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Fenêtres sur le passé

1874

L'agriculture et la Royauté
 

 

Source : Le Finistère juillet 1874

 

L’agriculture et la Royauté.

 

L'agriculture a toujours été en France la base de la prospérité de l'État.

 

Cependant, bien que la classe des cultivateurs ait été de tous temps la plus nombreuse

et aussi celle qui rend le plus de services, personne, avant la Révolution de 1789,

n'a été plus mal traité par la royauté que le paysan.

 

À cet égard, il suffit de citer des faits, et c'est ce que nous allons faire.

 

Dans les commencements de la monarchie française, le paysan est un être moitié domestique, moitié esclave,

et l'histoire ne s'occupe de lui que lorsqu'il est en arme à la suite d'un chef quelconque.

 

Cependant, au neuvième siècle, Charlemagne qui était à la fois administrateur, législateur et guerrier,

voulut bien s'occuper un peu de la cohue (nom donné plus tard à la paysantaille).

 

Il chargea ses intendants (missi dominici) de parcourir les provinces de son vaste empire

et de lui rendre compte du nombre de ses sujets, de leurs cultures,

ainsi que des revenus que retiraient les seigneurs et les ecclésiastiques des terres qu'ils détenaient.

 

Un certain nombre de documents de cette époque, appelés les poliptiques de Charlemagne

(aujourd'hui fort rares), ont été conservés ;

ces documents très-curieux sous beaucoup de rapports ne donnent cependant pas beaucoup d'éclaircissements

sur la situation du paysan, cultivateur du sol.

 

Depuis cette époque, jusqu'à la Ligue et à Henri IV,

le paysan devient la chose du seigneur, il est taillable et corvéable à merci ;

il suit la fortune de son seigneur ;

si celui-ci est puissant et heureux dans les batailles, son client est riche du pillage de ses voisins ;

si, au contraire, son seigneur est malheureux et battu, le paysan est ruiné, pillé ;

alors, malheur à lui et à tous les siens !

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Maximilien de Sully

 

Sous Henri IV, ce roi gascon dans la force du terme, qui changeait de religion comme on change de chemise, et qui disait, en riant et buvant, que Paris valait bien une messe, les choses changèrent un peu et s'améliorèrent pour le paysan ; et grâce au ministre Sully, la cohue put un peu respirer.

 

Henri IV et son ministre lui promirent que chaque famille pourrait bientôt mettre la poule au pot, au moins tous 1er dimanches.

 

Mais Sully avait compté sans les désordres de Louis XIV et de Louis XV, et l'on va voir comment les successeurs de Henri IV ont tenu cette promesse envers les cultivateurs.

 

Sans nous occuper de Louis XIII, qui ne fit rien de saillant pour le paysan, arrivons à Louis XIV, au roi soleil.

 

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Jean de la Bruyère

 

Ici, les documents sur l'état des paysans abondent et nous n'avons que l'embarras du choix.

 

Par suite des guerres, des dépenses exagérées de la cour, et surtout, par suite des mauvaises lois de Colbert,

qui défendaient l'exportation des blés, la France agricole fut complètement ruinée et la situation des paysans devint affreuse, ainsi que l'attestent des témoins oculaires que nous allons citer

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Pierre Le Pesant de Boisguilbert

Santerre

 

La Bruyère, qui certes n'était pas un ennemi de la royauté, écrivait à la fin du règne de Louis XIV :

« Les paysans sont tellement malheureux, que l'on prendrait les hommes pour des animaux farouches, mâles et femelles, n'ayant d'humain que l'apparence, résidant la nuit dans des espèces de tanières, où ils vivent de pain noir, de racines et d'eau. »

 

De Lesdiguières, dans un rapport au ministre Colbert en 1675, écrit du Dauphiné :

« La plus grande partie des gens des campagnes n'ont pendant l'hiver que du pain de gland et des racines, et présentement, on les voit manger l'herbe des près et certaines écorces d'arbre. »

 

De Bois-Guilbert, qui écrivait vers la même époque, dit : 

« Le sixième des paysans est à la mendicité ; la moitié de ce qui reste a bien de la peine à trouver de quoi vivre ;

le reste est dans la mal aisance. »

 

Vauban, dans la dîme royale, trace un tableau tout aussi triste des paysans de la Normandie.

 

Ainsi, pendant que le grand roi et ses courtisans faisaient ripaille à Versailles avec des femmes de mauvaise vie,

le paysan était écrasé d'impôts et réduit à la plus affreuse misère que l'on puisse imaginer, à manger des glands et de l'herbe des prés.

