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Fenêtres sur le passé

1938

Jean Louis Miniou - Chevalier de la Légion d'honneur

1938 - Jean Louis Miniou Ouessant _ 01.jpg

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Source : La Dépêche de Brest 31 août 1938

 

C'est dimanche prochain que M. Gonin, directeur du cabinet du ministre de la Marine marchande,

recevra dans l'ordre de la Légion d'honneur M. Jean-Louis Miniou, qui vient d'être nommé chevalier.

 

La cérémonie se déroulera à 11 h 15 devant le monument aux morts où seront groupés, avec leurs drapeaux,

les Anciens combattants et les Médaillés militaires.

 

M. Gonin retracera la belle carrière maritime du brave patron Miniou,

puis celui-ci recevra ses amis dans le salon de l'hôtel de Bretagne.

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Une belle cérémonie au Conquet.jpg

 

Source : La Dépêche de Brest 5 septembre 1938

 

Nous n'entendons pas, certes, présenter à nos lecteurs Jean-Louis Miniou.

Cela est déjà fait depuis bien longtemps.

Et, de plus, qui ne se souvient, à Brest, du commandant de la Louise qui, avec une magnifique assurance,

conduisait à Molène comme à Ouessant les passagers ?

 

Le « père Miniou » venait d'être fait chevalier de la Légion d'honneur.

Et, hier matin, à côté des nombreuses décorations qu'il porte, M. Gonin, directeur au ministère

de la Marine marchande et conseiller général d'Ouessant, allait accrocher sur sa poitrine

la croix de chevalier de la Légion d'honneur.

 

Une foule particulièrement nombreuse avait tenu à venir assister à la cérémonie qui allait se dérouler

sur la place de l'Église du Conquet, face au monument aux morts.

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On y remarquait la présence de MM. le sénateur Le Gorgeu,

ancien ministre ;

Gonin, conseiller général d'Ouessant ;

Taniou, maire du Conquet ;

Sartre, adjoint ;

Boëtté, recteur, ancien aumônier du 19e régiment d'infanterie ;

commandant de Rodellec du Portzic, président des anciens combattants ;

Kernéis, président des médaillés militaires ;

Tanguy, chef de section du quartier de Brest ;

Lambert, ingénieur T. P. E. ;

Omnès, agent administratif de l'Inscription maritime ;

Riou, syndic ;

Perreaux, d'Ouessant ; Kerfriden, maître de port ;

Nicolas, percepteur ; Simon, notaire ;

Boëtté, pilote ;

Aristide Lucas, patron du canot de sauvetage ;

Taburet, négociant ;

Godefroy, Falcher, etc...

 

1938 - Jean Louis Miniou Ouessant _ 02.jpg

La foule des assistants ne nous permet pas d'entreprendre une énumération complète.

 

À 11 h. 15, devant les drapeaux des sections d'anciens combattants et des médaillés militaires,

M. Miniou se tient entouré de son petit-fils M. A. Le Bars, de ses petits-enfants et arrière-petits-enfants.

 

L'arrivée des autorités est saluée par un « garde à vous » exécuté par les pistons Houbart père et fils et Pouliquen, suivi du Salut au drapeau et de la Marseillaise.

 

M. Gonin s'avance devant le récipiendaire et dit avec quel plaisir il a accepté de lui remettre la croix de chevalier

de la Légion d'honneur, que le ministre de la Marine marchande lui a attribuée pour sa longue et belle carrière.

 

Puis, avec le cérémonial accoutumé, M. Gonin décore M. J.-L. Miniou.

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M. Le Gorgeu dit ensuite combien il est reconnaissant

aux organisateurs qui lui ont demandé de présider cette cérémonie

aux côtés de M. Gonin et de M. Taniou, maire du Conquet.

 

M. de Chappedelaine, ministre de la Marine marchande, a tenu

à récompenser les longs services rendus par le nouveau légionnaire.

Des souvenirs personnels lui rappellent M. Miniou 

à la barre de la Louise. 

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Miniou _01.jpg

M. Le Gorgeu dit ensuite combien il est reconnaissant

aux organisateurs qui lui ont demandé de présider cette cérémonie aux côtés de M. Gonin et de M. Taniou, maire du Conquet.

 

M. de Chappedelaine, ministre de la Marine marchande, a tenu à récompenser les longs services rendus par le nouveau légionnaire.

