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Fenêtres sur le passé

1879

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Le chien enragé de Saint Pierre Quilbignon

Source : Le Petit Brestois mars 1879

 

Le chien enragé de Saint Pierre Quilbignon

 

Samedi, dimanche et lundi, un chien enragé, un véritable roquet, couleur chocolat,

a parcouru toute la commune de Saint-Pierre.

 

Il a d'abord mordu le bedeau de l'église de Saint Pierre, au gras de la jambe, les crocs du chien avaient pénétré

assez profondément.

 

La victime a été transportée à Brest, où un médecin lui a administré les premiers secours.

 

Le chien a ensuite rencontré M. Pérénes, auquel il a infligé une morsure.            

 

M. Pérénes, maître entretenu au port (sic), a été traité à l’hôpital maritime :

les dents du chien étaient imprimées sur la chair, mais elles ne l’avaient pas mordu jusqu’au sang.

 

Deux enfants ont été mordus à la hauteur du Petit-Paris ; leurs blessures ne sont pas dangereuses.        

 

Toute la journée du dimanche, le chien a rôdé dans la commune, et des propriétaires de chiens ont été obligés

de les abattre, après avoir constaté qu'ils avaient été mordus.

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Lundi, le chien a été poursuivi par deux hommes dont

l’un était armé de pierres et l'autre d'un bâton,

ils ont essayé de le rejoindre, mais ce chien, effrayé,

a pris la direction de Guilers.

 

Tout le monde, à Saint-Pierre, a vu le chien ;

il est étonnant qu'on ne soit pas parvenu à l'assommer.

 

Un paysan, dont on cite le nom, l'a aperçu pendant

très longtemps auprès de sa ferme ;

il n'a même pas osé s'en approcher.

 

Nous souhaitons que les habitants de Guilers détruisent rapidement une bête aussi malfaisante, et les habitants

de Saint-Pierre feront bien de se munir de bâtons lorsqu'ils sortiront, afin de pouvoir se défendre dans le cas où des chiens mordus par celui-là essaieraient encore de les attaquer.

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La Rage à Saint-Pierre-Quilbignon

 

L'autre jour nous avons parlé d'un chien enragé qui, à Saint-Pierre, avait mordu plusieurs personnes.

Nous nous sommes informé de la santé de ces infortunés, et nous avons eu la satisfaction d'apprendre

qu'elles se portent à merveille.

 

Il n'est cependant pas sans utilité d'insister sur un sujet pareil, et d'indiquer les symptômes de ce mal terrible

et des divers remèdes qu'il est possible de lui appliquer

 

Les médecins sont fort embarrassés pour expliquer la rage.

 

Comment se produit-elle ?

 

Peut-on l’attribuer à l'excès du froid et de la chaleur, à la privation de nourriture, aux aliments en putréfaction,

à une soif prolongée, à la non satisfaction des désirs ?

 

Autant de questions dont la science ne nous fournit pas la solution.

 

En tout cas, les médecins compétents s'accordent à reconnaître que la rage se développe principalement

en janvier et au commencement du printemps, et que dans les jours caniculaires, pendant lesquels les règlements

de police ordonnent de museler les chiens, les cas de rage sont bien moins fréquents.

 

Des constatations sérieuses détruisent donc le préjugé qui veut que la rage exerce ses ravages dans le fort de l’été.

 

Quels sont les symptômes de cette maladie chez les chiens ?

 

Le chien devient sombre, il s'attriste, il change souvent de posture, se retire dans les coins obscurs

et sous les meubles ; on l'appelle, il n'obéit qu'avec lenteur ; cependant il redouble d'affection pour son maître,

et semble implorer le remède qui doit le guérir.

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Il croit apercevoir des objets qui n'existent que dans son imagination, s'élance pour les attraper.

 

On prétend qu'il a horreur de l'eau, c'est une erreur ; il recherche l'eau,

il éprouve le besoin de rafraîchir sa gorge desséchée,

il s'y baigne avec délices.

 

Mais la gorge se contracte ; il déchire tout ce qui est à sa portée :

laine, chiffons, morceaux de bois, il avale tout, et les matières

qu'il a avalées lui déchirent les entrailles, des filets de sang se remarquent dans ses déjections.

 

Il devient bientôt furieux, il écume, le museau est tout barbouillé

de morve.

 

L'aboiement se modifie, il devient rauque ;

le chien entre en fureur devant son pareil ; et se jette sur lui.

 

La maladie arrive bientôt à la période rabique.

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L'œil brille de lueurs sombres, la gueule est enflammée, la langue pendante est striée de larges tâches bleuâtres.

 

Souvent il s'échappe de son domicile, il va droit devant lui, mord ce qu'il rencontre.

 

Dans l'intervalle des accès, il s'accroupit sur le bord des fossés jusqu'à ce qu'un nouvel accès vienne le secouer

et le réveiller de sa torpeur, puis il crève au bout de trois à quatre jours.

 

Pour l'homme, vingt ou quarante jours s'écoulent entre la morsure et les accidents qui dénoncent la rage.

 

Les symptômes ressemblent beaucoup à ceux que nous avons relevés chez le chien.

 

L’insolation, les excès, la fatigue, tout ce qui accélère la circulation du sang peuvent précipiter l'explosion.

 

Lorsque l'état rabique se déclare, les cicatrices se rouvrent, se gonflent, changent de couleur.

 

L'homme devient inquiet, soucieux, il se replie en lui-même, sa figure exprime l'anxiété et la terreur.

 

Il ressent à la gorge de violentes douleurs, et au pharynx des convulsions répétées, il crachote sans cesse,

les yeux s'injectent, des signes d'asphyxie se manifestent sur la face devenue vultueuse.

