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1870 Novembre
Lettres de Conlie
Sources : L’Électeur du Finistère
Jeudi 10 novembre
Armée de Bretagne.
Des bruits fâcheux ont couru hier dans notre ville au sujet de l'état sanitaire des troupes réunies à Conlie.
Nous sommes en mesure de démentir ces fausses nouvelles :
Le docteur Gestin, à son arrivée au camp, a trouvé, au contraire, le nombre des malades d'une exiguïté remarquable eu égard à la grande agglomération d'hommes.
Nous démentons également le prétendu fusillement d'un artilleur brestois.
D'après les documents qui nous parviennent à l'instant la plus forte punition édictée au camp
a été une condamnation à un mois de prison.
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Samedi 12 novembre
Un de nos amis qui vient de visiter le camp de Conlie, nous donne les meilleurs renseignements sur l'entrain
tout militaire de nos compatriotes.
Le campement du bataillon brestois, organisé près du chemin de fer, offre un aspect tout à fait martial.
Chacun s'ingénie à vivre le mieux possible de cette vie nouvelle.
Les tentes parfaitement alignées, les armes en faisceaux, les cuisines en plein vent, témoignent de l'ordre
et de l’activité qui règnent partout et nous font bien augurer des destinées de notre année de Bretagne.
Chaque soir après la soupe, les feux du bivouac rassemblent les hommes qui ne sont pas de garde,
et en attendant l'heure du repas, les chœurs s'organisent.
On entend de toutes parts des concerts en plein vent, dans lesquels, parait-il,
les volontaires nantais se distinguent particulièrement.
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Mardi 15 novembre
Nouvelles de Conlie.
Bulletin sanitaire de Conlie.
Voici le bulletin sanitaire officiel du campement de Conlie.
Il dissipera les bruits mal intentionnés que l'on cherche à faire courir.
Sur douze mille hommes environ, il y a eu quarante-cinq évacués dont deux scarlatines et six varioles.
Il est mort un homme de congestion cérébrale par suite d'ivresse.
En ce moment trente-un malades sont aux ambulances atteints de fièvres intermittentes, angines non graves
et entorses ; plus un atteint de fièvre typhoïde.
Ce bulletin doit rassurer les plus timides, si l'on pense à la pluie persistante et à la quantité de troupes
déjà concentrées ; aucune provision, aucun soin ne manque ;
les hommes sont mieux soignés que les officiers ne se soignent eux-mêmes.
Conlie, le 11 novembre 1870.
Le chirurgien de service,
Docteur Lespine
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Conlie, le 11 novembre
Nous apprenons que le camp a reçu des arsenaux de Brest un certain nombre d'obusiers de montagne
et aussi quelques canons en fonte qu'on met déjà en batterie.
En dehors de ces renseignements et du bulletin officiel qui précède, nous sommes privé aujourd'hui
de toute nouvelle de l'armée de Bretagne ;
mais nous savons que plusieurs lettres sont arrivées dans notre ville, et en face du grand et légitime intérêt
qu'elle ressent pour tout ce qui concerne cette armée où chacun compte des parents ou des amis,
nous prions au nom de tous ceux de nos concitoyens qui recevraient des nouvelles du camp d'en faire bénéficier désormais tout le monde par la voie des journaux.
Ce sera une gracieuseté faite à toute la ville et un acte de bons offices entre concitoyens.
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Jeudi 17 novembre
Nouvelles de Conlie
Nous devons à une gracieuse communication la lettre suivante, que nous reproduisons in-extenso
sauf quelques lignes d'un intérêt purement personnel à son destinataire.
Nous remercions, au nom de nos lecteurs, et cette fois pour toutes, les obligeants concitoyens qui voudront bien nous faire part des nouvelles qu'ils recevront de l'armée de Bretagne :
Conlie, le 14 novembre, soir.
J'ai pensé que quelques lignes de détail sur notre vie au camp pourraient te faire plaisir, et la retraite venant
de sonner, je viens aussi de faire ma couverture, c'est-à-dire de remuer un peu ma paille ;
et, mollement allongé à la manière antique, je viens, mon cher ami, te faire vivre, par la pensée, au milieu de nous.
Quand nous sommes arrivés ici, le 6 au matin, nous n'avons trouvé qu'un champ labouré et c'est tout ;
nous avons été les premiers à garnir ce champ ; nos tentes furent montées le soir à 5 heures,
et nous dormîmes tous assez... mal.
Depuis, cela va mieux, le camp s'est peuplé, et l'ordre a été créé.