Des souvenirs personnels lui rappellent M. Miniou à la barre de la Louise.

 

Ce que l'on a voulu récompenser en lui ce sont les nombreux services rendus aux populations

du Conquet, de Molène et d'Ouessant.

Pendant 25 ans il assura un service régulier avec l'archipel quel que fût le temps, car nul ne connaissait mieux

que cet excellent marin les écueils innombrables qui jalonnent la route entre le continent et les îles.

 

Après avoir parlé de la bravoure et des nombreux sauvetages accomplis par le héros du jour,

M. Le Gorgeu dit avec quel enthousiasme la nombreuse population, qui applaudit à la remise d'une décoration

si méritée, accueillit la nomination.

 

À présent, précédé de la musique et des drapeaux, on se rend, à travers la ville,

vers l'hôtel de Bretagne où doit être servi un banquet.

 

Après un vin d'honneur, le déjeuner est servi dans le grand salon de l'établissement.

Excellent menu auquel chacun fait honneur.

 

Au dessert, M. Gonin prend la parole en ces termes :

 

Nous sommes en famille.

Ici, point de discours.

Mais il est nécessaire de rappeler en quelques mots la carrière si bien remplie de Jean-Louis Miniou. Nous fêtons une récompense particulièrement bien méritée.

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Jean-Louis Miniou est né à Ouessant le 12 juin 1854.

C'est à titre de Ouessantin d'adoption et de maritime

que j'ai accepté l'honneur d'être son parrain

dans l'Ordre national de la Légion d'honneur.

Son grand-père fut chef gardien du phare du Stiff

pendant 30 ans.

Son père, après une longue navigation au long cours,

revint faire la pêche autour de l'île.

C'est avec lui que Jean-Louis Miniou

débuta dans le métier de marin, à l'âge de 9 ans.

 

Miniou _02.jpg

Rude école que les cailloux d'Ouessant avec leurs courants violents et une mer difficile entre toutes.

Après avoir été sérieusement « mariné », le jeune Jean-Louis fut embarqué au long cours sur un brick-goélette

faisant l'Espagne et l'Angleterre.

Il avait alors 13 ans.

 

Quelle différence entre la dure enfance de jadis et celle de nos jours.

Aujourd'hui, à 15 ans, le mousse part naviguer ;

en 1865, à cet âge, un mousse avait 6 ans de mer.

 

L'Angleterre et l'Espagne étaient une trop courte navigation.

Le jeune Miniou débarque pour partir de Bordeaux faire les voyages des Indes.

C'est en revenant de ces lointains voyages que Jean-Louis Miniou, devenu homme, se créa un foyer.

Mais peu de temps après, en 1877, il embarqua à la Compagnie générale transatlantique sur le Labrador.

Quelle belle preuve de constance et de conscience professionnelle il donna à sa compagnie,

puisqu'il fit sans désemparer 58 fois le voyage du Havre à New-York.

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Le long cours était une belle navigation ;

mais sans doute hanté par le souvenir de son foyer,

des cailloux de la côte bretonne et de son île natale,

Jean-Louis Miniou revint au pays et prit le commandement

de la Louise pour faire le service du Conquet à Ouessant.

Pendant 25 ans il a commandé ce petit navire.

 

Nous tous qui connaissons les parages d'Ouessant et de Molène, les furies de la tempête sur le Fromveur, dans les roches

de la Jument et dans les parages du Stiff, nous pouvons juger

les qualités de l'homme qui a toujours conduit son navire

à bon port.

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La Louise.jpg

Le vapeur la Louise

Les conditions de navigation étaient dures à cette époque.

Jean-Louis Miniou, élevé à une dure école, surmontait toutes les difficultés.

Il savait attendre l'embellie pour passer dans un mauvais coin, ou prenait un petit chenal traversier en se riant

des dangers, car il était certain de les vaincre.

 

Cette science innée de la navigation n'est pas donnée à tous.

Jean-Louis Miniou la possédait et il devenait légendaire, la mer était pour lui un sport.

Il aimait la mer pour la vaincre et lui résister.

 

Il fallut un jour abandonner la Louise.

Mais Miniou ne put abandonner la mer et il continua à naviguer seul sur son petit bateau la Sainte-Marie.

 

Est-ce fini ?

A-t-il mis sac à terre ?

Je ne le crois pas, et je ne serais pas étonné qu'au printemps prochain nous assistions à un nouvel embarquement

de celui que l'on fête aujourd'hui.

