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Fenêtres sur le passé
1890
Tribunal correctionnel
La journée des îles
Source : La Dépêche de Brest 20 décembre 1890
Le prétoire s'emplit de Ouessantines, à la pittoresque coiffure carrée d'où passent, sur le fichu noir égayé d'épinglettes, les cheveux courts et bouclés.
Il s’agit d'une affaire de coups et blessures.
Marianne Riou, une grande fille à l'air très doux, a, le 14 octobre dernier, maltraité son père.
Ce dernier, un vieux retraité de la marine, aurait le tort de cultiver beaucoup plus la bouteille que ses choux.
Cela ne l’empêcherait pourtant pas d'être très bon enfant, tandis que sa femme et sa fille auraient, au contraire,
le caractère fort mal fait.
D'où des scènes.
Le premier témoin entendu est une petite infirme, aux yeux très vifs dans son visage souffreteux.
On apporte une chaise et, assise tout au bord, elle raconte qu'elle a bien vu Marianne Riou pousser son père
et le jeter à terre.
La mère de cette enfant, la femme Pennée a également vu la scène.
Elle ajoute que, quelques instants après, le père, blessé, était sur l'aire et sa fille se moquait de lui.
La veuve Malgorne n'a rien aperçu,
mais elle a entendu Marianne dire à son père :
« Avant la nuit, je te tuerai ! »
La femme Peton a vu le vieux Riou pressant son bras blessé
et ayant l'air de beaucoup souffrir.
Le témoin affirme aussi que Marianne riait.
Malgré ces témoignages, Marianne Riou déclare
qu'elle n'a pas frappé son père.
— Je ne l'ai même pas poussé, ainsi que j'ai dû le faire plusieurs fois pour me défendre.
Ce jour-là, comme d'habitude, mon père était ivre.
Il a même été condamné pour ivresse par le juge de paix.
Le président. — Cependant, la veuve Malgorne vous a entendue proférer des menaces.
L'inculpée. — Je n'ai pas dit cela.
Ce ne sont pas ces paroles que j'ai prononcées.
J'ai seulement dit :
« Celui-ci aurait dû être tué depuis longtemps ! » (Rires dans l'auditoire.)
Pourtant le vieux Riou a été blessé.
Le médecin de la marine détaché à Ouessant a constaté une incapacité de travail de plus de vingt jours
par suite d'une fracture du bras.
Le ministère public requiert donc l'application de la loi et Marianne Riou
est condamnée à deux mois d'emprisonnement.
C'est, d'ailleurs, la journée des îles.
Après Ouessant, voici Molène !
La scène qui amène Marie Pallier, femme Quériel, sur le banc de l'infamie, comme dit M. Joseph Prudhomme,
se passait au doué.
Elle a ceci de particulier que, bien que moins naturaliste, elle rappelle la fameuse scène du lavoir de l’Assommoir.
Écoutons le premier témoin, la fille Chouar :
— Je lavais du linge, quand Marie Paillier est arrivée.
Elle m'en veut depuis longtemps, parce que mon frère est le bon ami de sa sœur.
Alors, elle m'a injuriée et elle m'a dit que ma mère avait eu deux bâtards ;
puis elle a pris son battoir et m'en a porté un coup à la tête !
La fille Chouar dit-elle vrai ?
Marie-Caroline Maot, un autre témoin, qui remontait du goémon
de la rive, n'a rien vu.
Elle affirme pourtant que la fille Chouar pleurait.
La blessure produite par le battoir a été constatée
par le garde champêtre de Molène, qui s'avance à la barre,
revêtu de son insigne, une belle plaque reluisante.
— Elle avait une engelure ! (Rires.)
— Comment une engelure ?
— Une bosse, que je veux dire !
Marie Pallier nie les faits.
C'est elle qui m'a dit :
« Tu as eu un bâtard avant de te marier ! »
Au fond, l'affaire n'est pas très claire.
Me Dubois n'a donc pas de peine à obtenir le minimum, et la prévenue ne se voit infliger que cinq francs d'amende.