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Fenêtre sur le passé

1873

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Les vandales de 1793 et de 1871

Source : Le Finistère février 1873

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Auteur : Armand René du Châtellier

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Armand René du Châtellier ou Armand René de Maufras du Châtellier,

né le 7 avril 1797 à Quimper et mort le 27 avril 1885

au château de Kernuz à Pont-l'Abbé,

est un archéologue, historien et économiste français.

Les vandales de 1793 et de 1871

 

Les vandales de 1793 comme les communards de 1871 ont détruit bien inutilement un grand nombre de monuments et d'objets d'art : mais les administrations,

témoins de ces désastres ou chargées de les réparer, ont souvent, de leur côté, manqué de surveillance ou d'initiative pour effacer le mal qui avait été fait.

 

Je ne crois pas inutile de rappeler à ce sujet quelques-uns des détails

que le citoyen Cambry (1) releva à l'occasion du pillage de plusieurs monuments

et ce qu'il eut en même temps l'occasion de dire sur la négligence marquée

de plusieurs administrations chargées de veiller aux intérêts de tous.

 

C'est, comme nous l'avons déjà établi, en 1795, au commencement de l'an III,

que le président du district de Quimperlé commença son exploration

pour la recherche des livres et des objets d'art à conserver.

 

Voici quelques passages de son rapport au directoire du district de Quimper.

 

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Jacques Cambry

« Dans la cathédrale on a détruit les tombes de Kersanton des anciens évêques de Quimper.

 

Leurs effigies rompues, renversées, languissent encore sous le portail principal.

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La vieille statue équestre du roi Grallon, se distingue à peine au milieu de ces débris.

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On a brûlé de très-bonne copies : la descente du Saint-Esprit, d'après Le Brun ; Le « Purgatoire d'après Rubens ;

la statue bien sculptée de la Vierge de la Chandeleur ; des vitraux dont les débris laissent encore apercevoir

des formes gracieuses, des costumes intéressants, d'ingénieuses productions de la naïveté et de l'imagination de nos pères,

des stalles surtout, chefs-d ‘œuvres de travail et d'originalité, ont été mises en pièces.

 

On a percé, lacéré l'Assomption de Le Loir.

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On n'a laissé subsister de la chaire de cette église que ce qu'il faut pour attester la barbarie de ceux qui l'ont détruite...»

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Cambry en parlant de deux autres églises de Quimper, qui existaient alors et ont été détruites depuis,

disait de celle du Guéodet, que le jubé en bois de chêne de cette église lui paraissait plus ancien

que le plafond de Saint-Louis à Fontainebleau ; que ce jubé était orné d'arcades, de cintres pleins, de pendentifs

et de statuettes dont le travail était d'une extrême recherche ;

qu'on y remarquait un buste qui devait remonter jusqu'au Xe siècle

  

Il ajoutait qu’à l'une des poutres sculptées on remarquait autrefois une roue ornée de clochettes que l'on agitait dans certaines circonstances, et que la vierge du Guéodet était noire comme la Vierge de Chartres ;

enfin, que des boiseries à jour avec un grand nombre de colonnes et d’ornements légers ornaient le chœur,

en même temps que des sujets empruntés à la mythologie se remarquaient sur quelques frises

et sur le piédestal de plusieurs colonnes d'ordre corinthien

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Voyage dans le Finistère, ou, État de ce département en 1794 et 1795

 

Le Commissaire du département faisait au reste remarquer, tout en déplorant le bris de ces objets d’art,

que les vitraux du Guéodet plus épargnés et mieux conservés que ceux de la cathédrale et du Penity,

offraient une prodigieuse quantité de personnages dont les groupes et les airs de tête appartenaient

au meilleur style en même temps que les couleurs en étaient très-brillantes.

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« L'adoration des bergers formait un tableau d'une composition régulière, pleine d'expression de vérité et de simplicité,

où l'on voyait l'enfant Jésus, la Vierge, Saint-Joseph, un cercle d'anges et les bergers en adoration. »

 

Ce vitrail et d'autres, parmi lesquels la Mort de la Vierge, étaient datés de 1563 et Cambry,

auteur d’un livre estimé sur l'œuvre de Poussin, n'hésitait pas à dire que ces peintures,

pour l'élégance et la pureté des lignes, étaient du premier mérite.

 

En recueillant ici son appréciation nous sommes bien tard sans doute à demander pourquoi de si belles œuvres, échappées au vandalisme de 93 et si positivement signalées à l'attention des administrations du temps,

par leur délégué même, n'ont pas été sauvées d'une destruction irréparable.

 

Mais les iconoclastes de l'époque se trouvèrent probablement trop puissants pour qu'on écoutât Cambry, et,

après avoir détruit tout ce qu'ils purent atteindre dans la cathédrale, nous les voyons, d'après le récit de Cambry, occupés à briser aux Cordeliers les statues de deux chevaliers renversés de dessus leurs tombeaux,

dont les armures offraient des variétés qu'il aurait été bon de conserver, au moins par la gravure.

 

Signalant, toujours aux Cordeliers, d'autres tombeaux sur lesquels étaient placés des chevaliers et leurs femmes, Cambry consacre tout un paragraphe à la description d'une croix et d'un calvaire en granit où la mort du Christ

et d'autres scènes de la passion se trouvaient traités de la manière la plus habile et auraient pu servir,

comme il le disait, à l'histoire très-curieuse de l'art dans une province

qui était restée longtemps séparée de la France...

