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Fenêtres sur le passé
1875
L'exploitation des rivières
Source : Le Finistère janvier 1875
L'exploitation des rivières.
Le Journal des Débats analyse par la plume de M. de Parville (1), un rapport des plus remarquables présenté
par M. Mayre à la Société des Organisateurs de France sur l'exploitation de nos rivières et de nos étangs.
Nous en reproduirons quelques passages :
Nous laissons nos cours d'eau incultes et stériles ; on ne saurait les comparer, dit fort justement M. Mayre,
qu'à un champ très fertile de sa nature, mais duquel on se conseillerait d'utiliser, les plantes adventives,
bonnes ou mauvaises, d'une végétation spontanée et folle.
Et cependant la rivière pourrait, comme les pâturages les plus gras,
fournir un contingent considérable à l'alimentation.
La rivière emporte en pure perte pour l'agriculture les engrais entraînés
par les pluies torrentielles, les grains que la faux laisse sur le sol,
toutes semences qui n'entrent pas dans les greniers.
Et la multiplication des animalcules sous l'action du soleil,
des végétaux microscopiques dans ce milieu propice, à quoi sert-elle ?
Autant de nourriture perdue qui, transformée, assimilée, nous donnerait
de la belle et bonne chair marchande.
La fabrication immédiate de la « chair nageante », aliment précieux
pour le pauvre et le riche, voilà le but à atteindre ;
et pourquoi ne l'atteindrait-on pas ?
M. Mayre montre très clairement qu'il suffit de le vouloir :
Parmi les poissons, dit-il, qui se prêtent le mieux à la production rapide de la chair, nous citerons la carpe,
dont le prix reste modéré, et, à poids égal, toujours au-dessous de la viande,
mais trop chère encore pour les petites bourses, et surtout trop rare pour nos marchés.
La carpe est aussi la plus rustique et la plus prolifique des espèces propres à notre climat.
Toutes les eaux lui sont bonnes, et dans les deux premières années de son existence,
elle profite dans un espace très restreint, pourvu qu'elle y trouve un peu de nourriture.
Ainsi dans les mares, dans les fossés, dans les moindres pièces d'eau qui se trouvent à proximité de presque
toutes nos exploitations pour abreuver le bétail de la ferme, rien n'est plus facile que de faire de l'alevin de carpe.
Une seule carpe adulte fournit un million d'œufs ; la pisciculture permet de ne pas perdre sur ce chiffre plus de 20%.
Le prix ordinaire de l'alevin de carpe à deux ans, quand il pèse 75 grammes par tête,
s'élève au bas mot à 200 fr. le mille.
On voit que, tout en concourant à l'amélioration de nos ressources,
le pisciculteur y trouverait largement son compte !
Or, le pisciculteur est ici l'agriculteur, car, avant d'empoissonner les rivières,
il faut faire des alevins, et les alevins, il faut les élever dans les mares,
les fossés, les étangs, dans tous les petits cours d'eau formés
qui appartiennent en propre au domaine de l'agriculteur.
Les mares, les fossés reçoivent les égouts de la ferme, le jeune poisson trouvera dans les eaux de fumier
et les grenailles qui s'y trouvent de quoi vivre largement jusqu'à l'âge de deux ans.
Là, dans ces eaux tranquilles il est à l'abri du remous occasionné par la batellerie des rivières
et des voraces qui le mangent.
À deux ans, il est devenu assez fort pour être exposé aux hasards de la vie en pleine rivière ;
et d'ailleurs comme le fait remarquer M. Mayre, il serait trop à l'étroit dans les fossés ou les mares ;
il convient de le placer au milieu d'eaux spacieuses pour qu'il prenne tout son développement.
Il décuplera son poids dans les trois années qui suivront son élargissement obligatoire.
Voici maintenant la conclusion de M. de Parville :
Partout on s'est préoccupé de recueillir cette importante source de revenu.
Le Danemark , la Suède, la Norvège ont créé des fonctionnaires spéciaux pour diriger l'exploitation bien entendue des cours d'eau, car la dépopulation des rivières s'est produite de tous côtés.
En Amérique même, où des lacs immenses nourrissaient des quantités considérables d'espèces excellentes, l
a fertilité a si bien diminué que les habitants, avec leur esprit pratique, sont entrés bien avant les Européens
dans la voie du repeuplement assidu.
Aux États-Unis, on fabrique le poisson sur une grande échelle.
Les rivières de la France étaient encore très peuplées il y a une quarantaine d'années.
On raconte qu'en 1830, à Châteaulin,
on se trouva un jour fort embarrassé pour habiller
la garde nationale ; les ressources manquaient.
Heureusement la rivière était là.
Un habitant proposa de pêcher des saumons,
de les vendre…
et en six semaines la garde nationale était habillée.
Trente ans après, en 1861, on pêchait neuf saumons dans l'année.
Habillez des volontaires avec cela.
Comme en Amérique, comme en Suède, comme en Suisse, nous repeuplerons nos rivières, mais à la condition expresse de nous mettre à l'œuvre résolument et de chercher la quantité d'abord avant la qualité, de faire du poisson blanc,
de fabriquer, en un mot, de la chair marchande pour le plus grand nombre.
C'est à ce point de vue que l'idée développée par M. Mayre nous a paru devoir faire son chemin.
Il est vraiment temps, avec la cherté actuelle des vivres, que nous ne laissions plus perdre dans nos fleuves
une quantité respectable de forces vives.
Encore une fois les résidus agricoles, eaux de ferme, semences s'en vont à la rivière sans profit pour personne.
Transformons-les en substances alimentaires.
La viande fait le muscle, et le muscle produit du travail.
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(1) François Henri Peudefer de Parville, connu sous le nom de Henri de Parville,
né à Évreux le 27 janvier 1838 et mort le 11 juillet 1909 à Boulogne (Seine),
est un journaliste et écrivain français.
Il est rédacteur scientifique au Journal Officiel et rédacteur en chef de La Nature.
Il publie de très nombreux articles dans les revues La Nature, La Science illustrée, la Revue scientifique
et le Journal des débats.