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Fenêtres sur le passé

1794

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Amant Causeur de Brest s'évade de Gibraltar

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Source : la Chronique Brestoise 28 novembre 1936

Article réédité dans son intégralité dans le Courrier du Finistère du 4 avril 1942

 

 

Ils étaient vingt-deux malheureux prisonniers de guerre, douze matelots et dix soldats,

qui s'ennuyaient à mourir parmi la vermine d'un ponton britannique, en rade de Gibraltar.

 

Ils ne demandaient qu'à brûler la politesse aux Damned, bien sûr.

 

Mais le moyen ?

 

Ils étaient bien surveillés.

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Ils n'étaient pas riches: trois gabiers ;

un maître voilier, Pierre Duguay de Saint Malo, Finistère, (sic) ;

un calfat, Jacques Houze du corsaire Ouccherton, né natif de Saint-Malo, Finistère (sic), lui aussi,

capturé depuis dix-huit mois ;

sept matelots sans spécialité, dont notre Amant Causeur ;

trois canonniers et un aide-canonnier ;

un carabinier parisien de la Légion des Allobroges ;

un artificier du 4e R. I. ;

un grenadier du 52e R. I.,

et puis l'état-major : trois caporaux dont deux fourriers.

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Ils n'avaient pas d'armes.

 

Mais l'aventure et la liberté rugissaient leur appel enivrant.

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Si vous voulez, dit le Saintongeois Pierre Testier qui avait été gabier de misaine sur L'Impétueux

et maître d'équipage sur une prise hollandaise avant d'être repris par l'Anglais,

Si vous voulez je connais un filon pour filer.

 

Raconte, firent vingt autres.

 

Eh ! bien, voilà.

Le bayonnais là, Pierre Dubourdieu que les Anglais ont pris à Toulon sur son canon, il nage aussi bien que moi

et il n'a pas peur.

À nous deux, on a arrangé le coup.

 

— Va toujours ! fit le chœur, encourageant.

 

— Vous fabriquez des avirons, ou vous en barbotez.

Vous arrangez des bouts de bois en massues…

 

— Des penn-baz ! dit Causeur.

 

— A la tienne ! répondit Testier.

Nous allons vous chercher une chaloupe.

Nous embarquons.

Quelque part nous trouvons un bateau de ces imbéciles-ci.

Un gros.

Nous le prenons, ni vu ni connu.

Dubourdieu et moi nous pilotons.

On se sauve.

Et voilà. Ça va ?

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Gibraltar

Vue générale prise au-dessus de l'aqueduc d'Algésiras

Paris : François Delarue, [entre 1850 and 1860]

Library of Congress Prints and Photographs Division Washington, D.C. USA

— Ça va !

 

C'était tellement simple, n'est-ce pas ?

 

Le 30 novembre 1794 lorsque la nuit eut étendu sur les flots noirs son manteau noir à sept heures et demie du soir, Testier et Dubourdieu se mirent à l'eau sans bruit.

C'était froid.

Mais on n'aurait peut-être que trop d'occasion de se réchauffer : Ils gagnèrent la chaloupe d'un bâtiment plus propice.

Ils la détachèrent.

Et puis, comme ils n'avaient point de rames. Ils poussèrent la barque vers le ponton, nageant toujours.

 

Un à un, par le trou découpé dans la coque du ponton, les vingt autres s'insinuèrent dans l'arche de salut,

trois avirons avec eux...

Et vogue la galère !...

​

Amant Causer tirait sur l'allumette de quinze pieds comme si elle eût été de plume.

Les bateaux de guerre ne manquaient pas, en rade.

De tous les pays.

Doucement, la chaloupe glissa, traversa, inconnue, silencieuse.

Et cette faillie lune qui s'obstinait à regarder la fuite !

 

Enfin à minuit un quart elle se coucha...

Plus doucement encore, la chaloupe s'approcha du Temple, et feignit de passer outre.

​

— Ohé ! Du canot ! Qui êtes-vous ? Où allez-vous ?

 

— Nous sommes le canot de ronde

 

— Poussez au large, goddam ! Ou je vous coule

 

Viens-y, l'ami !

Les évadés grimpèrent sur le pont, leurs penn-baz en main.

Huit se jetèrent sur les sept hommes du bord et les firent prisonniers chacun son tour, c'est la fortune de la guerre !

 

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Le capitaine saisit un mauvais pistolet et tira sur le premier qui entra dans sa chambre ; il le manqua.

 

Et l'histoire ne dit pas ce qu'il advint de cet insensé qui avait prétendu se défendre ;

il est certain qu'il n'est jamais arrivé en France : c'est tout.

 

Testier et Dubourdieu prirent commandement.

Il fallut passer sous la volée d'un anglais de 80 canons et de deux frégates portugaises.

Pas de mal.

 

Le surlendemain matin, qui était le 7 décembre, on contourna la pointe sud du Portugal.

Trois gros espagnols tenaient le travers du cap Saint-Vincent.

Une paille !

On arbora le pavillon, Anglais.

Sept ou huit hommes se déguisèrent à l'anglaise.

 

Et à la mi-janvier, la belle équipe abordait Port-Louis Morbihan, sans autre malencontre.

 

Ils ramenaient leurs sept prisonniers et le Temple en bon état, et la riche cargaison fut vendue à Lorient

le 18 janvier 1795 : quatre cent dix-neuf mille livres !

 

Les représentants Guezno d'Audierne et Guermeur en mission aux armées des Côtes de Brest et de Cherbourg adressèrent à la Convention « le récit de cet acte de courage et de dévouement à la patrie ».

 

Il fut applaudi.

 

Mais quelle fut la part de prise d’Amant Causeur ?

En espèces ou en assignats ?

Fût-il promu caporal ?

Quel accueil reçut-il dans sa patrie brestoise ?

 

La « Gazette Nationale » est muette là-dessus …

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