou de mourir.

 

Ce serment a été répété avec enthousiasme par tous les fédérés qui juroient

de cimenter de leur sang l'édifice de la constitution.

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MM. les présidents du département, du district,

des tribunaux civils du district et du commerce,

les juges de paix du district, par l'organe de M. Charuel leur doyen, les maires de différentes communes

du ressort de l'administration,

par la voix de M. Ledéan cadet (4), maire de Quimper, ont prêté successivement le même serment,

au milieu des acclamations d'un peuple immense criant sans cesse, vive la nation, vive la liberté,

des décharges continuelles d'artillerie,

et au bruit d'une symphonie militaire dont les accents embrâsoient les citoyens du feu du patriotisme.

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Une députation des étudiants du collège de Quimper a prêté le serment, après un discours prononcé par

M. Lamarre, écolier de rhétorique.

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MM. les prêtres ont ensuite entonné successivement Domine salvam fac Gentem, Domine salvam fac Legem,

Domine salvam fac Regem.

 

Une musique à grand orchestre a répété ces "différens" versets.

 

Ensuite M. Gomaire a annoncé que demain, à l'issue de la grand'messe de la cathédrale, il seroit célébré sur l'autel

de la patrie un service « solemnel » en l'honneur de Guénolé Lozach, garde national de Quimper,

mort dans l'expédition de « Fouesnan » pour l'exécution de la loi.

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Les administrateurs, les officiers municipaux et

les corps judiciaires se sont ensuite mis en marche pour remettre au département le dépôt précieux de la bannière.

 

Le reste du jour a été consacré aux explosions

de l'allégresse publique.

 

Ici c’étoient des farandoles formées par les citoyens militaires auxquels se joignoient des personnes de tout âge et de tout sexe.

 

Là c'étoient des danses aux musettes ;

et par-tout régnoit le plus grand ordre.

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Jules Girardet

Les Révoltés de Fouesnant ramenés par la garde nationale de Quimper en 1792

(musée des beaux-arts de Quimper).

Vers le soir, les musiciens se sont rassemblées au champ de la fédération, et y ont été suivis par tous les citoyens.

 

Bientôt l'autel de la patrie a été environné de groupes de danseurs.

 

Ainsi l'on voyoit jadis le peuple de Dieu témoigner au créateur sa reconnaissance, en formant autour de l'arche sainte des danses ingénues.

 

On a vu avec plaisir un piquet de grenadiers, le sabre en main, conduire à une certaine distance de la ville

leurs frères d'armes du canton de Plomelin ; distinction due à un canton dont les « habitans », guidés par les leçons d'un curé patriote, ont toujours fermé l'oreille aux insinuations perfides des ennemis de la chose publique, qui,

dans la quinzaine après la réception des rôles de leurs contributions, les ont versés au trésor public,

et qui enfin, dans ces derniers « tems » ont montré leur rôle pour l'ordre, en éloignant de leurs parages,

par une surveillance continuelle, des brigands soudoyés par un malheureux cultivateur,

instrument et victime de la ligue impie du fanatisme et de l'aristocratie.

 

Sur les neuf heures, une décharge d'artillerie a annoncé le moment, de l'illumination.

 

La nuit a bientôt semblé le disputer au jour en clarté.

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Les rues regorgeoient de citoyens qui faisoient retentir les airs

Ah ! ça ira, et Où peut-on être mieux.

 

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Ce jour, quinze juillet mil sept cent quatre-vingt-douze,

l'an quatrième de la liberté.

 

Les administrations, les corps judiciaires et la municipalité de Quimper

se sont rendue au champ de la fédération vers les onze heures.

 

La garde nationale étoit sous les armes ;

des crêpes funèbres surmontoient son drapeau ;

la douleur étoit peinte sur tous les visages, quoiqu'il ne fût aucun

des citoyens militaires qui n'aspirât au sort si beau de mourir

pour le maintien de la loi.

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L'autel étoit tendu de noir.

 

À chaque côté du cercueil étoient des gardes nationaux,

les armes renversées, dessus étoit le livre de la loi fermé :

la veuve et la sœur de Guénolé Lozach étoient à la tête du convoi.

 

Le service étoit annoncé par le son lugubre

de toutes les cloches de la cathédrale.

 

Avant la messe, M. Gomaire a prononcé

un discours digne de figurer

à côté de celui qu'il lit hier.

 

M. l'évêque officioit.

 

Des coups de canons tirés

de « tems en tems » sembloient prolonger

la douleur des « assistans ».

 

Le service s'est terminé par un libéra en musique exécuté par des amateurs.

 

Le cortège s'est ensuite retiré.

 

Dans l'après-midi, nouvelles farandoles, nouvelles danses, et même ordre.

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Pour copie conforme au registre

 

Desnos, Secrétaire.

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(1) Yves Daniel Kersaux, âgé de quarante-cinq ans, né et demeurant à Penmarch ;

Le 3 prairial an II (22 mai 1794), en représailles de la fronde girondine, vingt-six administrateurs du département

du Finistère étaient guillotinés à Brest, place du Château à l'époque rebaptisée : « Place du triomphe du Peuple ».

 L'accusateur public Donzé-Verteuil tenta de justifier ces exécutions :

il écrivit le 6 prairial an II, au Journal de Paris, n° 520,

une lettre où on lit qu'« Avant-hier, vingt-six administrateurs du Finistère ont porté leurs têtes sur l'échafaud.

Ces Messieurs voulaient donner la ci-devant Bretagne aux Anglais. »

 

(2) François Valentin est un peintre français du XVIIIe siècle, né le 10 avril 1738 à Guingamp

et mort le 21 septembre 1805 à Quimper.

Il est enterré à Kerfeunteun (ancienne commune désormais annexée à Quimper) où une épitaphe à sa mémoire se trouve sous le porche de l'église de la Trinité.

 

(3) Jean René Gomaire, né le 1er novembre 1745 à Lorient et mort le 16 juin 1805 au Bugue, était un homme politique français.

Gomaire est vicaire général de Quimper avant la Révolution.

Bien que peu enthousiasmé par les idées nouvelles, il devient en 1790 administrateur du département du Finistère.

 Le 9 septembre 1792, Gomaire est élu député du Finistère à la Convention, le huitième et dernier,

avec 363 voix sur 426 votants.

Toujours aussi conservateur, il se range du côté des Girondins.

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(4) François Jérôme Le Déan est un homme politique français né le 10 février 1744 à Douarnenez (Finistère)

et décédé le 26 février 1823 à Quimper (Finistère).

Il est maire de Quimper de 1791 à 1793.

Obligé de se cacher sous la Terreur, il est membre du directoire du département après le 9 thermidor

et conseiller de préfecture en 1800.

Il est créé baron d'Empire en 1810 et est député du Finistère en 1815, pendant les Cent-Jours.

 

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