 

La lumière la plus douce, le bruit le plus léger l'impressionne douloureusement ;

il est en proie au délire, essaie d'écarter des fantômes qui passent et repassent devant ses yeux ;

puis les sueurs froides font leur apparition, le pouls s'affaiblit de plus en plus, il tombe dans un état d'épuisement

et d'affaissement, il succombe dans des douleurs atroces.

 

Quels sont les remèdes ?

 

Si le virus a pénétré dans la circulation, il est inoculé au sang, le mal est sans remède.

 

Les médecins reconnaissent leur impuissance.

 

Il faut prévenir le mal, retarder la pénétration du virus, appliquer une ligature bien serrée entre la plaie et le cœur, pratiquer une incision et pomper le virus, débander la plaie et la fouiller d'un fer rougi au feu, la cautériser.

 

On parle bien de fumigations de vinaigre, de perchlorure de fer, de datura (*),

mais nous croyons que le mieux est de s'en tenir à ce que nous avons indiqué,

à moins que I’on ne préfère s'adresser à Saint Hubert.

 

Il paraît qu'une invocation à ce patron de la chasse produit des effets miraculeux.

Mais nous ne conseillons pas ce dernier, on pourrait s’en trouver mal.

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La rage à Pouldreuzic

 

 Nous avions bien raison de précautionner le public

contre la rage.

 

L'Océan, en effet, nous annonce, dans son dernier numéro que la commune de Pouldreuzic serait en ce moment infestée de ce fléau.

 

Quantité de chiens auraient été mordus.

 

Un malheureux enfant vient d'être la victime de ces bêtes malfaisantes.

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(*)Les vertus médicinales du Datura

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Druides et sorciers utilisaient des philtres de Datura pour guérir les convulsions,

les prostituées et autres brigands ont souvent fait boire du vin dans lequel des graines de Datura avaient macéré, dans le but d’endormir leurs clients pour les dévaliser !

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Plus tard, on a même, jusqu’à la fin des années 1980, vendu des cigarettes de Datura contenant des feuilles

en poudre aux propriétés bronchodilatatrices, pour traiter l’asthme !

​

Le Datura est narcotique et antispasmodique, il réduit les sécrétions et relaxe les muscles lisses

mais son utilisation peut entraîner des dégâts irréversibles sur l’organisme.

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Au jardin, le Datura a la particularité d’attirer les larves de doryphores qui se nourrissent des feuilles

et en meurent intoxiquées : cependant, mieux vaut trouver un autre piège contre les doryphores

afin d’éviter qu’un enfant se fassent prendre aussi.

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Des intoxications accidentelles se produisent aussi lorsque des abeilles ont butiné le Datura pour le miel,

ou par l’inhalation des fumées de la plante détruite par le feu, ou encore quand le Datura est confondu

avec des plantes sauvages utilisées en salade.

 

 

(*) Les « chevaliers de St Hubert » et la Rage

​

Recueil de médecine vétérinaire. Volume 35. Ecole vétérinaire d'Alfort, Paris, 1858

Henri Gaidoz. La rage et St Hubert. Paris. Picard. 1887

 

Les « chevaliers de St Hubert » étaient, disait-on, issus de la famille du célèbre Saint, patron des chasseurs,

et avaient le don, en touchant à la tête, de préserver de la rage et de guérir par ce seul attouchement,

ceux qui avaient été mordus par des animaux enragés.

 

Ordre de chevalerie lorrain issu de l'ordre du lévrier blanc (XVème siècle), les chevaliers de St Hubert chassent le loup à l'aide de lévriers, et pratiquent la « taille » et le « répit » pour soigner la rage.

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La taille consiste à pratiquer une incision sur le front du malade et à y insérer un morceau de tissu :

la sainte étole de Saint Hubert.

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Le répit est la faculté de donner au malade un répit de quarante jours dans le développement du mal.

Il fallait ensuite respecter la « neuvaine » … et ses onze commandements :

 

1) Se confesser et communier sous la conduite d'un sage et prudent confesseur qui peut en dispenser;

 

2) Se coucher dans les draps blancs et nets, ou bien tout vêtu;

 

3) Boire dans un verre ou autre vaisseau particulier, et ne point baisser la tête pourboire à des fontaines ou rivières;

 

4) On peut boire du vin rouge, clairet ou blanc, mêlé avec de l'eau, ou boire de l'eau pure.

 

5) On peut manger du pain blanc ou autre, de la chair d'un porc mâle d'un an ou plus, des chapons ou poules aussi d'un an ou plus, des poissons à écailles, comme harengs, saurets, carpes, etc., etc., des œufs durs;

mais le tout doit être mangé froid.

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Le sel n'est point défendu;

 

6) On peut se laver les mains et le visage avec un linge mouillé ;

l'usage est de ne pas faire sa barbe pendant les neuf jours;

 

7) II ne faut point peigner ses cheveux pendant quarante jours, à compter du jour de l'incision;

 

8) Le dixième jour après l'incision, on doit faire délier le bandeau par un prêtre, le faire brûler

et en mettre les cendres dans la piscine de la sacristie;

 

9) Garder tous les ans la fête de saint Hubert, le 3 novembre;

 

10) Si la personne recevait de quelques animaux enragés la blessure ou morsure à sang,

elle devrait suivre le même régime pendant trois jours, sans qu'il fût besoin de retourner à Saint-Hubert;

 

11) Une personne qui a reçu l'incision peut donner répit au délai de quarante jours à toute personne blessée ou mordue à sang ou autrement infectée par quelque animal enragé.

 

Et quiconque suit fidèlement ces prescriptions est infailliblement préservé de la rage

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