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Fenêtres sur le passé
1939
Accident de tramway spectaculaire à Brest
Source : La Dépêche de Brest 15 janvier 1939
Le tramway n° 12 quittait hier, vers 15 h. 30, le Petit Paris pour se rendre à Saint-Pierre.
Une douzaine de voyageurs avaient pris place dans la voiture.
Arrivé près de la rue Victor-Hugo, le conducteur voulut freiner, mais le frein à main ne fonctionna pas.
Il actionna le frein Westinghouse à air comprimé, mais le réservoir n'ayant plus d'air,
il n'eut plus que la ressource de se servir du frein électrique.
À ce moment, on vit sous la voiture, une forte étincelle.
Les plombs avaient fondu, provoquant un court-circuit.
Dépourvu de ses freins, le tramway s'emballa.
Le conducteur se précipita à l'arrière pour essayer de se servir du frein à main, mais une des tiges actionnant
les deux sabots étant brisée, il n'y avait plus qu'à mettre en marche arrière.
C'est ce que fit le wattman.
La déclivité de la rue Jean-Jaurès fit prendre au tramway une vitesse de plus en plus rapide.
Affolés, les voyageurs s'étaient précipités sur les plates-formes.
Des hommes purent sauter en marche sans se faire de mal, mais, place de la Liberté,
une femme, en voulant les imiter, roula sur le sol.
Une femme, tenant dans ses bras un bébé d'un an environ,
voulait absolument, malgré les objurgations des autres voyageurs restés
sur la plate-forme, descendre en marche.
Un monsieur sauta à terre, prit l'enfant, mais la mère, en sautant à son tour, roula sur le sol.
Le tramway franchit la place Anatole France, sans accrocher,
par le plus grand des hasards, les nombreuses autos circulant à cette heure.
La courbe avait ralenti quelque peu sa marche, mais il reprit de la vitesse devant le poste de police-secours où les agents le virent avec effroi s'engager dans la rue de Siam.
Une troisième femme voulut sauter par l'arrière.
Elle roula sur plusieurs mètres et sa tête vint heurter le trottoir
devant la maison du gant Perrin.
En franchissant l'aiguillage qui se trouve à cet endroit, le tramway dérailla.
Avec un bruit de ferraille, il s'engagea sur les pavés où, en cahotant, il poursuivit pendant quelques mètres sa route, puis tout à coup, la lourde voiture décrivit un arc de cercle, tandis que les témoins effrayés, criaient :
« Garez-vous ! »
À ce moment, M. Médhus qui, seul était resté sur la plate-forme avant, sauta et, en tombant, se blessa à l'épaule.
Le tramway s'était arrêté perpendiculairement à la devanture du Café de France.
Les roues avant avaient été calées par le trottoir.
L'avant de la voiture démoli les glaces, brisé deux poteaux de fonte et arraché toute la boiserie du côté droit de la devanture du café où personne ne fut heureusement blessé.
Une auto se trouvait en stationnement devant la porte de l'hôtel des Voyageurs.
Le tramway la heurta, en démolit l'arrière.
L'auto carambola celle qui stationnait devant elle qui, par la secousse, renversa un piéton, M. Jean Guyomard,
qui tomba en arrière et se fit une blessure sans gravité, au sommet de la tête.
La demi-douzaine de voyageurs qui s'était cramponnée sur la plate-forme arrière, put descendre alors.
Ils avaient eu plus de peur que de mal.
Bien que la plupart des vitres fussent brisées, aucun des voyageurs n'avait, par miracle, été atteint par leurs éclats.
Les blessés avaient été transportés au poste de police-secours,
d'où l'ambulance municipale les conduisit à l'hospice civil.
Mme Anna Le Bars, 35 ans, demeurant 3, rue de la Voûte,
ne portait que quelques contusions sur diverses parties du corps ; M. Eugène Mingam, 51 ans, garçon de recettes
au Crédit Lyonnais, 28, rue Massillon, s'était contusionné
aux genoux en sautant à terre.
Mme Fernand Grould, 40 ans, demeurant hôtel de l'Europe, 38, rue du Château, ne portait aux genoux que de légères blessures.
Tous trois purent, après avoir reçu des soins, quitter l'hospice pour regagner leurs domiciles.
Il n'en fut malheureusement pas de même de Mme Vantor, la femme qui, en sautant rue de Siam,
était restée inanimée.
