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Fenêtre sur le passé

1900

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Des ruses pour tromper l'agriculteur

CHRONIQUE AGRICOLE

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Source LE FINISTERE février1900

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Des ruses employées pour tromper l’agriculteur.

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L'article qui a pour titre l'Exploitation des campagnes, paru dans le numéro du Finistère du 20 janvier dernier,

m'a donné l’idée de dévoiler aux agriculteurs du département les supercheries de toute nature

dont ils sont journellement dupes.

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Pour cette fois, je me contenterai d'exposer les principales fraudes locales, quitte à indiquer ultérieurement

les moyens de les éviter.

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De ces fraudes, les unes portent sur la nature même de la marchandise ; on fait miroiter l'analyse de quelque savant chimiste que l'on place en vedette sur les prospectus, mais qui a été faite pour un produit

n'ayant rien de commun avec celui que l'on affuble de cette décoration ; les autres, plus innocents,

mais aussi préjudiciables, consistent à vendre 20 ou 15 fr. ce qui vaut 5 fr. ; on va même jusqu'à faire signer

au pauvre agriculteur, qui sait à peine lire, un achat de 1,000, 5,000, 10,000 kilog de marchandise,

quand il s'imagine tout simplement le prendre en dépôt.

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La tromperie est surtout fréquente dans le commerce des engrais, des semences, des aliments au bétail ;

aussi l'examinerons-nous successivement dans la vente de chacune de ces matières premières nécessaires

à la culture.

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À tout seigneur, tout honneur !

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Commençons par les engrais dans l'ordre suivant :

1° engrais simples ; phosphatés, azotés et potassiques ; 2° engrais composés.

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Le fait de vendre, il y a une vingtaine d'années, dans notre département de l'ardoise pulvérisée sous le nom de

« petit phosphate » est encore présent à la mémoire de nos agriculteurs.

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Ce soi-disant phosphate renfermait, d'après une analyse qui en avait été faite par M. Thomas, ancien directeur

de la station agronomique de Quimperlé, les matières suivantes :

Humidité 1,15 ; acide phosphorique 0,05 (correspondant à 0,109 de phosphate de chaux) ; chaux 2,80 ; complément (surtout de l'argile) 95,20.

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​Cet effet trompeur n'a pas duré longtemps dans le Finistère, mais il a extorqué à nos cultivateurs

des sommes assez considérables et porté atteinte au commerce des engrais bons,

en jetant un discrédit sur leur efficacité.

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Vendre de la matière inerte pour de l'engrais est ne pas avoir de la conscience, ne pas connaître l'honnêteté

et rares sont les marchands qui ont osé aller si loin dans la manière de leurrer le cultivateur.

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Beaucoup, plus timides, se sont contentés d'additionner aux phosphates naturels des matières étrangères,

dans des proportions variables, en vue de diminuer leur richesse pour % en acide phosphorique

et de s'enrichir plus vite.

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Actuellement encore, on pulvérise du maërl, de la tangue qu'on mélange au phosphate, des usines sont consacrées à moudre du sable, des schistes gris, à dessécher et à broyer de l'argile blanche ou de l'argile ferrugineuse ; ces substances étrangères sont mélangées aux divers phosphates, selon leur couleur et livrées

aux cultivateurs des quatre coins de notre département, sous le nom de phosphate naturel.

 

À côté de cette fraude éhontée, nous plaçons celle due à l'analyse commerciale, et ici nous donnons la parole

à M. Paturel, l'ancien distingué chimiste de la station de Quimperlé, aujourd'hui directeur de l'école d'agriculture coloniale de Tunis :

« On trouve couramment dans le commerce des engrais,

dans le Finistère, des sacs de phosphates portant cette désignation :

Phosphate de …. (Indication de la provenance) ;

d'un côté du sac on lit l'inscription 18/20 ;

de l'autre côté 60/55 (Cal) qui veut dire commercial.

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Ces chiffres que nous avons eu récemment sous les yeux signifient que le dosage régulier indique dans cet engrais une teneur de 18 à 20 % d'acide phosphorique (correspondant à 40 ou 42 de phosphate de chaux), tandis que, d'après l'analyse commerciale, sa richesse en phosphate atteint de 50 à 55.

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Il y a donc là une confusion systématiquement établie sur deux points différents : d'une part, entre les deux valeurs acide phosphorique et phosphate de chaux et d'autre part, entre les deux méthodes d'analyse, et le résultat est que l'engrais se vend toujours d'après le chiffre

le plus élevé, 50 à 55 de phosphate, alors qu'il n'en contient que 40.

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L'acheteur est donc trompé dans le cas actuel dans la proportion d'un quart environ.»

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Cette fraude, signalée par M. Paturel, existe encore dans notre région.

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Il m'est arrivé assez souvent de voir dans nos gares, nos ports, des sacs de phosphate donnant la richesse

en phosphate de chaux d'après l'analyse commerciale.