 

Qui est-ce qui affirme cela ?

 

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Hyacinthe Rigaud

Comte d'Argenson

 

Ses intendants et ses gouverneurs eux-mêmes, dont le cœur se fendait au spectacle des populations entières expirant dans les tortures de la faim.

 

Nous passons à Louis XV que plusieurs de nos grands-pères ont connu, et voyons si sous son règne les paysans ont été un peu moins écorchés, moins torturés par la faim et les impôts.

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Jean Baptiste Massillon

 

En 1735, Voyer-d'Argenson est chargé d'organiser des secours pour empêcher le paysan de mourir de faim.

 

Il écrit au roi :

« Comment voulez-vous que j'organise des secours ?

Il faudrait que les villages ne fussent pas déserts, ou que ce qui y reste d'habitants ne fut pas réduit à la dernière misère. »

 

Cinq ans après, en 1740, les paysans n'étaient pas dans une meilleure situation.

 

En effet, Massillon, le grand évêque de Clermont, écrit cette même année (1740), au ministre :

« Les cultivateurs de l'Auvergne vivent dans une misère affreuse.

Plus de lits, plus de meubles ...

La plupart des paysans ne mangent que du pain d'orge et d'avoine qu'ils sont même obligés d'arracher de leur bouche et de celles de leurs enfants pour payer les impositions. »

 

« J'ai la douleur de voir ce triste spectacle sous mes yeux dans mes tournées pastorales. »

 

Puis, il ajoute.

«Les nègres de nos îles sont bien plus heureux, car en travaillant, ils sont nourris et habillés avec leurs femmes et leurs enfants par les colons, tandis que nos paysans, les plus laborieux du royaume, ne peuvent avec le travail le plus rude, le plus opiniâtre, avoir du pain pour eux et leur famille et payer les subsides.»

 

Voilà le témoignage du plus grand évêque du siècle !!!

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En effet, les impôts étaient exorbitants. 

 

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Duprès de Saint Maure

 

En 1746, d'après Duprès de St-Maure, qui écrivait à cette époque :

« Le fermier d'une petite métairie de 470 livres, payait 279 livres 9 sols d'imposition plus les dîmes du clergé et du seigneur ;

une autre ferme de 260 livres de fermages, payait 167 livres 3 sols d'impôts plus les dîmes, de sorte qu'il ne restait absolument rien au paysan.»

 

Quesnay écrivait à la même époque :

« Le cultivateur ne peut plus vivre et payer l'impôt ;

il faut qu'il meurt de faim ou qu'il fasse banqueroute à l'État.»

 

Et quand on pense que Louis XIV et Louis XV ont tenu les paysans de toute la France, pendant cent ans, sous cet épouvantable régime, qui, comme le dit Massillon, était bien au-dessous de la condition des nègres.

 

N'a-t-on pas le droit d'être étonné que la révolution de 1789 n'ait pas éclaté beaucoup plus tôt ?

 

Les excès condamnables de 1793 n'ont sans doute été permis par Dieu qu'en expiation d'une partie des crimes et des infamies dont, pendant plus de cent ans, les paysans avaient souffert sous les Bourbons.

 

En effet, d'après tous les témoignages incontestables que nous venons de citer, les deux Bourbons, Louis XIV et Louis XV, ont fait périr dans les tortures de la faim, cent mille fois plus d'êtres humains que n'en ont exécutés les bourreaux de 1793.

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François Quesnay

 

Voilà le régime passé ;

voilà le régime qui trouve encore des admirateurs lesquels deviendraient bientôt ses imitateurs si leurs projets de restauration pouvaient s'accomplir.

 

Heureusement Dieu et le suffrage universel ne le permettront pas. 

Sans doute ou nous dira que les temps sont changés ;

il y a des honnêtes gens dans tous les partis, qui protesteraient contre un pareil retour aux anciens abus.

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À ceux-là nous répondrons :

Vauban, Massillon sous l'ancien régime, Chateaubriand, Villèle et de Martignac, sous les nouveaux Bourbons,

ont aussi voulu protester et arrêter les abus ; est-ce qu'on les a écoutés ?

 

Les Bourbons les ont tout simplement traités de factieux, et ont passé outre.

 

Il a fallu la révolution.

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Sébastien Le Prestre de Vauban

 

Aujourd'hui, ils feraient mieux ;

ils mettraient à la Nouvelle-Calédonie tous ceux qui feraient la plus légère observation.

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