Grièvement blessée à la tête et au genou droit, Mme Vantor, née Louise Gourvest, 26 ans, domiciliée 15, rue du Pont, ne reprit connaissance qu'une heure après l'accident.
Sous l'effet de la forte commotion qu'elle avait ressentie, elle put à peine dire son nom, sans indiquer son adresse.
Une foule considérable s'était assemblée rue de Siam, refoulée bientôt par les agents rue Colbert et rue de la Mairie.
M. Le Gorgeu, sénateur-maire, accompagné de MM. Lullien, premier adjoint ;
Lottiaux, secrétaire général, étaient accourus et, après avoir entendu les explications du conducteur, M. Joseph Simon et de la receveuse, Mme Beuget, s'étaient rendus à l'hospice civil pour saluer les blessés.
Ils y furent rejoints par M. Morel, sous-préfet.
MM. Causeur et Le Duc, adjoints ;
Courtin, commissaire central, attendirent sur les lieux l'arrivée du parquet pendant que M. Bonhomme,
commissaire de police, recueillit les premiers éléments de l'enquête.
MM. Donnard, procureur de la République ;
Lautier, juge d'instruction ;
Hébert et Daigre, substituts ;
Le Gall greffier, après avoir entendu les explications fournies par M. Bonhomme relevèrent sur les pavés les traces laissées par les roues du tramway et refirent jusqu'à la rue Victor-Hugo, le trajet qu'il avait suivi.
Ils procédèrent ensuite à l'interrogatoire du conducteur et de la receveuse.
M. Joseph Simon, conducteur très sérieux et prudent, est encore sous le coup d'une émotion légitime.
— J'appartiens depuis deux ans et demi à la Compagnie des tramways, nous dit-il
Je n’ai jamais eu le moindre accident.
Je suis désolé de ce qui m'arrive et, pourtant j’ai conscience d'avoir fait tout mon possible pour éviter
une catastrophe.
J’avais pris mon service à 11 heures, sur la ligne Petit-Paris-Saint-Pierre-Quilbignon.
Tout paraissait normal sur ma voiture.
J'accomplis plusieurs voyages sans rencontrer de difficultés.
Vers 15 h. 40 en descendant la rue Jean Jaurès, après l'arrêt de la rue
Victor Hugo, je sentis, en remettant en marche, que mon frein à main
venait de céder.
Je sonnais la receveuse Mme Beuget et lui fis signe de serrer le frein
de la plateforme arrière.
Il ne fonctionna pas.
J'actionnai le frein électrique.
Je n'obtins pas de résultat.
Je n'avais plus qu'à mettre en marche arrière.
Je le fis rapidement.
Un coup de feu se produisit alors dans le coupleur.
Des flammes s'élevèrent.
Le tramway prenait de plus en plus de vitesse.
Je me précipitai à l'arrière, mais ne pus faire fonctionner aucun des freins.
Je pense que la vitesse atteignait alors de 30 à 35 kilomètres à l'heure.
Je franchis sans encombre la place de la Liberté la courbe de la place Anatole France et entrai rue de Siam.
À l'aiguillage, ma voiture dérailla, parcourut encore quelques mètres et alla se jeter dans la devanture
du Café de France.
Mme Beuget, nous confirme les déclarations de M. Simon.
— Vous avez dû avoir peur? Lui demandons-nous.
— Pas précisément.
Quand le conducteur m'a fait signe de serrer le frein arrière, j'ai essayé sans résultat.
Les voyageurs s'affolèrent.
À la hauteur du cinéma Tivoli, un monsieur réussit à descendre.
Il courut derrière la voiture et parvint à recevoir des mains d'une dame un bébé, qu'elle lui tendit.
La mère voulut descendre à son tour, mais je la vis rouler sur la chaussée.
D'autres voyageurs parvinrent à descendre devant le théâtre.
Près de l'avenue Clemenceau, un homme, puis une femme sautèrent et tombèrent en avant.
Quand le tramway dérailla, une autre femme sauta.
Elle tomba sur le trottoir et resta inanimée.
Je me tins alors près du marchepied et me cramponnai
aux barres d'appui.
Les cinq ou six voyageurs qui restaient dans la voiture se tenaient sur la plate-forme arrière.
Seul, un monsieur était resté à l'avant.
