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Fenêtres sur le passé
1880
Inondations à Morlaix
Source : Le Petit Brestois octobre 1880
Inondations à Morlaix
Les pluies torrentielles qui n'ont cessé de tomber pendant plusieurs jours,
devaient nécessairement causer de grands dégâts,
sinon à Brest qui n'a pas à craindre les inondations, du moins dans les environs.
Les villes de Quimper, Châteaulin et Morlaix, toutes trois traversées par des rivières,
pouvaient s'attendre à être bien éprouvées ;
nos craintes se sont malheureusement réalisées, et vendredi nous avons été avertis qu'à Morlaix la rivière menaçait de quitter son lit, déjà trop petit pour laisser passer les eaux arrivant avec abondance.
Aussitôt que nous avons connu la nouvelle, nous avons expédié l'un de nos collaborateurs
qui nous a rapporté les renseignements qu'on va lire, sur cette épouvantable catastrophe.
Vendredi soir, vers 9 heures, la rivière menaçait de déborder et d'inonder les quais,
la pluie tombant toujours avec une violence extrême ;
peu de personnes s'en doutaient, Morlaix étant une de ces villes calmes où chacun reste chez soi,
dès la chute du jour.
Cependant, quelques passants justement inquiets,
crurent devoir prévenir les riverains d'avoir à prendre leurs précautions.
Ce bruit se répandit bien vite en ville, et, vers 10 heures ½ le soir,
la circulation devenait impossible sur le square de l'hôtel-de-ville,
en même temps que les consommateurs étaient surpris dans les cafés, par l'eau qui filtrait déjà par dessous les portes, et inondait les planchers, à 11 heures ½ les clairons des chasseurs à pied sonnaient la générale, afin de réunir les militaires et en même temps les pompiers
dont on connaît l'adresse, la bravoure et l'intrépidité.
Mais que faire, la nuit, sans la moindre lumière,
les tuyaux de gaz s'étant rompus par les déplacements
de terrains causés par le courant toujours grossissant.
Néanmoins, on se mit en devoir de disposer le mieux possible des cordes de protection pour lutter contre le courant,
et au moyen desquelles on parvenait à traverser les rues.
Les commerçants montaient leurs marchandises aux étages supérieurs, et regardaient anxieux le flot qui montait toujours
et roulait avec un vacarme épouvantable.
Toute la nuit fut employée à vider les magasins et encombrer les étages les plus élevés,
on se partageait le logement, comme le lendemain on se partageait les vivres.
Le lendemain samedi, après une nuit passée dans l'incertitude, il fallait songer à faire des vivres,
si l'on avait confiance dans la solidité de sa maison, ou essayer de fuir si faire se pouvait.
C'était à l'aide de cordes que l’on parvenait à se faire apporter des provisions,
et non pas sans difficultés ni sans périls ;
dans les cas suprêmes, il se trouve toujours des gens d'une hardiesse extraordinaire, et à Morlaix,
nous pouvons l'affirmer, les sauveteurs ne manquaient pas.
Tant que la chose a été possible, des hommes, au risque d'être emportés par le courant,
traversaient les rues transformées en véritables rivières, avec de l'eau jusqu'aux aisselles, en certains endroits ;
grand nombre de personnes ne doivent leur existence qu'au dévouement d'hommes courageux
affrontant les plus grands périls pour sauver leurs semblables.
C'est ainsi que Mme Massé, commerçante, a été enlevée affolée de chez elle, rue d'Aiguillon,
ainsi qu'une autre dame, par un agent de ville dont nous regrettons de ne pas connaître le nom.
Un jeune homme de 16 ans, un collégien, a, la nuit,
réussi à parvenir jusqu'au viaduc et là à sauver un jeune enfant
de 9 à 10 ans que l'eau emportait ;
craignant que ses forces ne vinssent à lui faire défaut,
une main vigoureuse l'a empoigné et ramené hors de l'eau
avec l'enfant, qui n'était autre que le fils de W. Gaillet,
directeur du petit Théâtre d'Été, que les Brestois n'ont pas oublié.
Donnons vite le nom du sauveteur,
il a droit à des éloges publics pour l'acte de courage qu'il a accompli.
Ce jeune collégien se nomme Jaouennet.
Sous le Viaduc
Les voitures du théâtre Gaillet étaient remisées sous le viaduc, de façon à ne pas gêner la circulation ;
Mme Gaillet et sa demoiselle ne se doutant pas de ce qui se passait autour d'elles causaient tranquillement,
lorsqu'un homme effaré ouvre la porte et les engage vivement à sortir, se proposant de les ramener en lieu sûr,
si elles veulent se confier à lui ;
Mm e Gaillet se cramponne à ce brave cœur qui traverse la place inondée jusqu’à une hauteur de 0 m. 75 environ,
et dépose dans une maison voisine la proie qu'il venait d'arracher au torrent devenu furieux ;
ce n'est pas sans trembler pour lui qu'on vit cet homme se remettre à l'eau pour aller chercher
dans la même voiture la jeune fille, qui avait vu sa mère sur les épaules de cet audacieux,
que pouvaient renverser des épaves que commençait à amener le courant ;
enfin, le sauveteur accomplit avec le même bonheur ce deuxième et périlleux passage .
Des hommes aussi dévoués et surtout aussi courageux
ne doivent jamais être oubliés, aussi est-ce avec une véritable satisfaction que nous donnons ici son nom q
ue ses concitoyens prononceront désormais avec orgueil.
C'est M. Leroux, à qui Mme et Mlle Gaillet doivent la vie.
Quatre artistes du même théâtre (4 hommes),
ont été secourus par des pompiers à l'aide de cordes
qui ont été d'un grand secours.
