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Fenêtres sur le passé

1880

Évacuation du Château de Brest

par les troupes du 19e de Ligne

Source : Le Petit Brestois novembre 1880

 

Évacuation du Château de Brest par les troupes du 19e de Ligne.

 

Les troupes du 19e de ligne ont évacué le Château cette semaine.

 

Des compagnies ont été envoyées au Portzic, à Quélern, et dans les casemates de l'Harteloire.

 

S'il est impossible de découvrir la cause de cette maladie qui a atteint, pour la deuxième fois de l'année,

les militaires casernes au Château, que l'on veuille bien, cependant, nous permettre de communiquer notre opinion, dont pourront faire leur profit, s'ils le veulent, les personnes appelées à étudier la question d'assainissement

de la caserne.

 

D'abord, est-ce la caserne qu'il faut accuser, et encore,

s'agit-il de la caserne elle-même ou de l'emplacement qu'elle occupe ?

 

Voilà la première question à se poser.

 

Pourquoi le Château très sain autrefois, cesserait-il de l'être aujourd'hui ;

ne doit-on pas rechercher depuis quelle époque la maladie a commencé à faire son apparition,

et une fois cette date trouvée , ne faut-il pas s'enquérir si des travaux quelconques n'ont pas été exécutes,

soit pour agrandir, soit même pour assainir le Château ?

Faut-il accuser les vieux murs ;

faut-il accuser le sol ;

les constructions neuves sont elles plus saines

que les plus anciennes ;

les chambrées sous le vent N. 0. ou le vent 0. N. 0.,

qui sont les vents régnants à Brest,

sont-elles plus souvent atteintes que les autres ;

et, dans le cas de l'affirmative, les parties le plus souvent atteintes reçoivent-elles un air vicié par les miasmes répandus

par les latrines et apportés par les vents régnants ?

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Si oui, le remède est trouvé :

Déplacement de ces latrines qui, paraît-il, sont munies de cloisons étanches,

mais non d'une canalisation soigneusement établie ; elles ne reçoivent guère d'eau, peut-être même pas du tout.

 

Voilà donc pour cette pauvre caserne où, pendant bien des années, de vieux troupiers,

des vétérans et aussi de jeunes soldats se sont bien portés.

 

Quelques vieux militaires, qui ont connu les soldats d'autrefois, nous ont fait les observations suivantes :

Jadis, les hommes étaient plus solides ;

ils fatiguaient beaucoup moins ;

le service était moins rude.

 

Le contingent de chaque année était plus faible, par conséquent chaque régiment conservait

un grand nombre de vieux soldats parfaitement habitués au régime militaire.

 

Le recrutement se montrait plus difficile, et les hommes chétifs étaient éliminés.

 

Aujourd'hui, tout le monde étant appelé sous les drapeaux, il existe un grand nombre d'hommes ayant de l'argent,

et ne rêvant par conséquent, le service terminé, qu'à quitter bien vite le quartier

pour s'en aller faire la « noce » en ville.

Comment donc, dans un climat humide comme celui de Brest,

un régiment quelconque composé exclusivement

de jeunes hommes beaucoup moins robustes que leurs devanciers, et beaucoup plus débauchés en général, puisqu'ils sont plus riches, comment, disons-nous, ces jeunes militaires pourraient-ils,

avec la même nourriture que nos vieux soldats d'autrefois, supporter un métier aussi pénible ?

 

Voilà les questions posées par de vieux soldats qui, eux aussi,

ont été casernés au Château.

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L'autorité supérieure justement émue des nombreux cas de fièvres qui lui étaient signalés,

avise en ce moment même aux moyens de remédier à cet état de chose.

 

Un général est arrivé en toute hâte pour rechercher avec l'aide d'un conseil ad hoc,

la cause réelle du fléau restée inconnue jusqu'ici.

 

Nous avons pensé qu'il était de notre devoir de donner aussi notre modeste avis sur cette malheureuse question,

et nous accepterons avec reconnaissance toutes les réflexions que l'on voudra bien nous adresser,

dans l’espoir de nous rendre utile, en concourant par nos avis et nos conseils à essayer de conjurer le mal qui menace, si cela continue, de rendre le Château inhabitable.

 

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Lettre d'un ancien militaire.

 

Brest, le 5 Novembre 1880.

 

Monsieur le Rédacteur,

 

La caserne du Château vient, encore une fois, d'être évacuée par les troupes qui l'occupaient.

 

Il est vrai que beaucoup d'hommes tombent malades,

mais les maladies ne proviennent pas des bâtiments occupés par les troupes, suivant moi.

 

Un article du règlement sur le service intérieur défend expressément aux hommes de sortir de leur chambre

sans être bien couverts, et cependant l'on rencontre journellement des hommes en bras de chemises,

voire même en caleçon, se rendant, soit aux cuisines, soit aux lieux d'aisance, soit dans les cantines.

 

Il me semble qu'il serait bien facile de réprimer cet abus.