Il sauta à terre quelques secondes avant le choc.
À ce moment, je vous avoue que j'attendais le pire, je suis surprise d'avoir gardé mon sang-froid.
Après le choc, qui fit un bruit épouvantable, je me hâtai de descendre, surprise,
heureuse d'en être quitte à si bon compte.
M. Médhus, dépositaire de bière, qui sauta avant le choc, sort de chez le docteur Lemoyne.
Il se rend, sur le conseil du docteur, à la clinique des docteurs Pouliquen et de la Marnière,
pour faire radiographier son épaule, luxée dans la chute.
— J'ai assisté impuissant à toute cette scène.
J'ai vu le conducteur faire tous ses efforts pour actionner ses freins.
Si Je n'ai pas tenté de sauter plus tôt à terre, c'est parce que des femmes se trouvaient devant moi.
Je leur ai conseillé de passer sur la plate-forme arrière, où j'allai les suivre, quand la voiture déraillée
se mit en travers de la rue.
Je sautai alors, tombai et me blessai à l'épaule.
Mme Ménard, demeurant quai de la Douane, prenait un café à la terrasse du café de France.
Elle eut la chance de voir assez tôt arriver le bolide qui défonça la devanture et put se sauver,
avant de recevoir les matériaux qui dégringolèrent près d'elle avec fracas.
Le service des ponts et chaussées qui est chargé du contrôle de la Compagnie électrique des tramways et qui, à ce titre,
a été souvent saisi des doléances de la municipalité,
va être vraisemblablement amené à prendre des mesures pour assurer un meilleur entretien du matériel.
En attendant, MM. Lecomte, ingénieur des ponts
et chaussées et Petton, ingénieur des travaux publics
de l'État, procédèrent à l'examen des freins de la voiture avariée en présence des membres du parquet,
puis M. Béritault, ingénieur des Mines, désigné
comme expert, vint à son tour faire des constatations.
Les ingénieurs, après examen plus approfondi, au dépôt des tramways de Kérinou, où la voiture a été garée,
fournirent leurs rapports au parquet.
Photos collection René Guéguen
L'auto stationnée devant l'hôtel des Voyageurs, dont l'arrière fut démoli par le tramway,
appartient à M. Yves Le Roux, représentant de commerce de la maison Byrrh.
La deuxième, qui n'a subi que de légers dégâts, appartient à Mme Cramillier, de Pornic.
Des constats ont été faits par plusieurs huissiers.
À 18 h. 30, à l'aide de crics, le personnel du dépôt parvint à déplacer le tramway.
Il fixa des chaînes à l'avant qui, tendues et tirées par un autre tramway, parvinrent à le mettre
dans une position parallèle à la voie.
Au moyen des crics, il fut ensuite remis sur les rails
et la circulation fut rétablie rue de Siam, vers 19 h. 30.
Attelée à l'avant par un tramway, poussée à l'arrière
par un autre, la voiture avariée fut conduite
au dépôt de Kérinou, où elle n'arriva qu'à 20 h. 30.
M. le docteur Mignard, médecin légiste, a été commis
par M. Donnard pour examiner les blessés.
Différents objets, sacs à main, chaussures, etc.,
ont été recueillis et déposés au poste de police-secours.
Aux dernières nouvelles, une légère amélioration
s'était déclarée dans l'état de Mme Vantor.
Photos collection René Guéguen
Il est heureux que ce lamentable accident n'ait pas eu de conséquences plus graves.
Source : La Dépêche de Brest 16 janvier 1939
Nous avons dit dans quelles conditions un tramway, conduit par M. Joseph Simon, descendit, sans frein,
la rue Anatole France pour venir dérailler rue de Siam et enfoncer la vitrine du Café de France.
M. Lautier, juge d'instruction, a poursuivi hier son enquête, ainsi que M. Bonhomme, commissaire de police, qui,
sur commission rogatoire, a interrogé plusieurs témoins. M. Beriteaud, inspecteur du contrôle de l'État
a procédé sur le véhicule accidenté à de nombreuses constatations.
M. Lautier a fait mettre sous scellés le livre sur lequel les employés de la compagnie consignent leurs observations relatives au matériel et au service
Quant à Mme Vantor, l'une des victimes de l'accident et qui avait été admise salle Sainte-Marie à l'hospice civil,
elle a pu hier quitter l'établissement et regagner son domicile.