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Fenêtres sur le passé

1879

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La cherté du pain

Source : Le Petit Brestois octobre 1879 

 

À propos de la cherté du Pain

 

On annonce encore le renchérissement du pain. 

Certaines gens font courir le bruit que cet hiver le pain serait certainement cher. 

Nous espérons que ces bruits sont sans fondement. 

Rien, du reste, n'autoriserait ce renchérissement excessif.

 

On signale de grands arrivages de blés d'Amérique, et ce stock annoncé, jeté sur le marché,

contribuera puissamment à faire baisser les cours. 

Nous traiterons plus tard, s'il y a lieu, cette question de la minoterie,

qui intéresse tout le monde et en particulier les classes besogneuses, dont le pain est la principale nourriture.

 

 

L'Océan disait, l'autre jour, avec une joie mal déguisée :

Le pain a subi une nouvelle augmentation de cinq centimes, ce qui porte le pain de quatre livres à quatre-vingt-dix centimes.

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L’augmentation ne s'arrêtera pas là.

 

Si les ouvriers ne sont pas contents, ils n'ont qu'à crier :

Vive la République ! et à chanter la Marseillaise !

 

Il nous est interdit, de par la loi, de nous occuper de politique,

et nous nous en abstiendrons prudemment, mais rien ne nous empêche,

en nous renfermant dans l'histoire proprement dite,

de rafraîchir la mémoire de l’Océan, et de lui montrer que la cherté des vivres

n'a rien de commun avec la forme de gouvernement.

 

Le pain coûte en réalité quatre-vingts centimes les quatre livres

et non pas quatre-vingt-dix centimes comme l'avance le véridique Océan ;

c'est déjà quelque chose, nous n'en disconvenons pas ;

il augmentera encore, dit-on ;

c'est possible ;

mais combien se vendait-il en 1817, à une époque où la France

avait pourtant l'insigne bonheur de vivre sous l'égide de ses princes légitimes ?

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Finistere patrimoine histoire patrick milan plouguin retro29

Pendant tout le printemps et tout l'été de 1816,

des pluies incessantes avaient détruit en germe ou sur pied les récoltes de toute nature ;

les blés n'avaient pu murir, ou bien, couchés sur le sol, n'avaient été recueillis que germes.

 

Il n'était pas jusqu'à la vigne qui n'eût trompé l'espoir des populations vinicoles.

 

Il en résulta une misère générale que rien ne saurait exprimer et que rien ne put combattre, ni la charité publique,

ni les sacrifices énormes que s'imposèrent les villes, les communes, la famille royale elle-même.

 

Quoi qu'on pût faire, le blé s'éleva à un prix fabuleux pendant tout le cours de l'année 1817.

 

Si à Paris, par exemple, les boulangers indemnisés par la ville livraient le pain à raison de 1 franc 25 centimes

les deux kilogrammes, la même quantité dans certains cantons de la Picardie et de la Bourgogne,

coûtait de 4 et 5 francs.

​

Les classes pauvres ne pouvaient aborder un semblable prix ;

bon nombre de malheureux recoururent aux champignons,

aux orties, à la luzerne, au sainfoin, etc. ;

des bandes d'affamés erraient dans les campagnes, implorant la pitié publique ; d'autres ne s'en tinrent malheureusement pas là :

des marchés furent envahis et pillés ;

il y eut des soulèvements, des collisions ;

plusieurs mutins furent tués ou blessés ;

d'autres arrêtés dans la bagarre furent déférés aux cours prévôtales et,

chose horrible à dire, huit d'entre eux,

sept hommes et une femme furent impitoyablement guillotinés.

 

La politique n'avait pourtant joué aucun rôle dans tout cela, le peuple avait demandé du pain, mais il n'avait manifesté aucune tendance révolutionnaire.

 

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Personne ne l'en blâma.

 

Tous les écrivains, même les plus hostiles, approuvèrent cette mesure et se gardèrent bien d'en faire la critique : aucun d'eux ne s'avisa de faire remonter jusqu'au gouvernement des Bourbons la responsabilité

de ces calamités dont le souvenir vit encore dans certaines régions de la France.

 

L'Océan et ses amis se montrent moins équitables, et pourtant, ils en conviendront,

les circonstances au milieu desquelles nous vivons, n'ont rien qui ressemble à celles que nous venons de signaler ; entre les 20 centimes que coûte actuellement le pain, et les 1 fr. 25 centimes qu'il coûtait en 1817,

il y a une marge que, Dieu merci ! nous ne franchirons jamais.

​

Des faits analogues à ceux de 1817 se rencontrèrent d'ailleurs, avec un caractère presque aussi grave

sous le règne de Louis-Philippe.

 

La récolte de 1846 ayant été fort mauvaise,

le prix des céréales haussa d'une façon déplorable

pendant le cours de 1847.

 

Les populations, celles de la campagne surtout,

furent en proie à de cruelles souffrances ;

il y eut des troubles sérieux sur divers points de la France :

des bandes armées parcoururent certains départements, pillant, saccageant, brûlant et ne reculant pas

même devant le meurtre.

 

Comme en 1817, la répression fut terrible ;

trois malheureux périrent sur l'échafaud, et beaucoup d'autres furent condamnés aux travaux forcés.

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En résumé, cette question du pain , quand on l'examine de près et surtout avec bonne foi,

n'a pas la gravité qu'on veut bien lui donner.

 

Nous aurions tort de nous alarmer d'une situation qu'on s'efforce mal et méchamment,

et ce, dans un but facile à deviner, de montrer sous de lugubres couleurs.

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