Tous les matins à 5 heures, le réveil ; aussitôt, chacun doit se lever et les cuisiniers de chaque escouade allument
le feu et font le café qui doit être mangé avant l'appel qui a lieu à 7 heures.
De 7 heures à 10 heures, corvées pour la viande, le pain et le nettoyage du camp.
À 10 heures, on s'occupe de la cuisine pour la soupe de midi et on fait l’exercice par compagnie.
De midi à 2 heures, repos et corvées.
À 2 heures, grand appel, sac au dos et école de bataillon jusqu' à 4 heures.
À 4 heures 1/2, gueulleton.
Jusqu' à 8 heures qu'a lieu l'appel, on est libre.
Passé 8 heures, tout le monde doit être couché.
Je t'assure que sans le mauvais temps, somme toute ce n'est pas désagréable.
Dans ma compagnie nous allons assez bien, sauf je crois nos officiers qui n'y connaissent pas encore grand ‘chose, mais ça viendra.
C'est moi qui me suis chargé de faire la popote de la compagnie et je leur élabore des soupes
et des rôtis d'un relevé…
Somme toute nous ne nous faisons pas de bile, mais il fait rudement froid ; le vent glisse sous la tente un vrai beurre.
Le général Kératry et son état-major sont ici ; ils couchent tous sous la tente.
Ce soir le général s'est promené à travers le camp pour voir si tout était à sa guise.
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Le Phare de la Loire nous apprend que le maire de Nantes va envoyer 900 paires de sabots au camp de Conlie,
elles seront bien reçues par nos mobilisés, la pluie a détrempé le terrain où se font les manœuvres et les corvées.
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D'une nouvelle lettre de Conlie, portant une date plus récente et qui nous est communiquée à l'instant,
nous détachons les lignes suivantes :
…… Tout le monde à Conlie couche sous la tente, afin de donner l'exemple aux hommes.
C'est prodigieux ce qui a été fait ici depuis quinze jours.
Certainement l’activité du général est chose notoire, mais il faut dire aussi qu'il est admirablement secondé.
D'un côté, M. Carré-Kérisonët et un personnel d'intendance recruté parmi les conseillers de préfecture,
qui assurent l'approvisionnement du camp et la subsistance avec une abondance que je puis même dire
avec un bon auquel on n'est pas habitué dans les armées régulières.
D'un autre côté, des chefs d'état-major d'élite, tous anciens militaires, dévoués, infatigables,
apportant à l'œuvre commune tout ce qu'ils ont de cœur et d'énergie.
Un corps de génie dont tu connais particulièrement la tête (Rousseau) et qui quoiqu'obligé de tout créer,
de tout inventer est parvenu en un rien de temps à réaliser des choses prodigieuses :
Redoutes colossales, aqueducs, réservoirs d'eau pour une armée, routes, tranchées, que sais-je, moi !
Sans compter les petits détails de baraquements, de magasins, etc., etc.
Je souhaiterais à toutes les armées françaises d'avoir pour officiers de génie des hommes comme M.M. Rousseau, Coaudère , Risbec et autres.
Notre artillerie est servie par des canonniers d'élite tous second-maîtres ou quartier-maîtres,
les moindres sont canonniers brevetés ;
il y en a beaucoup, et il en arrive tous les jours ;
nous commençons également à être pourvus comme il faut de batteries, de canons,
de mitrailleuses et de leurs munitions.
Il faut dire aussi que le colonel Jullien se démène comme un petit diable et qu'il apporte à tout ce qu'il entreprend
une activité et un zèle qui triomphent de toutes les difficultés.
Chaque jour de nouvelles troupes et de nouveaux engins de guerre nous arrivent et bientôt l'armée sera au complet, personnel et matériel :
Avant-hier est arrivé le bataillon de Landerneau, et j'ai été aussitôt voir nos amis que j'ai trouvés un peu désorientés et partant un peu en colère.
Il y a au camp une foule de petits détails qu'il faut absolument connaître pour arriver à se débrouiller vite et bien.
Aussi, le premier jour de l'arrivée nos gardes nationaux mobilisés sont d'ordinaire inquiets et nerveux ;
le second jour, ils se radoucissent et le troisième jour, une fois complètement installés,
ils commencent à se trouver aussi bien que possible.
La ration est de 750 grammes de pain, 400 grammes de viande, 15 grammes de café, 12 grammes de sucre,
25 centilitres de vin, eau-de-vie, légumes, etc.
