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Journal d'un aspirant de marine
engagé autour du monde sur la frégate La Sibylle,
au XIXe siècle (1863 - 1864)

 

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Auteur : Jean Émile Carrière

Épisode n° 14

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18 juillet 1863

En mer sortant de Sainte Marie de Madagascar.

 

Notre séjour a été moins long qu’il ne semblait devoir être, notre besogne de déchargement a été menée bon train ; quoique la colonie ne dispose pas de moyens fort expéditifs pour manier de lourdes pièces, nous avons déchargé nos mille quatre cent mètres de chaînes de toutes grosseurs et nos douze ancres en moins de huit jours.

Notre cale a été aussitôt réinstallée et on a laissé un ou deux jours de repos à nos hommes qui ayant beaucoup et bien travaillé étaient très fatigués.

Nous avons profité de notre séjour dans un beau pays pour y faire des promenades ; bien que nous ayons séjourné à Sainte Marie lors de la saison des pluies, nous avons pourtant battu l’île dans toutes les directions.

Nous avons ramassé des souvenirs pour les nôtres, vous aurez des passicos en paille, des porte-cigares, quelques coquillages, une canne en palmier.

 

À Saint Denis je ferai une petite provision de vanille pour parfumer les crèmes, etc.

Je suis allé un jour avec Monsieur Pottier faire provisions pour la gamelle des officiers, nous avons couru cinq villages, leur construction est extrêmement simple, de petites cases canées sans cheminée, sans fenêtre, toutes espacées entre elles d’une vingtaine de mètres, bien alignées de façon à former une rue assez longue ;

voilà un village malgache ;

autour de chaque maison quelques arbres, des volailles et un ou deux chiens ;

dans chacun des noirs ou des négresses sentant l’huile de coco à quinze pas pour faire fuir les moustiques et je crois aussi les européens.

Mais ce sont de braves gens, le commerce est très facile à faire avec eux, les prix sont faits, et établis depuis nombre d’années, jamais ils ne l’augmenteront d’un sou, mais ils ne souffrent pas qu’on leur en donne un de moins.

Pour vingt sous on a un beau poulet pour trois francs une grosse oie.

En arrivant dans le village si, ce qui est rare, on ne trouve pas un noir parlant le français on imite le cri du dindon, ils comprennent ce que cela veut dire, ceux qui ont des volailles à vendre les apportent et en moins de quelques minutes le marché est conclu.

Pour quarante cinq francs nous avons eu un porc pesant soixante-dix-neuf kilos.

Après avoir fait une rafle générale nous avons apporté une ménagerie complète ;

en même temps nous avons fait une délicieuse partie ;

avec l’entrain et la gaieté qui le distingue Monsieur Pottier n’avait cessé de nous amuser en route ;

dans les villages il se conciliait tout de suite les bonnes grâces des Malgaches ;

dans un village on a voulu le nommer chef.

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On ne cultive pas à proprement parler l’île de Sainte Marie et pourtant elle est bien fertile ;

quelques canaux irrigateurs bien placés suffiraient pour l’assainir complètement et une culture facile lui ferait produire tout ce qu’on voudrait.

Malheureusement les noirs ne sentent pas la nécessité de ces travaux ;

d’un autre côté une colonie qui reste quelquefois quatre et cinq mois sans aucune communication avec la métropole, où résident vingt ou trente français tous employés du gouvernement, cette colonie, dis-je, malgré toute la bonne volonté du monde ne peut pas arriver à grand-chose.

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De Sainte Marie on aperçoit très bien la Grande Terre de Madagascar, c’est aussi un beau pays, fertile mais à assainir. Ses habitants les Howas ne sont pas aussi sociables que les malgaches ;

ils ne se font pas un point de conscience de tuer un français qui se laisse surprendre ;

aussi ne faut-il pas compter s’établir chez eux tout d’un coup ;

la politique à suivre est celle de Monsieur Lambert qui du vivant de Radama commençait à introduire ses compatriotes sans bruit ni coup de grosse caisse.

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20 juillet 1863.

 

Nous faisons route avec le gouverneur particulier de Sainte Marie, c’est un lieutenant de vaisseau ;

il est marié à une créole de Bourbon et a trouvé moyen de passer quelques années près de sa femme en acceptant le commandement d’une petite colonie ;

il y a cinq ans qu’il est son maître.

