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Fenêtres sur le passé
1833
Le vétérinaire
LE VETERINAIRE
Cela coûte cher un vétérinaire, me disait un jour, le Bars.
— Sans doute, lui répondis-je, mais ce qui t’a coûté,
encore plus que sa visite, c’est la mort de ton cheval.
— On a fait ce qu’on a pu.
— Tu veux dire que tu t’es confié à Crohern,
le jongleur et à son louzou.
— Il en sait toujours autant que beaucoup d’autres.
— Oui, qui tuent les chevaux comme lui, et qui font aussi payer, comme lui, leur ignorance et leurs sottises.
— Mais, en ce cas, comment donc faire ?
Car, pour le vétérinaire, aller le chercher à la ville,
lui payer une bonne journée et souvent perdre sa bête ;
c’est trop.
Quand c’est une vache, on la laisse plutôt périr avec chance
de la sauver soi-même ;
et si elle meurt, avec sa peau et l’argent de la visite,
on en a une autre.
— Je vois que tu t’y entends ;
mais, pour ton cheval, s’il est malade, crois-moi,
appelle le vétérinaire, et le plutôt le mieux.
— Mais il y a cependant, dans le haut pays, ai-je entendu dire,
de grands fermiers qui traitent eux-mêmes leurs bêtes
et sont leur propre vétérinaire.
— Tu ne te trompes pas, le Bars :
mais ces fermiers-là sont plus malins que toi.
— Comment donc ?
Ils savent lire, que vous allez me dire peut être.
— Et encore quelque chose de mieux :
ils sont abonnés à un journal où ils trouvent
toutes les connaissances qui peuvent leur être utiles
pour le ménage et l’agriculture.
— Allons, je vois que vous voulez me tirer 5 francs
pour votre journal ;
eh ? bien, en ce cas, j’en veux pour mon argent, et,
s’il faut encore de plus aller au vétérinaire,
je veux au moins que vous me disiez, pour chaque maladie,
ce qu’il faut faire dans le premier moment,
si tu le sais, maître écrivain ?
— Et comment ne le saurais-je pas, maître le Bras ;
nous sommes plus de soixante dans notre société, qui,
entre nous, avons tous les livres qui paraissent, ou à peu près ;
tu peux croire qu’avant de nous mettre à faire un journal
nous avons consulté les plus savants de chaque métier.
Eh! bien voyons donc : pour la gourme, par exemple ?
— Pour la gourme ?
— Si elle se déclare avec de vifs symptômes :
saignées, fumigations avec des herbes cuites, mauves etc.;
Applications de cataplasmes de mie de pain, mauves, son etc.
à la ganache ;
puis gargarisez avec des eaux miellées.
— Ouverture de l’abcès aussitôt sa maturité.
— On peut faire cela ?
— Oui et sans recourir même à Crohern et à son louzou.
— Pour le mal de gorge : mêmes cataplasmes ;
quelques lavements, si tu as une seringue ;
de l’eau blanche, pendant plusieurs jours,
un peu de miel et de réglisse en poudre.
Mais, par-dessus tout, tiens ton cheval chaudement
et fais lui faire diette, diette sévère.
— C’est donc qu’il en est pour les chevaux
comme pour les hommes, sauf votre respect, car Dieu me damne, ces coquins de médecins ne nous parlent plus que de diette
et de jeûnes, par le temps qui court.
Plus de vin, plus d’eau-de-vie, plus de crêpes frittes... rien,
ils vous laisseraient mourir de faim.
— Non, Jean le Bars :
c’est la maladie seulement qu’ils laissent mourir de faim ;
et c’est pour cela aussi que, quand ton cheval est malade,
au lieu d’entretenir et d’exciter son mal, par la nourriture,
il faut le réduire par la diette.
D’ailleurs, consulte ton cheval et tous les animaux qui t’entourent :
dès qu’ils sont malades, ne refusent-ils pas à manger.
Eh ! bien, ne vas donc pas les exciter par une nourriture
plus appétissante, de l’herbe fraîche ou autres choses.
De la diette et de la diette.
— Allons, aussi bien ils ne seront pas pis que nous ;
va pour la diette !
Mais je voudrais que vous me disiez encore un mot :
de la colique et des efforts de reins.
— Pour la colique.
Diette absolue ; boissons chaudes et adoucissantes ;
faire avaler un demi-litre d’huile, si le mal persiste ;
bouchonner le ventre et les flancs ;
le plus grand repos et des couvertures.
Il est quelque fois bon d’administrer un peu de laudanum
ou d’éther.
Tu t’adresseras alors au pharmacien.
