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Fenêtres sur le passé

1874

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Les marins du phare d'Ar-Men

Source : Le Finistère septembre 1874

 

Les marins du phare d'Ar-Men

 

Sur la liste des récompenses de l'Exposition de Vienne, on trouve cette simple mention :

 

Une médaille pour les marins du phare d'Ar-Men

 

Le catalogue ne dit rien de plus.

 

Il ne dit pas que les marins du phare d'Ar-Men sont les héros modestes d'un drame terrible,

plus poignant que toutes les situations de roman, plus émouvants que tous les récits improbables de voyages.

 

Il ne dit pas que ces marins sont chaque jour en lutte avec la mer, opposant à la force brutale de la matière

leur énergie intelligente, leur persévérance acharnée.

 

Il ne dit pas qu'ils accomplissent encore en ce moment, en risquant chaque jour leur vie,

une œuvre grandiose, admirable de charité et de dévouement.

 

Nous allons essayer de combler ces lacunes et de rendre aux marins du phare d'Ar-Men l'hommage qui leur est dû.

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Mais d'abord quelques détails géographiques sont nécessaires.

 

On sait que le système de montagnes qui forme le corps de la Bretagne se prolonge sous les eaux au-delà de la côte occidentale du Finistère.

 

Il forme, dans la direction de l'ouest, une ligne de récifs tristement célèbres

parmi les navigateurs.

 

Suivant les caprices géologiques, cette barre de rochers s'élève ou s'abaisse offrant tantôt une profondeur d'eau considérable, et tantôt dressant au-dessus du niveau

des plus hautes mers des masses de granit plus ou moins larges.

 

L'une de ces cimes, qui a la dimension d'un plateau, forme l'île de Sein.

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Au-delà de l'île, les récifs continuent encore pendant plusieurs milles ;

cachés sous la vague, ils sont particulièrement dangereux.

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Chronique : Ar-Men, l’Enfer des enfers
Auteur : Emmanuel Lepage
Editions : Futuropolis.

On les désigne sous le nom de la Chaussée de Sein.

 

Les phares construits dans l'île et sur la pointe du Raz sont insuffisants pour signaler l'écueil aux navires

qui se rendent à Brest, et chaque année de nouveaux sinistres se produisent dans ces parages.

 

En 1860, la commission des phares décida qu'on étudierait le moyen de construire un phare de premier ordre

sur l'une des roches les plus rapprochées de l'extrémité de la barre.

 

On procéda à une reconnaissance hydrographique des récifs. M. Ploix, ingénieur, après avoir exploré la chaussée, désigna la roche d'Ar-Men comme la seule susceptible de servir de base à une construction aussi importante.

 

M. Ploix ne se dissimulait du reste pas les difficultés d'une pareille entreprise :

« C'est une œuvre excessivement difficile, presque impossible, disait-il, mais peut-être faut-il tenter l'impossible,

eu égard à l'importance capitale de l'éclairage de la chaussée. »

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Les courants qui passent sur l'Ar-Men sont en effet des plus violents ; même par les temps les plus calmes,

ils donnent naissance à un fort clapotis.

 

Une brise contraire à leur direction vient-elle à souffler,

la mer grandit immédiatement et devient impraticable.

 

Du reste, il est si difficile d'accoster l'Ar-Men, que ni M. Ploix,

ni les ingénieurs hydrographes, ni le directeur du service des phares n'avaient pu s'en approcher à moins de quinze mètres.

 

On savait seulement que la roche, formée d'un gneiss assez dur, avait environ sept à huit mètres de largeur et douze mètres de longueur au niveau des plus basses mers, et qu'elle était sous l'eau tout le reste de l'année.

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source www.audierne.info

 

Photo prise pendant la construction du phare,

nous pouvons observer les ouvriers munis de brassières, encordés, reliés au bateau

Ces obstacles ne découragèrent pas le service des phares, qui commença son devis.

 

Il fut reconnu qu'avant toute chose il fallait percer dans la roche des trous de fleuret de 30 centimètres de profondeur destinés à recevoir des goujons en fer.

 

Ces goujons, une fois scellés, serviraient à fixer la maçonnerie dans laquelle on introduirait de fortes chaînes en fer afin de lui donner plus de cohésion.

 

En même temps, et par le même moyen, on arriverait à relier entre elles les diverses parties de la roche,

qui est divisée par de profondes fissures, et l'on composerait ainsi une base pour les constructions projetées.

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Le plan était fait, il ne s'agissait plus que de le mettre en œuvre.

 

Employer des ouvriers ordinaires eût été déraisonnable et inutile.

 

On s'adressa donc aux pêcheurs de homards de l'île de Sein,

habitués à parcourir les passes de la chaussée et familiarisés

avec les dangers qu'elle présente.

 

Ils acceptèrent ce travail surhumain et se mirent courageusement

à l'œuvre en 1867.

 

C'est ici que commence le drame.

 

Munis de ceintures de sauvetage, portant leurs outils,

les pécheurs guettaient sans cesse les occasions d'accoster.