Il s’occupe beaucoup de son gouvernement, malheureusement il est mal secondé et il n’est pas encore arrivé à faire de Sainte Marie tout ce qu’on pourrait en faire ;

ses demandes et ses réclamations arrivent au ministère, mais il a beau faire, c’est comme s’il chantait.

On ne s’occupe pas de lui ;

en France on oublie souvent les colonies ;

on prend possession de terres lointaines ;

on élève un monument pour perpétuer le souvenir de cet évènement : alors on envoie un gouverneur militaire, des troupes, des gendarmes, un commissaire de police, quelques femmes de mœurs perdues et des écrivains de marine, la colonie est fondée.

Souvent elle ne rapporte rien, il faut au contraire lui envoyer des provisions, c’est égal, on a une colonie, le but est atteint.

Nos voisins les anglais sont moins bêtes que nous ;

ils n’ont pas eux, de position militaire comme nous.

Ils ont de grands centres de commerce qui rapportent à la métropole, ils laissent toute latitude à l’industrie, protègent le commerce, attirent en leur faisant toutes espèces d’avantages les étrangers dans leurs ports et surtout ils ont l’œil de les bien choisir.

Tout cela revient à répéter l’éternel refrain : le français est soldat, l’anglais est commerçant.

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Nous avons d’autres passagers et passagères à bord, ces dernières font mal à voir, elles ont le mal de mer et comme elles sont créoles pour la plupart elles se laissent aller à tout leur mal, leurs domestiques noirs en font autant de sorte qu’on ne peut pas faire un pas sur l’arrière sans rencontrer un ou deux malades de l’un ou l’autre sexe.

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Ce matin un de nos matelots est tombé à la mer ;

en travaillant dans la mâture il a reçu un coup à la tête, il a été étourdi a lâché tout et est tombé.

Immédiatement on a mis en panne, on a laissé tomber la bouée de sauvetage.

En tombant dans l’eau il a été rafraîchi, l’instinct de la conservation au moins lui est resté il a nagé et a saisi la bouée ;

pendant ce temps on amenait en toute hâte une embarcation qui est arrivée fort à temps, il commençait à perdre ses forces et à boire à la grande tasse, on l’a ramené aussitôt et mis aux mains du chirurgien qui lui a administré tous les secours opportuns.

Il va aussi bien que possible ce soir.

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23 juin 1863

 

Depuis que la frégate n’a plus son lourd chargement de ferraille, elle marche mieux et ses mouvements de tangage et de roulis sont moins durs.

Nous sommes encore loin de Saint Denis, nous avions vent debout pour revenir ;

le commandant a fait un essai ; ordinairement les navires qui vont de Madagascar à Bourbon vont tirer dans le nord les bordées qui leur font gagner leur destination ;

nous, nous sommes allés courir dans le sud ;

nous sommes arrivés à la limite des vents alizés du Sud-Est nous les avons trouvés Est et même Est-Nord-Est ce qui nous a fait gagner énormément.

Hier le conseil d’avancement s’est réuni à bord, il a fait des demandes d’avancement pour les hommes qui étaient allés dans l’embarcation de sauvetage au secours de celui qui est tombé à la mer.

Lui-même a été avancé d’une classe puisque c’est en service qu’il avait failli se noyer.

Nous rentrerons à Saint Denis plus tôt que nous ne l’avions cru ;

cette lettre vous arrivera donc en même temps que celle que j’avais confié au Lynx lorsqu’il est parti de Sainte Marie.

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26 juin 1863

 

On s’attend un peu à trouver à Bourbon la frégate l’Isis avec l’ordre pour nous de rentrer en France.

Elle pourrait prendre ce qui nous reste à porter en Océanie, ce qui n’est pas lourd, et alors nous ferions route pour la France.

Je n’en serai pas content (je parle à mon point de vue) ;

revenant si vite en France je ne pourrai pas avoir de permission, on nous ferait repartir presque aussitôt pour n’importe quelle destination.

De plus j’ai commencé la campagne comptant voir l’Australie, la Calédonie, Taïti, faire le tour du monde ;

je regretterai de perdre l’occasion d’un si beau voyage.

Si nous recevons le dit ordre, vous le saurez si ce n’est pas par ce courrier, ce sera par le prochain ;

je laisserai une lettre à Saint Denis si nous partions vers le Cap.

Vous avez dû recevoir au commencement du mois la petite lettre que je vous ai écrite de Simon’s Bay, il y a deux mois juste que la Renommée a quitté la même rade, elle doit donc être bien près de France, ces jours-ci vous recevrez donc ma grosse lettre écrite en traversant l’Atlantique, peu de temps après vous aurez celle que je vous ai adressée de Bourbon.