— Pour l’effort des reins, du boulet, ou du jarret :
Repos indispensable, et fomentations toniques, sur la partie lésée, avec de l’essence de térébenthine ou de l’eau-de-vie camphrée.
— Pour les écarts ou efforts d’épaule :
Saignez à l’encolure, et, après avoir mélangé un peu de térébenthine au sang que vous avez recueilli dans un vase,
frottez depuis le garrot jusqu’à la pointe,
et laissez votre cheval au soleil, au moins un quart d’heure.
Une autre fois, nous parlerons des écorchures, de la dysenterie,
du farcin, de la morve, du pissement de sang, etc.
Allons ! Le farcin, les écorchures, la dysenterie, etc., et pour chaque maladie un remède.
C’est là ce que tu veux, Le Bars, n’est-il pas vrai ?
— Oui, Jean Durand, mais un bon remède surtout et qui guérisse mon cheval en peu de temps.
— Et à peu de frais.
— Pour rien même, s’il était possible.
— Eh bien ! Voyons donc.
—La dysenterie d’abord.
Mais sais-tu ce que c’est ?
— Heim !.....
— C’est un cours de ventre bien désordonné.
Les matières sont sanguinolentes et d’une odeur fétide.
Les indigestions, une mauvaise nourriture,
une fatigue excessive en sont la cause la plus ordinaire.
Fais bouillir de la graine de lin et donne-la comme breuvage
et en lavement.
Fais bouillir aussi des orties, de l’écorce de chêne et fais boire.
Donne du miel en y mettant deux gros de Camphre
tu prendras chez le pharmacien.
— Mais souvent, il me semble, le dévoiement ou la diarrhée pourraient être pris pour la dysenterie ;
il est cependant probable que ce n’est pas le même traitement
qui convient.
— Bien, maître Le Bras, tu raisonnes ton affaire,
c’est presque être médecin.
— En cas de diarrhée : la diette , les boissons chaudes
et adoucissantes ;
et si elle se prolonge ne l’attaque pas trop vivement :
de l’eau blanche, une décoction chaude de feuilles de mauves,
de graine de lin, ou d’eau de riz ;
pour toute nourriture de l’orge bouillie en petite quantité.
Au reste, la dysenterie est à un dévoiement ce qu’une maladie
est à une indisposition :
il suffit de ton intelligence pour en faire la distinction.
— C’est bon, mais jusqu’à ce que je ne sois passé maître,
voyons encore quelques autres de vos leçons.
Le farcin, par exemple ?
— Le farcin : tu le reconnaîtras à des boutons rangés en chapelet, ou par l’apparition de larges tumeurs, suppurant peu ou point,
et présentant une induration persistante :
Extirpe promptement ces tumeurs, et, si elles sont profondes, applique le bouton de feu dans la plaie.
Après l’opération : séton, purgatifs doux, et une once d’antimoine diaphorétique administré pendant 15 à 20 jours, à jeun,
dans du miel.
Exercice modéré en garantissant l'animal du froid et de l’humidité.
— De la Morve.
— La morve, mon ami, presque inguérissable pour le vétérinaire comme pour le plus ignorant.
Mais on peut mieux , on peut souvent la prévenir, et pour cela
il faut prendre le soin de ne pas passer les animaux
d’un lieu échauffé ou d’un fort exercice à un lieu froid et humide ;
il faut, en un mot, prendre pour ces pauvres animaux quelques-uns des soins que nous prenons pour nous-mêmes,
les couvrir et les laisser reposer quand il y a excès de fatigue
ou transpiration forcée.
— Mais toutes ces règles-là ne sont pas très-difficiles à suivre.
— Eh ! bien , ici nous ne sommes pas du tout du même avis,
car si je les crois faciles pour l’homme qui porte quelqu’attention
à tenir ses animaux dans un bon état ,
je les crois au-dessus des soins ordinaires que prennent
la plupart de nos paysans, et tu en connais, comme moi, Le Bars , qui, à la fin du marché , par exemple , ne se rappellent plus que leurs chevaux sont restés sous la pluie , souvent sans manger,
et quelquefois même sous la charge qu’on leur avait confiée.
Le maître a cependant bien mangé et bien bu, souvent, trop...........et le penn-baz de rouler sur les flancs de la pauvre bête.
Ah! vous avez raison.... et pour ceux-là il n’y a ni vétérinaire,
ni remèdes ;
et Dieu me damne, si c’est au fond d’un galopin d’eau-de-vie
qu’un fermier a jamais appris à faire des économies.
— Tout au plus y trouve-t-il le lousou de maître Crohern , et,
avec ses mauvais remèdes, ses mauvaises paroles et ses tromperies.