Tu vois qu'on a de quoi manger.
Pour moi, une telle quantité de viande me semble énorme, et il faut avoir de fameux estomacs
pour pouvoir arriver au bout.
Aussi nos campagnards ne se sont jamais trouvés à pareille fête.
Le général prend sur lui de faire donner aux hommes des chemises de laine, des tricots et autres effets
que jamais militaires n'ont reçus en campagne.
En un mot, moi qui n'en suis pas à mes premières armes, je t'assure qu’on ne peut pas être mieux dans un camp.
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Nouvelles de Conlie.
Camp de Conlie, 15 Novembre 1870.
Mon cher Rédacteur en chef,
Je lis dans le numéro du Jeudi 10 de l’Électeur du Finistère, que des bruits fâcheux auraient été répandus sujet
de la santé des troupes dans le camp de Conlie et au sujet de la condamnation à mort d'un artilleur Brestois.
Bien que votre journal n'ait pas accueilli ces bruits calomnieux, il importe de les démentir de la façon la plus explicite.
Je vous prie, eu conséquence, de vouloir bien annoncer à vos lecteurs que la santé des troupes a été jusqu'ici
aussi bonne qu'on pouvait le désirer, et que leur moral est dans un état assez satisfaisant pour ne nécessiter
que rarement l'application des dispositions du Code militaire.
Quant au fait d'un artilleur Brestois fusillé, il est absolument controuvé.
Je vous prie d'insérer cette lettre dans votre prochain numéro, et d'agréer, mon cher Rédacteur en chef,
la nouvelle expression de mon affectueuse considération.
Le Général en chef,
Comte E. DE KÉRATRY.
P.S. Il est inutile d'ajouter que je ne reculerai jamais, quand le besoin sera impérieux,
devant l'application la plus rigoureuse de la loi.
En cela, je sauverai bien des soldats de mauvaises tentations.
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Mardi 22 novembre
CONLIE
Un Condamné gracié
On lit dans "le Phare de la Loire" :
M, Évariste Mangin, Phare, Nantes,
Camp de Conlie, 18 novembre à minuit.
Le général en chef m'autorise à vous adresser la dépêche suivante :
Aujourd'hui, journée ineffaçable pour l'armée de Bretagne.
Un homme, condamné à mort par la cour martiale, a été gracié à 2 heures, au moment où il allait être fusillé.
Cet homme avait commis un acte très grave contre le général Le Bouëdec, commandant du camp.
Depuis sa condamnation, les aumôniers et les officiers de l'état-major général avaient demandé sa grâce.
Le général de Kératry avait répondu qu'il ne pouvait l'accorder.
En conséquence, à une heure, toutes les troupes du camp étaient réunies pour assister l'exécution.
À 2 heures, l'exécution était préparée.
Le condamné, accompagné de deux aumôniers, attendait l'instant fatal.
Il avait montré d'autant plus de fermeté, qu'il savait ne pouvoir compter sur un recours en grâce.
À l'heure dite, la sentence fut lue devant le front des troupes.
Un premier roulement de tambour se fit ; au second, tout devait être fini ; la civière était prête, la fosse creusée.
C'était d'un effet immense et terrible.
Au moment où le signal du feu allait être donné, M. de Kératry s'avança , fit tout arrêter et d'une voix vibrante, dit : Officiers et soldats de l'armée de Bretagne, un des nôtres qui s'était rendu coupable d'un acte d'insubordination
a été condamné à mort par la cour martiale, je lui fais grâce ;
mais à l'avenir toute infraction à la discipline sera punie d'une manière inflexible.
J'espère que l'exemple qui vous est donné suffira pour arrêter toute désobéissance aux lois militaires ou aux ordres des chefs, et que vous me récompenserez de ma clémence par une discipline à toute épreuve.
Pour être fidèle à l'équité envers tous, je lève toutes les autres punitions.
Ces paroles furent accueillies par d'immenses acclamations et les cris de : Vive Kératry.
Les officiers de l'état-major général qui avaient demandé la grâce étaient tous vivement émus.
Toutes les troupes défilaient en suite et, malgré les recommandations de silence elles crièrent de nouveau :
Vive Kératry.
Le soir, les officiers de l'état-major général, allèrent remercier le général.
L'acte de clémence du général a profondément impressionné les troupes.
Il établira, je l'espère, une confiance inébranlable encore dans le général.
C'est du meilleur augure pour le moment où elles marcheront.
Conlie, 19 novembre.