Vous allez donc avoir à lire de vieilles nouvelles pendant huit jours au moins.

Hier j’ai fait un tour de mes photographies ; cela m’a fait penser qu’il y a un an je quittais Brest pour aller vous trouver tous en bonne santé. J’ai rêvé à l’heureux temps où muni de quelques jours de permissions après une campagne je pouvais courir en Lorraine et j’ai souhaité de tout mon cœur la fin de la guerre du Mexique, car si elle dure encore à notre arrivée en France, il n’y aura pas de permissions à espérer.

Vous me trouverez peut-être fameusement égoïste en me voyant souhaiter la fin d’une guerre pour mon bonheur seul, malheureusement il est bien difficile de ne pas le devenir quand on a sous les yeux les modèles les plus parfaits qu’on puisse imaginer.

À bord tout ce qui a plus de quarante ans est l’égoïsme personnifié, plus on est avancé en grade plus on est pingre.

Je ne vous en dirai pas plus sur ce chapitre, je pourrai en dire trop.

Ma conclusion de ce que j’ai vu et de ce que je vois, c’est que la vie d’un vieux garçon est fort triste ;

les plus belles qualités font peu à peu la place à l’amour de soi-même et de soi seul, on en arrive nécessairement à voir les choses sous un point de vue excessivement restreint, on devient vieille bête.

Si Dieu me prête vie, je désire que les circonstances me permettent de me marier, la perspective de devenir ce que je vois être n’est pas gaie.

Il faut vivre à bord d’un navire, être constamment côte à côte pour bien sentir ce que cette vie de vieux garçon a de triste ;

on a le temps de réfléchir.

Une autre conclusion que j’ai tirée c’est qu’il fallait autant que possible rester en dehors de toutes les petites côteries inévitables à bord d’un navire ;

passer son temps en s’occupant le plus et le mieux possible, avoir de bonnes relations avec tous et de très bonnes avec quelques-uns ;

voilà le moyen de vivre heureux et tranquille.

Quand on travaille beaucoup on n’a pas le temps de s’occuper de tous les petits cancans qui ne tardent pas à amener des discordes.

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2 Aout 1863

 

Dans quelques heures nous verrons Bourbon, nous avons fait une traversée peu heureuse, nous sommes restés seize jours en mer pour franchir une distance de cent vingt lieues ;

nous avons eu vent debout pendant dix jours ;

bien que dans la région des vents alizés de Sud-Est, nous en avons eu d’autres tandis que nous comptions sur les premiers.

Puis nous avons eu près de deux jours de calme, enfin de guerre fatiguée la brise s’est mise à souffler du Sud-Est et la vieille Sibylle a pris ses jambes à son cou.

Depuis hier nous filons de sept à dix nœuds, demain nous serons au mouillage.

Nous marchons avec une grosse houle de l’ouest qui nous prend par le travers et qui indique assez bien qu’à plusieurs centaines de lieues de nous la brise a dû souffler sec de cette partie ;

en attendant nous en avons les restes, nous roulons comme des barriques.

Le temps est beau mais hier il n’avait pas belle apparence, j’ai reçu sur le dos un grain de pluie qui est arrivé à propos pour laver mon manteau que les chats avaient parfumé.

En général, on se réjouit peu d’arriver, sauf le commandant qui a des amis à Bourbon, personne à bord ne goûte les plaisirs de cette relâche.

La rade n’en étant pas une, ceux qui vivent à bord de leur navire ne disent pas grand bien de St Denis.

Les navires roulent comme en mer, dans les embarcations on est mouillé par l’eau que le vent fait voler sur la crête de petites lames, le débarcadère est très incommode, tout à terre est très cher ;

bref je serai plus content de partir que d’arriver.

De plus quand j’aurai l’intention d’aller flâner à terre, je ne pourrai le faire car tout le poste est consigné pour huit jours.

Dernièrement lorsque l’un de nos gabiers est tombé à la mer, nous ne l’avons su au poste que lorsqu’il a été sauvé, nous n’étions donc pas sur le pont pendant le sauvetage ;

le lieutenant nous a tous puni et comme on lui disait que nous n’avions rien su de ce qui se passait il a répondu :

« je m’en mockque (moque si vous ne comprenez pas) ».

C’est qu’il n’est pas toujours de bonne humeur.

Un accident n’arrive jamais seul, hier soir un soldat d’infanterie de marine passager à bord s’est cassé un bras en tombant de son hamac.

