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Chroniques d'un monde paysan à jamais disparu
Louis Conq de Tréouergat raconte ...
 

Source : "Les échos du vallon sourd" de Louis Conq - Brud Nevez

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Remerciements à Lucien Conq

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Temps de guerre à Tréouergat

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Quand survint la guerre, les cinq fils de Klastrig Koz, notre vieux voisin d'Enez Rouz, furent mobilisés d'un seul coup. (*)

Ce dernier vint alors trouver mon père et demander que je le seconde.

Bien que nous eussions déjà trop de travail à Kergonk, mon père accepta.

C'est ainsi qu'avant même mes dix-huit ans, je devins "Maître-Commis".

Enfin, si l'on veut !

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(*) Cliquez pour lire l'article : 1940 - Cinq fils aux armées - Tréouergat | Hier en Finistère (retro29.fr)

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Debout tous les matins à cinq heures, le vieux patron passait d'abord dans toutes ses écuries, avec son inséparable seau, pour donner l'avoine aux chevaux.

Ensuite, du rez-de-chaussée, il envoyait des coups de manche à balai sur le dessous de la poutre, tout en m'appelant :

« Louis ! Il est temps de se lever, mon gars ! »

 

Malgré le manque de bras, à nous deux, aidés par des journaliers, au long de cet hiver terrible de 39-40, nous parvînmes à faire toutes les semailles et la plupart des travaux de la ferme.

Mais cela fut très dur pour moi : une véritable aventure.

Quand arriva le printemps de 1940, mon nez se mettait à saigner dès que je me mettais à table.

C'est bien plus tard seulement que j’ai appris qu'à cette époque j’avais fait, sans le savoir, une véritable primo-infection.

 

Un jour de juin, par un temps splendide, j'arrivais à l'étable avec une charretée de trèfle pour les chevaux et les veaux, quand je vis pour la première fois des Allemands, oui, des Allemands, à Enez-Rouz.

Une auto-mitrailleuse déboula à toute allure devant moi dans la cour du vieux Manoir.

Un officier et deux soldats, sanglés dans leur fameuse culotte à fond de cuir et leurs bottes, tout couverts de poussière, s’y trouvaient.

 

Je restai sidéré, non seulement en les voyant faire un demi-tour si court au milieu de la cour, mais surtout en découvrant un officier étranger qui parlait un français bien meilleur que le mien.

Il demanda le maître des lieux, qui se rapprochait maintenant en accélérant, malgré sa boiterie, derrière la charge de trèfle : Klastrig Le Vieux !

Portant dignement sa faux sur l’épaule, comme s'il se mettait au garde à vous :

« C'est moi! fit-il. Qu'est-ce qu'il faut ? »

Sans doute que les Allemands pensaient découvrir le grand manoir, annoncé sur leur carte.

Ils ne découvraient qu'une ferme assez importante dans un vieux manoir plutôt décrépit.

Aussi vite qu'ils étaient arrivés, ils repartirent.

Klastrig Koz se contenta de hausser les épaules.

N'était-ce pas aussi bien ainsi?

 

À partir de ce jour-là, commencèrent pour nous les « séances de cinéma » données par la D.C.A..

Devant les troupes allemandes fonçant sur Brest, des avions italiens essayaient de toucher le Richelieu, inachevé, immobilisé en plein arsenal.

Mais les canons du cuirassé tout neuf frappaient rapidement, d'un tir aussi serré que précis, et pas un seul avion d'assaut ne réussit à l'approcher à moins d'une bonne dizaine de lieues.

Le temps était au beau fixe ;

le ciel, dégagé de tout nuage, était pourtant pollué par les volutes de fumées noires-grises provoquées par les obus éclatant de toutes parts sous le "nez" de ces "guêpes-là".

Tandis qu'à terre, autour de nous, au foin, des milliers d'éclats d'obus tombaient en miaulant.

Cela dura ainsi jusqu'au jour où le nouveau bâtiment fut prêt à appareiller et quitta le port de Brest.

Depuis quelques mois déjà, le dimanche matin, nous étions plusieurs jeunes de Tréouergat à suivre la préparation militaire à Ploudalmézeau sous la direction d'un simple gendarme, un certain Grannec (*).

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(*) À lire : Les FFI du maquis de Tréouergat

 

Photo Joseph Grannec : www.resistance-brest.net

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D'ailleurs, Grannec, personne ne savait où il était passé.

Pour la première fois, j’entendis parler d'un certain général De Gaulle qui appelait les Français à le rejoindre de l’autre côté de la Manche, pour tenir tête à l'ennemi et revenir plus tard pour le bouter hors de notre pays.

Quelqu'un me proposa de l'accompagner à Portsall à la recherche d'un bateau pour passer au pays des "Saxons", en Angleterre.

Nous y allâmes, plutôt pour voir, bien plus que pour partir, nous qui n'étions pas encore des militaires.

Encore que cela aurait pu se produire.

Les Allemands étaient là aussi, comme partout maintenant.

Nous avions su qu'un marin-pêcheur était parti la nuit précédente, avec une poignée de passagers.

Mais les jours suivants, nous apprenions aussi qu'ils n'étaient pas allés bien loin.

Quand le jour était venu, ils furent criblés de balles par les mitrailleuses des "Becs jaunes", comme nous appelions ces avions de chasse.

Il était absolument indispensable de posséder un bateau à moteur puissant, pour réaliser la traversée de nuit, et avoir ainsi une chance de mettre les pieds sur l'autre rivage.

Et encore, les Anglais n'avaient évidemment qu'une confiance toute relative dans les "oiseaux" qui affluaient ainsi chez eux de partout.

 

Voilà donc quelle était la situation dans notre petit coin de pays.

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