 

Après ce trop rapide tableau de la navigation accomplie, rappelons-nous les actes d'héroïsme accomplis

avec une rare discrétion.

 

Sur le Labrador, au large de Terre-Neuve, le Picardie était en perdition.

Patron d'embarcation, après trois voyages successifs dans une furie de temps, Jean-Louis Miniou sauve 43 hommes.

 

En 88, par brume épaisse dans le Fromveur, il découvre la Couronne Royale, de Londres, qui coulait.

Après d'héroïques efforts, il sauve tout le monde : 48 hommes 2 femmes, 3 enfants.

 

En 1906, près de la Jument, par tempête de nord-est, il rencontre le sloop Commissionnaire désemparé et réussit

à prendre à son bord les 4 hommes d'équipage et les 9 passagers.

 

Dix personnes furent encore sauvées à bord de Notre-Dame de Lourdes qui coulait dans le Fromveur, toutes voiles dessus.

 

Par tempête, dans ces parages d’Ouessant, la mer est d'une traîtrise sans égale :

Trois bateaux faisant le service du Conquet à Ouessant se sont successivement perdus.

 Jean-Louis Miniou n'a pas perdu le sien, bien plus, il s'en servait pour sauver les autres.

 

Les rares qualités de marin, sa connaissance approfondie de la côte sont légendaires dans le pays.

 

Je veux en terminer avec les sauvetages ;

d'abord, parce qu'ils seraient trop nombreux à énumérer ;

ensuite, parce que je ne veux pas heurter la discrétion de Jean-Louis Miniou qui déclare,

quand on lui parle de tous ces dramatiques événements de mer, qu'il n'a fait que son devoir.

 

Si par son courage Jean-Louis Miniou a évité de cruels chagrins dans les familles des naufragés,

le sort ne l'a pas épargné dans ses affections.

Il avait sept frères et sœurs.

Seul il a survécu.

Ses quatre enfants sont morts, le dernier à 33 ans, laissant cinq orphelins.

 

Sur ses vieux jours, ses petits-enfants et arrière-petits-enfants sont sa consolation, et ils peuvent être fiers d'avoir

pour grand-père un homme dans toute l'acception du mot, qui a toujours donné l'exemple du devoir.

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M. de Chappedelaine, qui a su s'appesantir sur le sort de nos marins,

a collaboré tantôt comme ministre de la Marine marchande,

tantôt comme rapporteur général du budget, à l'amélioration de la situation des pensionnés de la marine, des veuves et orphelins de la mer.

Il connaît la situation difficile de nos populations maritimes,

mais il sait apprécier également la qualité des hommes.

 

C'est pourquoi quand la belle et digne carrière de Jean-Louis Miniou fut portée

à sa connaissance, il a eu à cœur de le récompenser dignement, selon

ses mérites, en présentant à la signature de M. le président de la République

le décret nommant Jean-Louis Miniou chevalier de la Légion d'honneur, complétant, comme il convient, la brochette de décorations de notre ami.

 

Je le remercie de tout cœur de cet acte de reconnaissance et de justice.

Sans le savoir, Jean-Louis Miniou a été un héros, connu non seulement

dans ce coin de Bretagne, mais encore dans tout le pays.

 

Louis_de_Chappedelaine-1932.jpg

M. de Chappedelaine

Ministre de la Marine marchande

Mais de cet héroïsme de marin qui dénote dans nos populations maritimes des qualités si vivaces et si belles,

tirons une leçon :

Comme Jean-Louis Miniou, aimons notre pays, aimons le travail et sachons nous sacrifier pour porter aide

et assistance à nos semblables.

 

Je termine en souhaitant au héros du jour de continuer pendant de longues années encore une verte vieillesse

au milieu de sa famille qui l'adore et de ses concitoyens et amis qui l'affectionnent de tout leur cœur.

 

Par votre longue carrière et votre persévérance dans le métier de marin, vous êtes plus et mieux qu'un bon Français, vous êtes un exemple pour nous tous.

 

Ces paroles sont longuement applaudies.

 

M. A. Le Bars, petit-fils du nouveau légionnaire, adresse au nom de la famille des remerciements,  puis,

avec une belle simplicité d'expressions, il traduit l'amour de son aïeul pour la mer.

 

Et cette fête, en tous points réussie, se termine joyeusement par des chansons.

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