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L'étiquette de ces sacs portait en gros caractères : analyse garantie 10/18 ou  28/20 d'acide phosphorique

selon le phosphate ; en dessous, en lettres minuscules (analyse Cal), puis, en face,

en chiffres bien visibles, 45/50 ou 50/55.

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Le cultivateur, avant d'acheter des phosphates doit donc examiner minutieusement les inscriptions

de l'étiquette et s'il découvre les lettres Cal, laisser l'engrais au magasin du marchand.

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Les écarts par l'analyse commerciale sont d'un quart, d'un tiers et même plus quelquefois,

selon l'origine du phosphate.

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N'est-il pas évident qu'un système d'essai qui donne de pareils écarts, toujours à l'avantage du vendeur,

constitue  une véritable prime à la fraude et devrait être absolument banni des transactions ?

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Cela est si vrai et si bien reconnu, qu'aujourd'hui les marchands d'engrais n'acceptent plus des producteurs

de phosphate d'autre garantie que celle de la richesse en acide phosphorique ou en phosphate réel

lui correspondant.

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Mais le mode d'analyse qu'il trouve mauvais à l'achat, devient excellent lorsqu'il s'agit de la vente à l'agriculture, car, comme je l'ai dit, un grand nombre des marchés continuent à se faire sous cette garantie parfaitement illusoire.

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Les cultivateurs l'acceptent sans difficulté, parce qu'ils ne sont pas assez au courant de la question pour reconnaître qu'il y a là une tromperie.

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Un trompe-l'œil, c'est encore le «verdissement des phosphates».

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Les phosphates les premiers connus et qui actuellement sont les plus apprécié s dans notre région, sont ceux des Ardennes, provenant des sables verts de l'étage Albien.

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De couleur verdâtre et dosant de 16 à 20 % d'acide phosphorique, cet engrais naturel est surtout utilisé sur les prairies et les terres de landes.

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Plus tard, les phosphates du Sénonien, désignés plus communément sous le nom de phosphate jaune de la Somme, sont venus faire, 

aux premiers, concurrence sur nos marchés.

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Persuadés que les phosphates, quels qu'ils soient, devaient avoir une couleur verte, la plupart de nos agriculteurs ont cru à une sophistication, quand on leur a présenté du phosphate de la Somme ;

ils n'en ont point voulu malgré son prix, inférieur d'environ 1 fr.

sur celui des Ardennes.

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L'écoulement du phosphate jaune est devenu difficile chez nous.

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Pour tourner la difficulté et rendre la vente plus facile, il s'est monté dans la Somme, l'Oise, des usines dans lesquelles

on a verdi le phosphate à l'aide de dérivés d'aniline.

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Le prix du kilog. d'acide phosphorique dans le phosphate de la Somme a tout de suite passé de 0 fr. 20,25 à 0 fr. 34,40 et l'engrais a été plus facilement vendu.

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Par le verdissement, le vendeur a donc bénéficié à tous les points de vue : gain élevé par 100 kilog., vente de plus grande quantité et satisfaction du client.

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Quelques marchands ne vendent pas le phosphate verdi plus cher que le jaune, mais il y en a,

et c'est le plus grand nombre, qui le livrent pour du phosphate des Ardennes : tout dépend de la tête du client.

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Je ne saurais donc trop engager l'agriculteur finistérien dans son propre intérêt à délaisser le phosphate verdi ;

il lui sera préférable d'acheter le jaune de la Somme qui lui coûtera moins cher, tout en donnant le même résultat.

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Il m'est arrivé parfois de voir des cultivateurs attribuer à la couleur verte du phosphate une certaine action

dans le sol ; je crois, sans toutefois l'affirmer catégoriquement, que cette action n'existe pas, par suite de la faible quantité de phosphate utilisé, relativement à la grande masse de terre à laquelle il est incorporé.

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La couleur du phosphate a une influence nulle ou tout au moins insignifiante sur le pouvoir calorifique du sol.

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De grandes quantités de phosphates verdis sont livrées à nos agriculteurs, particulièrement dans la Cornouaille ;

il est facile de les distinguer du phosphate naturel des Ardennes, leur couleur verte est plus vive,

ils jaunissent dans de l'alcool qui dissout l'aniline ; enfin, bref, il n'y a pas à s'y tromper,

les phosphates colorés artificiellement étant vendus sous le nom de « phosphates verdis ».

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II ne faut pas voir de ma part, par cet exposé, une préférence pour l'un ou l'autre des phosphates naturels

(Ardennes, Somme) ; plus tard, quand le moment sera venu, je livrerai à la publicité les résultats d'expériences

faites par moi sur de l'avoine grise d'hiver, portant sur la comparaison des divers engrais phosphatés.

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LE LOUPP.

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