C’est un vieux troupier à trois brisques[1] qui a un gros ventre et le derrière très lourd, il maudissait sa mauvaise étoile.

Madagascar n’a pas laissé de souvenir potable dans notre équipage sous le rapport sanitaire ;

nous n’avons de malades que quelques hommes d’infanterie qui viennent de passer un an en garnison à Ste Marie. Peut-être nous mettra-t-on en quarantaine, mais ce sera pour peu de temps.

Je vous donnerai bien à deviner en cent la chose qui me trotte en tête depuis plus de dix jours.

Je ne désire que prendre un bain de rivière et je pense constamment à la Meurthe et à Mesnil.

Notre Émile a dû reprendre son genre de vie d’amphibie depuis longtemps j’envie un peu son sort.

Dans ce moment, il doit être, je crois, à passer ses examens pour son baccalauréat, je lui souhaite bonne chance et j’attends Sidney avec impatience pour savoir s’il est reçu.

J’ai bon espoir qu’il le sera.

Quand on a travaillé consciencieusement comme il a fait, on a pour soi, outre les résultats et son travail, une sorte de droit moral qui enhardit devant les examinateurs.

Qu’il persiste dans la voie qu’il s’est proposé de suivre, au moins lui sera son maître et aura un chez lui, choses que ni Paul ni moi ne connaitrons d’ici quelques années.

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3 Aout 1863

 

Nous avons mouillé ce matin à neuf heures.

Nous n’avons trouvé devant St Denis ni l’Isis ni aucun autre navire de guerre français.

Je ne m’attendais pas à recevoir de lettre de vous, j’ai poussé un cri de joie quand le vaguemestre a nommé mon nom. J’ai été heureux de voir quel plaisir vous avait fait ma petite lettre du Cap, s’il est proportionnel à la longueur de mes épîtres, qu’est ce que ça a été quand mon volume vous est arrivé.

Tâchez de vous habituer à des silences parfois un peu longs ; il faut d’abord le temps d’arriver aux relâches puis celui nécessaire aux paquebots pour aller en Europe.

De plus les navires à voiles ne font pas toujours ce qu’ils veulent, notre dernière traversée l’a assez prouvé.

La photographie de la frégate n’a pas été faite à Simo, ainsi à moins qu’on ne la fasse à Sidney ou à Rio, ne comptez pas sur elle[2].

Contentez-vous faute de mieux, des peintures que je vous envoie.

La chaleur dans ces pays–ci est fort supportable, nous sommes en plein hiver dans l’hémisphère sud.

Je ne sais si je suis devenu frileux mais je mets mes pantalons de drap beaucoup plus souvent que ceux de toile.

Du reste en mer les plus fortes chaleurs sont toujours supportables dès qu’il fait de la brise ;

je parle du séjour sur le pont, je ne dirai pas la même chose de celui dans un poste où on est entassé à douze ou treize, on y met les pieds que pour y prendre les repas ou se changer, encore a-t-on le temps d’attraper de rudes suées.

Je ne parle pas de l’atmosphère embaumée que l’on y respire ;

la ratatouille, les chaussures, le linge sale et autres émanations forment un composé fort remarquable.

J’ai été content d’entendre parler de l’oncle Henry[3] et des siens ;

tous ces temps ci j’ai pensé à toute la famille et à lui, je me suis rappelé qu’en effet il y a un an, je goûtais une joie qu’on ne goûte malheureusement qu’une fois, je sortais de pension pour toujours et je courais passer deux mois avec vous.

J’ai failli faire comme grand-père avait fait, quand j‘ai appris quel bonheur lui avait causé ma lettre.

Je pense aussi souvent à lui ;

et, je l’avoue à ma honte, c’est quelque fois quand un vin plus ou moins bon me rappelle le 46 d’Agincourt[4] ou le Barbonville[5] lui-même.

Si nous n’avions pas eu à traverser des pays un peu froids pour rentrer en France, je lui aurais rapporté trois ou quatre petits volatiles de Ste Marie ;

c’était des petites perruches vertes très mignonnes mais qui l’étaient trop pour doubler le Cap Horn.

Je lui rapporte une canne faite avec un citronnier de Madagascar.

Si par hasard nous retournions en France, je ferais en passant au Cap emplette d’échantillons de vin de ce pays ;

malheureusement les fonds m’ont manqué lors de mon premier passage, j’ai dû forcément manquer l’occasion, du reste la place me faisait défaut, ce ne serait plus une question s’il s’agissait de rentrer directement en France.