Toutes les barraques en construction sur la place de la Mairie, à l'occasion de la Foire-Haute, ont été mises en pièces ; les panneaux de la loge Gaillet ont été charriés par l'eau jusqu'aux garde-fous ;
par suite, le courant prit une nouvelle direction et vint frapper contre les premières maisons de droite ,
au pied du viaduc, pour de là, retomber dans la rivière emportant une partie de la chaussée
et la bordure de pierres de taille
Rue d’Aiguillon
Cette rue est la plus éprouvée ;
la chaussée a été creusée jusqu'à 2 mètres environ ;
les pavés roulaient avec l'eau et venaient frapper sur la maison Le Hir, épicier ;
il y a à cette encoignure un entassement considérable de pavés.
Les magasins de cette rue ont eu 60, 75 centimètres et un mètre d'eau ,
quelques-uns en contre-bas de la rue ont eu jusqu'à 1m 50 et 2 mètres.
À la teinturerie Cailleau, le comptoir dansait dans le magasin ;
le café de l'hôtel d'Europe avait 60 centimètres, les cuisines 3 mètres.
Pour sortir de cet hôtel, ou dut amener une voiture sous les fenêtres pour servir de point d'appui
à une échelle par laquelle sont descendus tous les voyageurs ;
c'était navrant et curieux en même temps, de voir circuler cet attelage aux trois-quarts dans l'eau.
Une calèche, stationnée sur la place de Viarmes, a été enlevée par le courant et est venue se briser rue d'Aiguillon.
Place des Jacobins.
Cette place recevait directement l'eau qui passait par-dessus
les voûtes, trop basses à ce moment ;
la place est couverte de sable ;
nous y avons vu une crevasse profonde de 3 à 4 mètres ;
les magasins de M. Cariolet ont été envahis,
et l'un de ses comptoirs, chargé de 200 kilogrammes de pointes, a été déplacé.
Il y a eu un instant de panique,
c'est au moment où une ménagerie installée sur cette place commençait à se désarticuler ;
les lions rugissaient et voulaient sortir ;
les employé s de l'établissement durent enlever leurs toiles afin de pouvoir surveiller, leurs animaux ;
si leurs cages avaient été envahies, nul doute que ces animaux féroces ne parvinssent à sortir de leur prison,
de là la terreur des habitants.
C'est à l'aide d'une plate apportée par une voiture que M. l'officier-payeur est parvenu jusqu'à la caserne
et où il a réussi à sauver les archives du régiment.
Ramer sur une place et dans l'intérieur d'une caserne, cela n'a guère jamais dû se voir.
Le garde du génie et sa dame qui habitent la caserne n'ont pu être réveillées que dimanche .
N'oublions pas non plus un deuxième sauvetage accompli par le même M. Leroux à l'îlot de M. Lecorre , connu sous le nom de l’île d'amour.
M. Le Roux a trouvé le moyen, à l'aide d'une échelle appuyée sur un mur,
d'atteindre le faîte d'une maison qu'il avait jadis occupée ;
une fois là il se mit en devoir de défoncer la toiture, et de faire passer par ce chemin une dame et son mari,
ainsi que le père de l'un d'eux, mort de la veille.
Voilà les faits principaux que nous avons rapportés,
et qu'on lira avec intérêt, car ils n'ont rien d'exagérés,
et nous ont été confirmés par des personnes très-honorables
de Morlaix.
Il nous reste maintenant à remercier la municipalité de Morlaix
de son bon accueil et de la courtoisie avec laquelle
elle nous a délivré un permis de circulation,
à l'aide duquel nous avons pu juger dans tous ses détails les dégâts occasionnés par l'élément destructeur, en même temps
que nous avons constaté l'activité déployée
par elle pour remettre les choses en état.
Les travaux de remblais, déblais et pavage des rues et des places s'effectuent avec une rapidité extraordinaire,
grâce à l'intelligence, avec laquelle sont dirigés, jour et nuit, les 400 travailleurs qui,
dans cette circonstance, font l'ouvrage de 800.
Le gaz sera, dit-on, rétabli ce soir ;
en attendant des lanternes à l’huile ont été posées au-dessous de toutes les lanternes à gaz,
et la ville n'est plus dans l'obscurité, depuis que la circulation est redevenue possible.
Les personnes les plus éprouvées sont d'abord les petits marchands forains installés sur les places,
entr'autres un marchand de porcelaines dont les harasses ont été charriées jusqu'au viaduc,
au pied duquel elles se brisaient.
Ses pertes sont évaluées à 7,000 francs environ.
Ensuite les marchands de grains et farines qui conservent d'ordinaire leurs marchandises dans des caves.
M. Garnier, qui habite près l'abattoir a perdu environ 4 000 fr. de grains,
et M. Rivoallan, minotier, environ 15,000 fr.de grains et farines.
Nous devons également des remerciements aux quelques personnes qui ont bien voulu nous aider à recueillir
ces quelques renseignements, que nous sommes heureux de pouvoir soumettre aux Morlaisiens habitant Brest.
Le temps nous fait défaut pour énumérer une foule d'autres faits et accidents qui ont aussi leur importance,
mais que l'on trouvera certainement dans les journaux de la localité.
Ce n'est que dans la nuit de samedi à dimanche que les eaux ont baissé d'une manière sensible,
et le matin on a pu circuler dans quelques rues, mais le Queffleut et le Jarlot toujours débordés,
n'avaient point cessé de rouler en torrents à travers la ville, ni les habitants des quartiers inondés d'être prisonniers.
Depuis ce moment le niveau de la crue a continué à baisser,
et aujourd'hui il ne reste plus que d'énormes flaques d'eau et des rues défoncées.
Les places publiques naguères sablées sont maintenant creusées de larges ravines :
partout c'est l’image de la désolation, mais il n'y a plus rien à craindre quant à présent.