J'ai oublié dans ma précédente dépêche un fait intéressant.
Quand le condamné fut gracié, il vint se jeter à genoux en pleurant devant le général qui le releva et lui dit :
Relevez-vous, mon ami, un Français ne s'agenouille jamais.
Charles Mengin
Colonel d’État-major, Chef d’État-major d’une Division de l’Armée de la Loire
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Camp de Conlie, le 18 novembre 1870.
ARMÉE DE BRETAGNE.
Commissariat Général
Les négociants qui doivent concourir aux approvisionnements de l'armée de Bretagne, qu'elle que soit la fourniture qu'ils aient l’intention de proposer, auront à faire parvenir, avant le 28 novembre courant, à la commission des achats leurs propositions par écrit, et dans la forme qu’ils jugeront convenable.
Ils pourront donner des renseignements à ladite commission qui, après un examen, présentera au général en chef
un rapport sur toutes les propositions qu'elle aura reçues les plus avantageuses, au triple point de vue des prix,
de la sécurité des services et des opérations militaires.
Les propositions approuvées par le général en chef donneront lieu immédiatement à des marchés réguliers
pour les fournitures du mois de décembre.
Le 25 de chaque mois, il sera procédé de même pour les approvisionnements du mois suivant.
Toutes les pièces relatives aux marchés et les marchés eux-mêmes seront soumis à une commission de contrôle composée de cinq membres élus respectivement par les conseils municipaux des chefs-lieux
des cinq départements bretons.
La commission des achats a son siège au camp de Conlie, elle se compose de :
MM. Carré-Kérisouët, commissaire général ;
Charbon, adjoint ;
Dubreuil jeune , commissaire aux vivres ;
Prédal, commissaire à l'habillement, à l'équipement et au campement ;
Risbec, commissaire à l'armement, matériel et munition s de guerre ;
Goudchaux, commissaire à la remonte ; vicomte de Villeneuve , secrétaire.
Tous les marchés passés jusqu'à ce jour n'ont été approuvés qu' à titre provisoire et pour faire face
aux premiers besoins de l'armée de Bretagne.
Pour le commissaire général.
Le commissaire général adjoint,
H. Charbon
Approuvé par le général de division, commandant en chef l'armée de Bretagne,
Comte E. de Kératry.
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Jeudi 24 novembre
Nouvelles de Conlie.
Première légion du Finistère.
Bulletin officiel des 1er et 2e bataillons de l'arrondissement de Brest.
1° L'état moral des deux bataillons actuellement au camp est excellent ;
les hommes se sont vite mis au courant de cette nouvelle existence, et sont pleins de bonne volonté
et d'une noble ardeur.
Les officiers sont aussi très-dévoués, et font tout leur possible pour que les hommes ne manquent de rien :
ils vivent comme les soldats, au milieu d'eux, et s'occupent beaucoup moins de leurs personnes
que de leurs subordonnés.
2° L’état sanitaire.
Malgré le froid qui a été très-vif cette semaine et malgré les pluies et la boue, nous avons fort peu de malades ;
la conduite des hommes est bonne, grâce à une discipline des plus sévères quoique paternelle ;
le temps est beau actuellement, et les quelques convalescents qui sont aux ambulances seront promptement rétablis.
3° Degré d’instruction militaire
L'école du soldat est connue de tous ; les compagnies, presque toutes armées, font l'exercice tous les jours,
et manient déjà avec facilité le fusil perfectionné.
L'école de peloton est moins bien connue, par suite de l'arrivée journalière de nouvelles troupes qui rejoignent
leurs compagnies ces troupes sont, ou des volontaires ou des retardataires :
malgré cela les résultats sont satisfaisants.
4° Objets manquants.
Toutes les compagnies sont arrivées à peu près équipées et habillées ; chaque jour on distribue
à ceux qui en manquent : chemises, pantalons, vareuses, caleçons, armes, bidons, etc., etc.
En somme, il ne manque que quelques armes.
5° Fait remarquable.
Hier, vendredi il y a eu prise d'armes pour l'exécution d'un garde mobilisé ;
le patient avait les yeux bandés, le peloton d'exécution (légion étrangère), se disposait à faire feu
lorsque le général de Kératry, au milieu de l'assistance profondément émue, usant des pouvoirs
qui lui étaient conférés par le Gouvernement de la défense nationale, a accordé grâce entière au condamné,
qui ne doit l'existence qu'à la bienveillance et à la générosité de cœur de notre général en chef.
Conlie, le 19 novembre 1870.
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