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Fenêtres sur le passé

1938

Pen-ar-bed par François Ménez

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Source : La Dépêche de Brest 21 novembre 1938

 

La pointe de Saint-Mathieu est, pour un monument aux marins morts à la guerre, le plus bel emplacement qu'il soit possible d'imaginer.

Car la beauté d'un monument commémoratif tient, en la noblesse et à la perfection de ses formes, au cadre où il se trouve situé.

 

Il nous souvient d'avoir entendu, ce dernier été, le sculpteur Francis Renaud nous dire quelles difficultés il avait dû vaincre pour obtenir de placer son monument aux morts de Tréguier, cette femme, en cape de deuil, si simple de lignes et cependant si émouvante, dans l'ombre, où elle prend toute sa valeur, du paisible jardin de l'Archidiaconé.

 

C'est un trait de génie qui, de même, porta Quillivic à choisir, pour y édifier son monument aux marins morts à la guerre, ce promontoire finistérien de Loc-Mazé Pen-ar-Bed.

Dominant l'Iroise, qui sert de vestibule au goulet de Brest, ce tertre battu des vents commande à un immense horizon marin, qui va d'Ouessant, presque invisible sous ses brumes, à la lointaine pointe du Raz.

 

Nul coin de côte, au monde, ne voit passer plus de navires ;

nul n'a sans doute vu plus de naufrages, depuis les trirèmes des périples phéniciens jusqu'aux « Drumond-Castle » et aux « Egypt » engloutis, dont les pêcheurs d'or ramènent au grand jour des îles les cargaisons fabuleuses.

La longue stèle de Quillivic, que surmonte le visage douloureux d'une femme en deuil de notre pays,

domine cet immense cimetière marin où les courants mêlent leurs voix de Miserere.

À la gloire de tant d'équipages disparus, Béniguet, Molène et Quéménès laissent monter,

comme un encens barbare, les fumées de leurs brûleries de goémons.

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Le paysage, alentour, est d'une tristesse pathétique.

Saint-Mathieu, avec les arcades en ruines de son abbaye, ses maisonnettes de granit noircies par les brumes,

ses courtillets fermés de murs ruineux, semble une nécropole à l'extrême bout du monde,

où les rumeurs mêlées de la mer et du vent sont seules à rompre le silence.

 

Jadis, à cette pointe, il y eut un port marchand, bourdonnant d'activité, et un monastère, foyer de vie, si riche que,

les moines de Saint-Mathieu ayant, à la mort de leur abbé, envoyé à Rome un état détaillé des revenus,

pour servir à déterminer les droits d'inquisition, le pape, parcourant cette interminable liste,

ne put se retenir de s'écrier :

— Grand Dieu ! Tous les abbés de Bretagne sont-ils donc morts le même jour ?

 

Mais les Anglais, depuis lors, sont venus, après les Normands pillards, qui détruisirent l'abbaye bénédictine.

La Révolution a fait le reste.

De l'église abbatiale, surplombant presque à pic la falaise que sapent les marées, il ne subsiste que quelques gros piliers, supportant des chapiteaux aux tailloirs rongés, veufs de leurs voûtes.

Ils ajoutent une note majestueuse et tragique à ce décor de mélancolie.

 

Il semble qu'on eût dû préserver leur solitude si farouche en ce bout du monde que les hommes ont fui.

Bien différente en cela de la Pointe du Raz, en proie aux marchands de souvenirs et aux guides,

la pointe Saint-Mathieu est, en effet, abandonnée au silence de son monument funéraire et de ses ruines.

Une seule auberge, assez primitive, où cependant l'on danse, paraît-il, le dimanche.

Pas le moindre rouleau de pellicule.

Ni garage ni pompe à essence.

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Jim Sévellec

Mais aux ruines de l'abbaye s'adosse le phare blanc, dont la lanterne les domine, poursuivant la mission,

tel un flambeau passé de siècle en siècle, d'abord remplie par la tour à feu entretenue, dès le moyen-âge,

par les moines et reprise, sous Louis XIV, par l'ingénieur des Grassières.

 

Ainsi pardonne-t-on à la longue tour blanche de rompre la sombre harmonie du paysage.

Jaillie de la demi-nuit des ruines, sur son piédestal de roc et d'herbe, elle a, sur ce dernier promontoire d'Occident, la valeur d'un symbole.

Elle est l'âme qui veille, la flamme de miséricorde qui guide les navires, Notre-Dame des Brisants.

 

Mais au feu primitif que les moines de Saint-Mathieu alimentaient à l'huile d'olive, moyennant un droit prélevé sur les navigateurs, a succédé une lanterne puissante, éclairée à l'électricité, et dont le gardien de phare Le Plon,

un soir de cet été, nous a expliqué le fonctionnement.

 

Le Plon est un Cornouaillais d'Audierne, exilé en Léon, à l'inverse du gardien du feu de Le Braz, Goulven Dénès, et à qui des années de service à Saint-Mathieu ont donné toute la gravité léonarde.

C'est une sorte de génie du feu, de Lug des étendues marines qui, d'une pression sur une manette, commande,

non seulement au phare de Saint-Mathieu, mais à d'autres feux des îlots, qui s’allument à son commandement.

 

C'est alors comme une ronde des follets sur l'Océan, réglée par un orchestrateur mystérieux :

Une des féeries de la mer bretonne.

Cinquante-deux feux, nous dit Le Pion, sur un signal des gardiens, jaillissent et se répondent, éclairant les écueils,

les courants et les passes :

Kermorvan, la Vinotière, les Platresses, le Créac'h, le Stiff d'Ouessant, Trézien, le Vieux-Moine et,

tout au bout du champ de vision, l'autre bout de la nuit marine, à ses deux pôles opposés,

l'île Vierge et le feu d'Armen, dernier salut des hommes aux pèlerins de l'Océan.

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Dans son exil du Léon, quelque chose, tout au moins, rappelle à Le Pion son port d'origine :

C'est le monument de Quillivic, le bon sculpteur cornouaillais qu'il connut apprenti menuisier chez son père.

Fils de pêcheurs de Plouhinec, le futur imagier de la Bretagne ne se doutait certes point,

alors, du beau destin qui lui était promis.

Mais il s'amusait déjà, nous dit Le Pion, à sculpter des figurines dans le bois de chêne.

Ainsi se préparait-il à tirer du granit ce visage de « mam-coz » en deuil, raviné par le chagrin et par les larmes,

qui est une des plus pathétiques expressions de la douleur.

© 2018 Patrick Milan. Créé avec Wix.com
 

Dernière mise à jour - Mars 2022
 

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