 

La nouvelle organisation de l'armée ayant créé un emploi d'adjudant par compagnie pour la discipline,

il n'y a qu'à exiger de ces sous-officiers une surveillance constante et sévère, sur la tenue dans la caserne,

et l'on verra disparaître bientôt toutes ces maladies qui proviennent, au moins en partie,

de la négligence des hommes, que les personnes chargées du service intérieur de la caserne

devraient contraindre à observer l'article précité du règlement.

 

Recevez, etc.

 

UN ANCIEN MILITAIRE

 

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Aujourd'hui, c'est un fait accompli, il n'y plus de troupe au Château.

 

Que va-t-on faire pour assainir cette pauvre caserne

que l'on accuse bien à tort, croyons-nous.

 

Ce qui nous confirme dans notre opinion,

c'est que nous voyons toujours les cas de fièvre typhoïde

se présenter en ville, en même temps qu'au Château.

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S’ils sont plus nombreux chez les militaires c’est que ceux-ci sont tous jeunes soldats, de 20 à 25 ans,

tandis que la population brestoise contient des habitants de tous les âges.

 

Or depuis trois semaines, les médecins civils sont sur les dents ;

il n’en est pas un qui n’ait 12 à 15 fiévreux à soigner,

c’est une véritable épidémie qui cependant ne paraît pas devoir prendre les mêmes proportions qu’en 1876.

 

Nous publions encore une lettre qui vient à l'appui de nos dires :

les murs ne sont pas, ou du moins ne doivent pas être la cause réelle, la cause unique de l'épidémie qui règne à Brest.

 

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Brest, 8 Novembre 1880.

 

Monsieur le Rédacteur,

 

Vous me permettrez de vous signaler une omission dans l'article de votre estimable journal du 6 courant,

au sujet des épidémies du Château.

 

Je remarque, en effet, que vous passez sous silence la question de la salubrité des eaux et cependant

combien de fois des épidémies ont-elles été occasionnées par les principes morbides apportés par certaines eaux, surtout celles traversant des égouts.

 

Ne pourrait-on attribuer les causes de l'épidémie à l’eau qui est journellement consommée au Château.

 

À ceci vous objecterez qu'autrefois l'eau était salubre au Château !

 

Oui, mais, des travaux aux environs n'ont-ils pas pu changer l'état de l'eau.

 

Ne me jugeant ni assez compétent, ni assez expérimenté en la matière pour traiter cette question,

je laisse à d'autres le soin de répondre aux questions suivantes, qui sont des remarques faites par moi :

 

1 -  Depuis quelle époque la maladie a-t-elle fait son apparition, pour la première fois ?

Sans être trop affirmatif, je crois que plusieurs épidémies se sont succédées depuis deux ou trois ans seulement.

 

2 - Cette époque ne coïnciderait-elle pas avec l'établissement des égouts conduisant à la mer les immondices de plusieurs quartiers de Brest, égouts qui se déversent à Porstrein ?

 

Plusieurs personnes de Brest m'ont affirmé que c'était à cette époque que les égouts avaient été établis.

 

3 - De quel côté viennent les eaux qui alimentent le Château?

Elles semblent venir du Cours d'Ajot ou de la rue Voltaire,

et par conséquent traversent l'endroit occupé par les conduits.

 

4 - Des infiltrations n'ont-elles pas eu lieu dans les eaux depuis l'établissement de ces égouts.

J'ai cru utile, Monsieur le Rédacteur, de vous signaler ces faits,

vous priant de donner à mes réflexions la suite que vous jugerez nécessaire.

 

Agréez, etc.

 

UN ANCIEN MILITAIRE

 

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Il est bien certain que depuis plusieurs années on a beaucoup remué le terrain aux alentours du château ;

la reprise des travaux du boulevard,

la démolition des maisons du quartier des Sept-Saints,

ne sont pas faites pour désempester les chambrées de la caserne, et elles sont empestées.

 

La réfection des trottoirs qui se poursuit

avec une lenteur désespérante, met à nu

depuis plus d'un mois le sol puant de terre noirâtre de nos rues.

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Enfin, l'affreux état d'entretien de la ville, dont les rues ne sont propres que là où ne passent ni piétons ni voitures,

est, suivant nous, en partie cause de l'épidémie des fièvres que nous traversons en ce moment ;

qu'on interroge toutes les personnes qui s'occupent d'hygiène,

et toutes répondront qu'il est peu de villes en France où, avec un budget comme celui de Brest,

on se préoccupe si peu de la salubrité publique ;

les balayeurs ne sont seulement pas surveillés ou le sont invisiblement ;

ils étalent, sur la chaussée, les immondices qu'ils ont la paresse de verser dans leurs voitures ;

nous prouverons ce fait quand on le voudra.

 

Moins de trottoirs coûteux et de la propreté avant tout !

 

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... Le Maire, avec l'autorisation du Conseil, écrira aussi à M. le Ministre de la Guerre,

pour lui demander la création d'une caserne nouvelle, puisque la caserne du Château a été reconnue inhabitable.

