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Fenêtre sur le passé

1881

La prospérité de la France

vue par le « Times »

Source : Le FINISTERE janvier 1881

La prospérité de la France.

Tel est le titre que donne le « Times » à un grand article dans lequel il constate, non sans étonnement,

et cherche à expliquer le prodigieux relèvement de la France.

Tout semblait tourner contre la France.

Après les révolutions, les invasions et toutes les misères de la politique, les fléaux qui ont frappé l'Europe

n'ont pas épargné notre pays.

Une partie de nos vignobles est détruite, la production de la soie est en décadence,

celle de la garance n'existe plus, l'agriculture a subi trois mauvaises récoltes consécutives.

« Depuis la fin de 1870, les impôts sont terriblement lourds. »

 

Et cependant la richesse nationale s'accroît.

Le secret de cette prospérité générale, dit le « Times », ne consiste pas dans la possession

de tel ou tel avantage spécial.

La France a une merveilleuse variété de sol et de climat, et par conséquent une grande diversité de produits,

et il est rare que tous soient en même temps en souffrance.

Elle occupe en Europe une position centrale qui est favorable au commerce.

Mais l'esprit d'économie du peuple français est une mine plus riche que toutes celles que possède l'Espagne,

et elle est plus profitable à la France que son sol, son climat et sa position géographique.»

Le tableau est exact ; mais il nous faut citer ce que dit le « Times » de l'économie française :

« Cet esprit d'économie est la grande vertu nationale, la mère de toutes les vertus,

et elle supplée assez bien à quelques-unes d'entre elles.

Toutes les classes sont animées de cette passion, car c'est une passion.

Des gens qui, en Angleterre, dépenseraient, chaque samedi soir, à la brasserie, tout ce qu'ils ont gagné

dans la semaine, et qui verraient devant eux, avec une sombre résignation, la perspective d'une triste vieillesse

à passer dans un asile des pauvres, ont en France, le projet chéri d'améliorer leur condition et celle de leurs enfants.

L'enfant a vu à peine le jour, que ses parents économisent déjà pour lui...

Paysans, bourgeois et ouvriers, donnent des preuves de cette vertu.

S'ils ne placent pas leurs économies en achat de terre.

Ils achètent de la rente ou souscrivent à quelque emprunt.

Des valeurs d'une espèce à peine connue chez nous des classes moyennes, se classent en France

dans les mains des plus humbles.

Quel paysan, quel artisan anglais songerait à placer son argent en actions du canal de Panama (sic)

ou dans un emprunt, comme le font des Français des mêmes classes ?

Combien peu y a-t-il en Angleterre de personnes de la classe moyenne qui aient, au bout de l'an,

des économies en caisse ?...

Chez nous, les classes pauvres ont pour règle de conduite que l'économie sou à sou est chose mesquine.

La vraie manière de comprendre la vie d'après l'opinion d'une grande partie des travailleurs,

c'est de dépenser largement son salaire, de bien boire et manger quand on est jeune et bien portant,

et de se fier au hasard ou à la charité pour la vieillesse ou la maladie.

C'est là un système malfaisant »

Heureusement pour nous, le « Times » le reconnaît, ce système n'a pas cours en France.

Dans nos campagnes surtout, c'est le système opposé qui prévaut.

Quiconque a vécu en dehors des villes a pu constater l'infatigable énergie au travail

et l'économie du paysan petit propriétaire.

Une grande ferme se trouve dépecée, et les paysans du voisinage l'achètent par morceaux.

Les voilà aussitôt à l'œuvre.

Ils n'ont qu'une pensée : améliorer le plus vite possible leur coin de terre.

Alors, suivant la nature du sol, ils nivellent le terrain, ils rapportent de la bonne terre sur les points stériles,

ils assainissent le sol, ils plantent des arbres, ils transforment le champ en vignoble.

La terre se transforme sous leurs mains.

En général, ils l'ont achetée à un tiers au-dessus de la valeur qu'elle avait ;

mais, en dix ans, ils lui donnent une valeur double.

Cela veut dire que ce paysan, en dix années, a doublé, en ce qui le concerne, la richesse de la France.

 

Si tous nous faisions autant que lui, que la France serait grande !

Mais, objectent certains économistes arriérés, il n'a pas de capital ;

souvent même il a emprunté pour solder l'achat de sa terre.

Comment peut-il donc l'améliorer ?

— Il n'a pas de capital ?

Mais son idée fixe d'améliorer sa terre, mais son ardeur et ses bras infatigables, son économie qui lui permet d'appliquer au sol et d'immobiliser chaque année ses petites épargnes, n'est-ce pas un capital ?

Un capital qui ne se chiffre pas comme le capital écu, mais qui est une force vive, inépuisable par nature.

Aussi, en voit-on beaucoup, même parmi ceux qui ont opéré dans les plus mauvaises conditions,

réussir complètement en fin de compte.

Tel a acheté de la terre trop cher et à crédit, s'exposant ainsi à une ruine probable, qui, cependant,

à force d'énergie et d'économie, paie l'intérêt, rembourse le capital, et fonde, sur un sol dont il a doublé la valeur, une honnête famille de petits propriétaires dans l'aisance.

« Ces habitudes d'économie  dit le « Times », et nous ajouterons : ces habitudes de travail, ne sont pas seulement pour la France une source de richesse présente ; elles sont un gage de la durée de cette richesse.

Le commerce et l'industrie se déplacent ; des ports fréquentés se vident, et le commerce avec le temps,

déserte les lieux qu'il affectionnait ; les mines s'épuisent ;

la concurrence étrangère peut nuire à une agriculture naguère florissante.

Mais la richesse qui naît de la frugalité et de l'économie, et qui est le signe sensible des vertus nationales,

est à peu près assurée de survivre à toutes les vicissitudes et de réparer les effets de toutes les calamités. »

Cette conclusion est parfaite.

Nous n'avons rien à y ajouter.

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