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Fenêtres sur le passé
1881
Conseils aux réservistes
L'utilisation de la chaussette russe
Source : Le Finistère septembre 1881
Conseils aux réservistes
Quelques jours à peine nous séparent du moment où les deux classes de 1872 et 1874
vont être appelées à faire les grandes manœuvres.
Exercices longs et difficiles, marches forcées, nourriture peu réconfortante, nuits sans repos, tout, le grand air même, contribue à rendre les premiers jours très pénibles ;
heureusement qu'au bout de quelques étapes, il n'y parait plus ;
le sac semble léger, le fusil ne mâche plus l'épaule, l'appétit fait trouver la gamelle délicieuse
et l'on dort à poings fermés.
Le réserviste, désormais entraîné, est aussi résistant que n'importe quel soldat de l'armée active.
Pour rendre ces premiers jours de régiment le moins pénible possible, le Rappel a pensé qu'il ne serait pas inutile
de donner quelques indications, quelques conseils, si l'on veut nous permettre le mot,
aux réservistes qui viennent de rejoindre leur corps.
En pareille matière, dit notre confrère, rien ne vaut l'expérience acquise ;
nous mettons la nôtre au service de nos lecteurs, trop heureux de pouvoir peut-être leur éviter une fatigue
et un ennui.
La question capitale pour les réservistes — pour les fantassins s'entend — est le choix de la chaussure.
Nous leur conseillons, surtout dans les premiers jours, de ne pas trop serrer les lacets :
le pied, enfermé dans un cuir non encore assoupli, se blesserait facilement ;
ils serreront progressivement, au fur et à mesure du ramollissement de la tige.
Malgré toutes les précautions prises, il est à craindre que le pied, d'abord,
ne se trouve mal du violent exercice qu'on lui imposera.
Le talon s'écorchera, le dessus des doigts deviendra sanguinolent, les ampoules se formeront ;
pour cela un remède, un seul : le suif.
C'est sale, mais c'est souverain.
Achetez chez l'épicier du coin une bonne chandelle bien grasse, et suiffez-vous hardiment les pieds ;
les délicats vont se récrier, jamais ils ne consentiront à employer un moyen aussi répugnant.
Nous nous adressons aux mères, aux femmes, aux sœurs, et nous leur disons :
« Mesdames, ne laissez pas partir vos fils, vos maris, vos frères, avant d'avoir obtenu d'eux la promesse formelle
qu'ils mettront de côté toute espèce de répugnance à cet égard : il y va de leur santé. »
Un homme convenablement chaussé fera gaillardement son étape, alors que celui qui aura négligé de se munir d'une bonne paire
de chaussures, traînera la jambe dès les premiers kilomètres.
La meilleure chaussure est, à notre avis, le brodequin dit napolitain ;
tous les réservistes feront bien de ne pas attendre le jour du départ pour assouplir, pour briser leurs brodequins ;
ils se muniront de lacets assez longs pour leur permettre d'emprisonner le bas du pantalon dans le soulier.
Trois Paires De Souliers
Van Gogh
Nous recommandons aussi l'usage de ce que les soldats appellent vulgairement la chaussette russe ;
quand le pied est écorché, qu'il saigne, c'est le seul moyen d'obtenir, non pas la guérison,
qui ne s'obtiendra que par le repos, longtemps après le retour dans la famille, mais une réelle diminution de souffrances
qui permettra à l'homme de cœur de continuer son service.
Voici en quoi consiste la chaussette russe ;
une bande de toile large de 4 ou 5 centimètres et longue
à peu près comme deux fois le pied.
Manuel du fantassin 1914
Collection Yves Lossouarn
Vous la suifez avec soin et vous l'appliquez sous le pied de façon à ce que 10 centimètres
environ de toile puissent être ramenés sur les doigts malades, le reste remontant le long du talon
et couvrant exactement les parties écorchées.
Cela tient tout seul, pas besoin de ficelle pour l'attacher :
on passe simplement la chaussette ordinaire par-dessus cette chaussette russe,
et l'on glisse le pied dans le brodequin en ayant soin de ne pas déranger l'installation ;
une fois le brodequin bien lacé, vous pouvez commencer l'étape.
Le premier kilomètre sera dur ;
le pied tout endolori fera mine de refuser le service,
mais il s'échauffera progressivement
et reprendra bientôt toute son élasticité.
Arrivé à l'étape, lavez vous rapidement les pieds à l'eau froide, juste le temps nécessaire pour les nettoyer,
mais sachez résister au plaisir de prolonger ce bain :
l'eau vous ramollirait les chairs, et le lendemain,
vous souffririez le double.
Nous recommandons également l'usage du suif
pour ramollir les brodequins ;
le cuir enduit de suif s'assouplit en moitié moins de temps
que le cuir non suiffé.
S'il pleut, le suif vous fournit le moyen de faire l'étape
sans avoir les pieds trop mouillés ;
pour cela, il faut allumer une chandelle et faire dégoutter du suif sur toutes les coutures de vos souliers ;
ne craignez pas de faire un épais ruisseau jaunâtre,
plus le cuir sera imprégné, moins l'eau pénétrera ;
mettez-en également sur le soulier, sur les lacets, partout ;
c'est un corps gras et, par conséquent, un isolant.
Manuel du fantassin 1914
Collection Yves Lossouarn
Voilà ce que nous tenions à dire, touchant la chaussure du réserviste appelé à faire les grandes manœuvres.
Les précautions que nous venons d'indiquer sont, pour ainsi dire, élémentaires :
il n'est pas un chasseur qui ne les connaisse et ne les observe.