Que maman prenne courage et se résigne à être seule pendant quelques années, nous irons vous voir aussi souvent que nous pourrons le faire, si la guerre du Mexique se termine et qu’on reste tranquille quelque temps on pourra obtenir des permissions.

Et il faut croire que toutes ces guerres lointaines auront une fin.

Du reste on tâchera, s’il le faut, de trouver une maladie de complaisance qu’un conseil de santé complaisant permettra d’exploiter.

On ira encore faire quelques pêches aux goujons à Mont[6], la vendange de l’oncle Travailleur[7], j’espère bien avant peu aller avec grand père faire un tour chez Drapier[8] et en revenant souhaiter le bonjour au Père Philipaux.

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Papa aurait dû ne pas renoncer à son idée de me faire un petit journal, ne m’écrirait-il quelques mots que tous les huit ou dix jours il arriverait à m’envoyer des lettres un peu plus longues que sa dernière.

Vous ne me dites rien de la famille Travailleur, j’aime à croire que votre silence est de bon augure ;

vous n’êtes pas aussi bavards que moi, si vos lettres n’étaient pas datées de Lunéville je ne me douterais pas que c’est de là que vous m’écrivez.

Non je n’ai pas à faire une longue course pour me baigner et pourtant ça ne m’arrive pas souvent, car je n’aime pas les baignoires.

En plus il ne faut pas songer aux grands bains, ceux là seuls qui tombent à la mer peuvent s’en payer le luxe, sur les rades de Ste Marie et de St Denis il y a des requins on y renonce donc aussi ;

somme toute vous voyez qu’on eut regretté la Meurthe ou la Moselle.

Du reste qu’on ne me parle pas de bains d’eau de mer, je préfère l’eau douce qui est beaucoup plus civilisée.

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6 août 1863

 

Vous entendrez peut être parler de Madagascar, on pourrait bien y faire quelques petites choses.

En ce moment la frégate l’Hermione et les deux avisos le Lynx et le Curieux[9] sont à Tamatave prêts à demander l’application des traités signés par Radama et leurs canons chargés.

Hier l’aviso le Surcouf arrivant de France a mouillé près de nous, il va aussi à Tamatave ;

on pourrait bien s’écrabouiller un peu de ce côté.

Si jamais je donne ma démission je viendrai peut-être m’établir à St Denis ;

figurez-vous que pour me refaire deux ou trois coutures à deux pantalons, un honnête habitant de la colonie ne m’a demandé que cinq francs.

Nous sommes invités à un bal chez le gouverneur.

On nous annonce qu’il y en aura quatre d’ici notre départ qui aura lieu le 17 ou 18 de ce mois.

Mes dernières lettres vous ont donné notre itinéraire, écrivez moi aux époques convenables.

Il est de plus en plus probable que nous relâcherons à Rio de Janeiro, cependant vous ne feriez pas mal de m’écrire à Ste Hélène.

Je me porte bien, je prends du ventre, je fais élargir mon pantalon. Que cette lettre vous trouve contents et bien portants.

Je vous embrasse, faites mes amitiés à nos parents et amis.

Patience dans six mois nous nous reverrons peut-être.

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[1] Brisque au sens de « chevron, ancienneté »

[2] La photographie de la Sibylle sera finalement faite dans le port de Papeete. Voir page 1.

[3] Henry Antoine, frère du père de l’auteur, s’est installé comme Architecte à Amiens (Somme)

[4] Agincourt est une commune située dans le département de la Meurthe-et-Moselle en région Lorraine. Elle ne produit aucun vin d'appellation mais un petit vin de propriétaire local existait dans les années 1840.

[5] Barbonville est une commune de la Meurthe et Moselle (54) en région Lorraine qui n'est pas située sur une zone géographique de production de vin d'appellation. Un petit vin de propriétaire local existait dans les années 1800 à 1900.

[6] Mont-le-Vignoble, existe toujours, au Sud-Est de Nancy en Meurthe-Et-Moselle

[7] Henriette, née Antoine (1808-1899) & Louis François Travailleur (1800-1882). Henriette, sœur ainée du père de l’Auteur

[8] François Hilaire Drapier (1798-1875), oncle de la mère de l’Auteur

[9] Le Curieux, Aviso de 2ème classe, 1860-1871. Le 25-11-1863 quitte son port de St-Denis (Réunion) pour Tamatave afin d’évaluer les effets de l’immense incendie du 5 novembre.

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