 

M. Delagarde croit que ces épidémies qui s'abattent chaque année à époque fixe sur notre ville,

ne viennent pas seulement de l'insalubrité des bâtiments du Château et des terrains qu'on y a bouleversés,

mais encore des vases que l'on extrait du port de commerce et que l'administration des ponts et chaussées,

par esprit d'économie, fait jeter à Saint-Marc, au lieu de les faire transporter dans la baie de Roscanvel.

 

M le Maire dit qu'à cet égard l'on peut être rassuré.

 

Dès le commencement des travaux faits pour l’établissement du port de commerce,

on s'était inquiété de l'influence pernicieuse que ces vases qu'on laissait exposées à air libre,

aurait pu avoir sur la santé publique.

 

Le Conseil d'hygiène, composé de chimistes éminents, en fit une analyse scrupuleuse,

et il fut reconnu que ces vases ne pouvaient en aucune façon, être nuisibles.

 

M. Huau fait remarquer que le dragage des vases avait cessé plus de deux mois avant que les premiers symptômes

de la maladie aient été constatés.

 

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Tout notre argent file en grosses subventions ;

les emprunts de la ville sont toujours employés de façon à ne pas contenter assez de monde.

 

Aujourd'hui on engouffre encore des sommes incalculables à assainir le quartier des Sept-Saints,

pendant qu'on aurait dû, du moins pendant que règne la fièvre typhoïde, suspendre les travaux.

 

Assainir ! En voilà un mot qui fait bien dans un compte-rendu du Conseil Municipal de Brest ;

jetez un coup d'œil sur tous nos ruisseaux, sur l'entrée de l'ancienne rue du cimetière, sur la rue du Port du Commerce, sur la plupart des rues dont les immondices sont enlevées à des heures insensées,

quand dès 8 ou 9 heures tout devrait avoir disparu ;

et qu'on nous parle après cela d'assainissement !

 

C'est une honte que de laisser les voies publiques dans un pareil état.

 

La rue de Siam que l'on embellit à grands frais par de superbes trottoirs est impraticable depuis près de 2 mois ; certainement que les huit ou dix ouvriers qui y travaillent ne peuvent aller plus vite;

mais la rue de Siam est plus passante que les autres, il fallait donc y jeter 30 ou 40 maçons et le travail serait déjà fini.

 

On a dit dans une assemblée que le Petit Brestois en voulait à l'Administration municipale, c'est une grave erreur ;

nous ne nous occupons que de ce qui est public, sans nous inquiéter des personnes ;

Brest est dans un état de malpropreté qui ne fait pas honneur à ceux qui sont chargés de nos intérêts ;

eh bien, nous demandons qu'on balaye, qu'on lave, qu'on assainisse,

mais nous constatons malheureusement que nos plaintes ne sont pas assez écoutées :

tant pis, nous continuerons de récriminer, ainsi que le devoir nous le commande.

 

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Nous recevons la lettre suivante :

 

Brest, le 28 novembre 1880.

 

Monsieur le Rédacteur,

 

Depuis un certain temps, je remarque qu'on se préoccupe beaucoup, non sans raison, des causes de l'insalubrité de la caserne du Château.

 

Permettez-moi, à cette occasion,

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de vous fournir quelques renseignements qui, bien que remontant à une date très ancienne (1825 ou 26),

pourraient encore être d'actualité.

 

Beaucoup de personnes ignorent que cette caserne est construite, en tout ou en partie sur un vaste sous-sol,

et que là peut-être se trouve le foyer du mal dont nos braves soldats ont été les victimes.

 

À l'époque dont je vous parle, il existait, dans la partie de ce souterrain qui se dirige vers les lieux d'aisance,

un cloaque tellement infect qu'aucune lumière ne pouvait se tenir allumée tant l'air était profondément corrompu

et qu'il fallait rebrousser chemin au plus vite sous peine d'être asphyxié.

 

Supposons maintenant les choses à peu près dans le même état,

ne peut-il pas se faire que les miasmes empoisonnés qui se forment, qui s'accumulent dans cet horrible bas-fonds

et qui n'ont d'accès à l'air libre que par la porte de l'escalier pratiqué sous le pignon Ouest de la caserne

ou par les embrasures d'une espèce de tour qui fait face au Sémaphore, envahissent ce bâtiment

et le rendent inhabitable sous l'action de certains vents, sous l'influence de certaines conditions atmosphériques ?

 

Je me contente de poser la question, laissant à de plus compétents le soin de l'éclaircir et de la résoudre.

 

Quant à moi qui, en compagnie de quelques jeunes fous, ai parcouru les souterrains du Château,

au risque mille fois de perdre la vie dans ces excursions insensées, je suis infiniment convaincu que si on les purifiait,

si on les débarrassait des émanations empestées qu'ils recèlent dans leurs flancs, on rendrait un véritable service,

non pas seulement aux habitants de ce Château, mais même à la population des bas quartiers de notre ville.

 

Si vous croyez que cette petite note puisse être utile à quelque chose, je vous autorise à en faire l'usage qu'il vous plaira.

 

Veuillez agréer, etc.

 

F. BILLON,

Ancien instituteur communal de Brest

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