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Fenêtres sur le passé

1879

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Une excursion au Guilvinec

Source : Le Petit Brestois avril 1879

 

Une excursion au Guilvinec

 

Si vous admirez la nature sauvage, si vous aimez voir la mer furieuse déferler sur une côte hérissée d'écueils,

si vous n'avez jamais assisté au spectacle de deux cents chaloupes bravant courageusement les éléments déchaînés pour arracher à l'Océan les poissons argentés qui figureront avec un égal bonneur sur la table du pauvre

et sur celle du riche, faites comme moi, prenez la route de Pont-l'Abbé et accompagnez-moi au Guilvinec.

 

Il y avait huit ans que je n'avais revu cette partie du littoral.

 

À cette époque, c'était un misérable hameau composé de quelques méchantes chaumières de pêcheurs

tombant à moitié en ruines, aujourd'hui, ce désert a changé de face, ce hameau s'est peuplé ;

il a grandi, il s'est développé, il a pris les allures d'une petite ville.

 

C'est la pêche qui a opéré cette métamorphose.

 

Aussitôt que la pêche s'ouvre, les Douarnenistes, las des chômages de l'hiver,

appareillent et viennent croiser dans ce port.

 

Au carnaval, la flottille se met en mouvement et l'on procède aux opérations de la pêche.

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Mais que de souffrances on endurera dans cette première partie d'une campagne qui sera rude.

 

Ils sont là quinze cents hommes passant les nuits dehors

au mois de Mars, qui n'est guère tendre,

et n'ayant pour se reposer qu'une étroite cellule

par équipage de bateau ;

il faudra se serrer les uns contre les autres, se pelotonner et occuper le moins de place possible.

 

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On se nourrira de poissons frais ou salés, car la viande est un luxe,

et plus d'un de ces braves marins qui exposent leur vie, logent le diable dans sa bourse.

 

D'un autre côté, tout est à créer dans ce pays.

 

Les fontaines d'eau douce n'existent qu'en rêve.

 

On a gratifié la ville d'une unique fontaine, et bien qu'elle soit insuffisante pour approvisionner la flottille,

cette amélioration a été acceptée avec reconnaissance.

 

On a déclaré que Plomeur et les ponts et chaussées avaient bien mérité du Guilvinec.

 

Les routes soit défoncées, les voitures qui servent au transport du poisson du Guilvinec à Quimper,

et dernièrement nous en comptions quatre-vingt-dix, galopant au milieu de fondrières et d'ornières,

et risquent à chaque instant de chavirer.

 

La route du Guilvinec à Plomeur est fantastique ;

les chevaux s'essoufflent à la grimper, celle qui va de Plonéis au 8e kilomètre de la route de Pont-l'Abbé

ne vaut guères mieux.

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Le temps est pourtant précieux, là plus que partout ailleurs,

car il s'agit d'arriver avec exactitude à Quimper,

d'où la marée sera dirigée sur Paris.

 

N'est-il donc pas bien important pour accroître la prospérité

de cette industrie, de multiplier les voies de communication,

de réfectionner les anciennes et de faciliter les transports ?

 

Le télégraphe est à l'état d'embryon,

ce poste est situé à trois kilomètres du Guilvinec

et l’expédition d’un express est toujours fort dispendieuse.

 

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Le service des postes n'est pas mieux organisé,

les lettres mettent quarante-huit heures à faire le trajet de Quimper au Guilvinec.

 

En vérité, n'est-ce pas un miracle que ce petit port soutienne la concurrence redoutable des Anglais.

 

C'est un mythe inexplicable.

 

Nous savons bien que tout ne peut se faire à la fois dans un pays où tout est à faire,

mais si l'on consentait au moins à nous témoigner de la bonne volonté, à nous faire l'aumône

de quelque petit bureau de poste, on patienterait un peu.

 

Au Guilvinec, les médecins brillent par leur absence ;

la pêche est cependant fertile en accidents de toute nature ;

les médecins les plus voisins demeurent à trois lieues de là,

et encore n'a-t-on pas toujours la certitude de les rencontrer.

 

Ainsi donc voilà une population de 1,500 braves matelots, exposés à tous les risques et à tous les hasards

d'une profession périlleuse qui, pendant les trois mois que dure la campagne

se trouvent complètement dépourvus d'assistance médicale.

 

En attendant l'installation d'un médecin civil, ne serait-ce pas trop oser que de s'adresser à M. le Préfet maritime

et de lui demander qu'il voulût bien organiser, provisoirement, l'assistance médicale  et détacher au Guilvinec,

pendant trois ou quatre mois, un médecin de la marine ?

 

Ce serait rendre un service signalé à cette population,

où la France vient prendre ses matelots les plus intrépides,

les plus fidèles et les plus dévoués.

 

Espérons que M. le Préfet maritime de Brest,

dont nous connaissons l'intelligence supérieure,

prendra l'initiative d'une mesure humanitaire au premier chef.

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