 

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source www.audierne.info

 

Photo prise pendant la construction du phare,

nous pouvons observer les ouvriers munis de brassières, encordés, reliés au bateau

À chaque minute la lame déferlait par-dessus leurs têtes, et les couvrait d'eau et d'écume ;

souvent même elle arrachait l'homme au récif et l'entraînait au large avec toute la violence du courant.

 

Une barque allait aussitôt chercher le malheureux ouvrier et le ramenait au travail.

 

À la fin de la campagne de 1867, on avait pu accoster sept fois.

 

On avait eu, en tout, huit heures de travail, et quinze trous étaient percés sur les points les plus élevés.

 

L'année suivante, la saison fut meilleure.

 

Les pécheurs, plus aguerris, eurent seize accostages et dix-huit heures de travail.

 

Quarante nouveaux trous furent percés dont quelques-uns dans la partie basse de la roche, absolument sous l'eau.

 

Ce ne fut qu'en 1869 qu'on put commencer le scellement des fers.

 

Des goujons de 1 mètre de longueur furent plantés dans les trous et continrent la maçonnerie,

qui fut faite en moellons et en ciment de Parker-Medina.

 

Que de difficultés dans ce travail !

 

La vague arrachait parfois des mains de l'ouvrier la pierre qu'il se disposait à placer.

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Tout était danger autour des travailleurs : la mer sans cesse en mouvement, la roche glissante, le fardeau même que l'on portait et qui pouvait rendre mortel le moindre faux pas.

 

Du reste, on prenait les précautions les plus grandes pour garantir ces braves marins.

 

L'un d'eux était chargé d'annoncer à ses compagnons les minutes d'accalmie, pendant lesquelles on maçonnait fébrilement, et la venue des grosses lames, afin qu'on put se cramponner et résister au choc.

 

M. Joly, l'ingénieur, et M. Lacroix, le conducteur, étaient du reste toujours là, encourageant les ouvriers par leur présence et donnant l'exemple du courage.

 

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source www.audierne.info

 

Photo prise pendant la construction du phare,

nous pouvons observer les ouvriers munis de brassières, encordés, reliés au bateau

À la fin de la campagne de 1869, on était parvenu à construire vingt-cinq mètres cubes de maçonnerie.

 

La mer eut beau s'acharner sur' l'Ar- Men pendant tout l'hiver, elle ne parvint pas à détruire ce qui avait été fait.

 

Dans ce grand combat entre l'homme et l'Océan, la victoire était décidément pour l'homme.

 

En 1870, on accosta huit fois; on travailla pendant dix-huit heures, et l'on fit onze mètres cubes de maçonnerie.

 

L'année 1871 fut plus heureuse, douze accostages, vingt-deux heures de travail, 23 mètres de maçonnerie.

 

Plus on s'éloigne du point de départ, plus le travail devient praticable.

 

Au lieu d'employer de simples barques de pêche, on transporte maintenant les matériaux jusqu'au rocher

au moyen d'une chaloupe à vapeur.

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Vingt-cinq tonneaux de matériaux peuvent être transportés, déchargés et employés pendant une seule grande marée.

 

Bien que la construction du phare soit fort peu avancée, les dépenses déjà faites ne laissent pas que d'atteindre

un total respectable. (sic)

 

Les quinze trous percés en 1867 ont coûté 8,000 fr. et les quarante trous creusés en 1868 sont revenus à 21,000 fr.

 

Au 31 décembre 1873, les crédits absorbés par les travaux de l'Ar-Men dépassaient 189,000 francs.

 

Il convient d'ajouter à ce chiffre une somme de 60,000 francs qui sera employée cette année.

 

D'après le devis adopté, le phare en construction sera de premier ordre, à feu scintillant.

 

Le foyer dépassera de 30 mètres, le niveau des plus hautes mers.

 

Il est impossible de l'élever davantage à cause de l'exiguïté du diamètre de la roche à la base.

 

Il n'y aura pas moins de sept étages dans la hauteur de l'édifice.

 

L'un de ces étages est destiné à recevoir une trompette à vapeur, qui suppléera le phare dans les temps de brume.

 

Maintenant que nos lecteurs connaissent l'historique des travaux du phare d'Ar-Men,

il nous reste à leur apprendre les noms des ingénieurs qui ont osé concevoir ce projet merveilleux.

 

La première idée de ce travail, qui laisse bien loin derrière lui le phare d'Alexandrie, cette merveille du monde ancien, est de M. Léonce Renaud, directeur du service des phares.

 

Il a été exécuté sous la direction de M. l'ingénieur en chef Planchat par M. l'ingénieur Joly, en 1867 et 1868.

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On a, en outre, amélioré sensiblement

les conditions d'accostage, en établissant sur le piton du sud-ouest

une plate-forme en maçonnerie.

 

Grâce à ces facilités, on a déjà fait, pendant la première moitié de la campagne de 1874, 87 mètres cubes

de maçonnerie en six accostages.

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