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Fenêtres sur le passé

1872

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Guillaume Lejean, explorateur breton

Source : Le Finistère décembre 1872

 

Guillaume Lejean explorateur breton et ses voyages

 

Le petit bourg de Plouégat-Guérand a vu mourir l'an dernier,

l'un des hommes qui ont le plus honoré le Finistère.

 

Nous voulons parler de Guillaume Lejean, à qui M. Richard Cortambert

vient de consacrer une notice lue à la Société de géographie,

et publiée à Paris.

 

M Guillaume Lejean avait consacré une partie de sa jeunesse à des études

sur l'histoire et la littérature bretonnes.

 

Il n'y a jamais renoncé complètement, et parmi ses œuvres posthumes

a été trouvé un travail d'un grand intérêt sur un sujet mis en discussion

dans ce journal même, l'authenticité des poésies du Barzaz-Breiz.

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Guillaume Lejean

Nous connaîtrons bientôt cette œuvre, (accueillie, nous dit-on, par la Revue des Deux-Mondes),

dont les conclusions aboutissent à un accord frappant avec celles de M. Luzel, et avec la notice consacrée

au même sujet, il y a quelques années, par M. R. F. le Men, dans une revue britannique qui fait autorité, l'Athenœum.

 

M. Lejean traversa un instant le journalisme politique, en 1848.

 

Mais sa vocation l'entraînait et le fixa promptement dans les études géographiques.

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Alors commença sa carrière de voyages.

 

La Turquie l'attira d'abord.

Il parcourut, non sans péril, les montagnes du Monténégro, et à son retour publia une monographie sur les populations de cette partie de l'Orient.

 

C'est à cette œuvre que se rapporte une anecdote citée par M. Cortambert :

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Une dizaine d'années plus tard, notre collègue se trouvait

à Athènes.

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4 hommes et fusils

Par Shepherd (Photographe)

Lejean, Guillaume Marie (1824-1871)

Jaloux de s'entourer de tous les matériaux destinés à éclairer ses recherches et ses corrections,

il s'adressa à l'un des principaux libraires de la ville, et, sans se faire connaître, lui demanda le meilleur ouvrage

qu'il possédait sur l'ethnographie de la Turquie.

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Sans la moindre hésitation, le marchand répondit :

 

Le meilleur! C’est l'ouvrage d'un Français nommé Lejean.

 

Ah ! objecta le propre auteur, songeant aux modifications qu'il voulait apporter à son œuvre, ce travail a des fautes...

 

Eh ! Monsieur, reprit assez vertement le libraire, je vous dis, moi,

que c'est un excellent ouvrage, et il n'y a pas mieux !

 

On pense bien que Lejean n'insista pas ; mais, par une de ces timidités

de savant qui lui étaient assez familières, il sortit du magasin sans avouer,

à son élogieux contradicteur la paternité de son ouvrage.

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De retour en France, il se procura à grand peine le capital nécessaire pour entreprendre une exploration qui a séduit beaucoup d'imaginations et suscité beaucoup de courages à notre époque :

le voyage de l'Afrique centrale et la découverte des sources du Nil.

 

Il prit la route de la mer Rouge ; mais la maladie et l'hostilité des populations l'arrêtèrent dans sa marche vers le Sud, et ne lui permirent pas d'atteindre

un but que Livingstone poursuit encore, après d'autres qui en ont depuis marqué les étapes.

 

En 1862, il revint à la charge vers l'Abyssinie, cette fois avec une mission près de Théodoros, le célèbre négus abyssinien (Tewodros II).

 

Ce conquérant barbare le reçut avec son cortège de lions familiers.

 

L'un d'eux se mêla même à la cérémonie, en venant a l'improviste poser ses griffes sur les épaules de notre compatriote.

 

Lejean sortit à son honneur de cette épreuve inusitée.

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Guillaume Lejean

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Téwodros II

Des rapports cordiaux s'étaient établis entre le négus et lui : mais une guerre surgit, et Lejean, sur le soupçon ridicule de comploter avec l'ennemi fut jeté,

chargé de chaînes, au fond d'un cachot.

 

Plus heureux que l’ambassadeur anglais Cameron,

il devint libre aussi subitement qu'il avait cessé de l'être.

 

Lejean s'était éloigné de la cour du Négus pour remplir

un poste de consul à Massaoua quand survint l'expédition anglaise provoquée par le meurtre de Cameron,

et la fin dramatique de Theodoros.

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En 1814, il revit la Turquie d'Europe, l'Asie, et poussa jusqu'aux vallées de l’Himalaya.

 

De tous ces voyages, dont la fatigue ne lui laissait que l'empressement d'affronter une fatigue nouvelle,

il composa des études géographiques et archéologiques.

 

Son ambition était de couronner son œuvre par un travail gigantesque, le levé topographique de la Turquie.

 

Il s'y attaqua avec ardeur, et chaque année alla préparer pendant sept ou huit, mois sur le terrain les éléments

du travail qu'il faisait à loisir, de retour à Paris.

 

Dans ses excusions, Lejean avait excité plus d'une fois la défiance des populations ignorantes, soit de l'Afrique,

soit de l'Albanie, qui ne pouvaient se figurer pourquoi, sans intérêt apparent, il s'épuisait en allées, en venues,

et en informations minutieuses sur les pays qu'il étudiait.

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Cette curiosité l'exposa souvent à de véritables dangers.

 

Nous ne devons pas trop nous en étonner.

 

Comme le remarque avec trop de raison M Cortambert, se montrerait-on beaucoup plus avancé dans plusieurs de nos départements ?

 

Un prêtre noir eut la belle idée, pour rassurer ses compatriotes inquiets, de le présenter comme roi de France, en ajoutant

 

Ces gens-là n'achètent plus de pays.

 

Le mot, qui eût pris la signification d'une satire politique dans la bouche

d'un Français, assura pendant longtemps la sécurité de notre compatriote.

 

C'est en France que vint s'éteindre cette existence usée au service de la science.

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Richard Eugène Cortambert

Ce n'est pas impunément qu'il lui avait consacré les ressources d'un esprit ardent et d'un caractère bien trempé.

 

Les malheurs de la patrie, qu'il ressentit vivement, eurent aussi leur influence sur sa destinée,

et en plein rêve de voyages nouveaux, dont se berçait son agonie, il mourut à l'âge de quarante-sept ans.

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