 

Mais à quoi sert aujourd'hui de rappeler les circonstances malheureuses

qui nous ont privés de ces précieux souvenirs ?

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Nous espérons bien fermement que, de nos jours, ni plus tard,

nous ne verrons plus d'immolations pareilles, mais il n'est peut-être pas inutile

de signaler aux administrateurs de notre époque l'indolente négligence

qui laisse trop souvent périr, faute de soins, des œuvres

qu’on aurait pu facilement soustraire à une destruction imminente.

 

Je n'en veux citer que deux exemples : l'un relatif à l'église de Loctudy,

que nous avions l'occasion en 1833 de faire classer

au nombre des monuments nationaux, et où dès lors nous faisions prendre note

à M. Mérimée (2), inspecteur général en mission,

d'un très-grand tableau de Restou (3) ou de Jouvenet (4), qu'il aurait été urgent,

dès cette époque, de rentoiler pour le conserver.

 

Au moment où nous écrivons ces lignes, ce tableau ne conserve plus que

quelques écailles de couleurs pendantes sur la trame de la toile.

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Prosper Mérimée

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Jean Restou

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Jean Baptiste Jouvenet

Un autre tableau de l'église du Kergoat, en Quéménéven, signé de Valentin (5)

et représentant les derniers moments de la dame de Keroulas,

à peu près aussi altéré que celui de Loctudy, doit avoir, comme ce dernier,

succombé aux atteintes destructives de l'humidité.

 

Mais à ces causes de destruction, il faudrait au moins éviter de joindre

celles que la négligence amène : et, si en 1793, on détruisit tant d'objets,

justement regrettés aujourd'hui, il ne faut pas oublier qu'après le passage

de la tourmente et du cyclone, il y eut de nombreux tableaux qui périrent

dans les salles et les greniers des districts, enroulés ou empilés les uns sur les autres.

 

Quand le commissaire se présenta pour les recueillir, à ce moment-là même,

il remarquait en prenant note d'une belle collection de monnaies romaines,

or et argent, que, pour s'assurer de la nature du métal,

un administrateur avait enlevé avec un grattoir les nez et les yeux

de plusieurs figures représentées sur ces médailles.

 

Nous savons combien de soins répétés et sérieux réclament dans le temps

où nous vivons, la constante attention des administrateurs préposés

à la direction des intérêts publics ; mais quand une ville comme Quimper,

vient, avec les faibles ressources dont elle dispose, de créer un musée

et des galeries d'antiquités qui sont le juste honneur de notre pays

et du département, il importe, suivant nous, que tout homme de goût, administré

ou administrateur, se rappelle que le niveau des mœurs et de l'instruction

s'élève surtout par le juste sentiment des arts et des meilleurs souvenirs du passé.

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(1) Jacques Cambry, né le 2 octobre 1749 à Lorient et mort le 31 décembre 1807 à Cachan, est un écrivain breton et français, fondateur de l'Académie celtique.

 

 

(2) Prosper Mérimée, né le 28 septembre 1803 à Paris et mort le 23 septembre 1870 à Cannes, est un écrivain, historien et archéologue français.

Issu d'un milieu bourgeois et artiste, Prosper Mérimée fait des études de droit avant de s'intéresser à la littérature et de publier dès 1825

des textes, en particulier des nouvelles, qui le font connaître et lui valent d'être élu à l'Académie française en 1844.

En 1831, il entre dans les bureaux ministériels et devient en 1834 inspecteur général des monuments historiques.

Il effectue alors de nombreux voyages d'inspection à travers la France et confie à l'architecte Eugène Viollet-le-Duc la restauration d'édifices en péril comme la basilique de Vézelay en 1840, la cathédrale Notre-Dame de Paris en 1843 ou la Cité de Carcassonne, à partir de 1853.

Proche de l'impératrice Eugénie, il est nommé sénateur en 1853 et anime les salons de la cour, par exemple avec sa fameuse dictée en 1857.

Il publie alors moins de textes littéraires, pour se consacrer à des travaux d'historien et d'archéologue et initiant, à partir de 1842,

un classement des monuments historiques auquel rend hommage la base Mérimée créée en 1978.

 

(3) Jean Restout, dit Jean II Restout ou Jean Restout le jeune, né à Rouen, le 26 mars 1692 et mort à Paris le 1er janvier 1768,

est un peintre rococo français.

Il appartient à l’illustre famille des peintres normands Restout.

Lui-même était le fils du peintre Jean Ier Restout et de Marie Jouvenet, sœur et élève de Jean Jouvenet.

 

(4) Jean Baptiste Jouvenet dit le Grand, né à Rouen à la fin d’avril 1644 et mort à Paris le 5 avril 1717, est un peintre et décorateur français.

 

(5) François Valentin est un peintre français du XVIIIe siècle, né le 10 avril 1738 à Guingamp et mort le 21 septembre 1805 à Quimper.

Il est enterré à Kerfeunteun (ancienne commune désormais annexée à Quimper)

où une épitaphe à sa mémoire se trouve sous le porche de l'église de la Trinité

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