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Fenêtres sur le passé

1938

Du Faou à Camaret par François Ménez

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Source : La Dépêche de Brest 26 août 1938

 

Dimanche, avant-dernier d'août, au pardon de Landévennec, sous un beau ciel doux,

plein de nuages « processionneurs ».

 

C'est un de ces pardons mineurs, qui ne figurent pas au programme des festivités touristiques et qui, sans doute pour cette raison, ont gardé, comme au temps où Le Braz les décrivit, tout leur charme spirituel.

La procession n'y va point entre un double rang de kodaks braqués.

Par la coulée des clairières, portées par le vent marin, des sonneries de cloches grêles y viennent par volées.

L'on s'y rend, par batelées, des petits havres des estuaires, du Faou, de L'Hôpital et de Logonna, comme de tout temps aux pardons des îles, en suivant la route mouvante, blanche et bleue sous le glissement des voiles.

 

C'est pourquoi les touristes n'y sont pas très nombreux.

C'était tout un voyage, jusqu'à ces dernières années, que de gagner Landévennec, perdu « de l'autre côté de la mer ».

 

On ne le pouvait, venant de Brest, qu'au prix d'un très long détour, par Le Faou ou le chemin de fer de Châteaulin.

À moins de profiter — mais ce n'était pas tous les jours — du petit vapeur qui faisait le courrier, remontant du fond de la rade jusqu'au dernier méandre de l'Aulne.

Et si l'on désirait pénétrer plus avant la presqu'île, comme un brave curé d'Argol que j'ai jadis connu, il fallait recourir au bac, ou au passeur que l'on alertait, si c'était à tombée de nuit, par un feu de branchages secs allumé sur la colline.

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Aujourd'hui, le pont de Térénez a rendu plus accessibles Landévennec et l’arrière-pays de Crozon.

On ne rendra jamais assez grâces aux ingénieurs, aussi artistes que savants, à qui nous devons les ponts, pour la plupart récemment construits, jetés d'une rive à l'autre de nos estuaires.

Par leur prosaïsme de ciment ou de métal et la laideur de leur architecture, ces ponts pouvaient tout gâter.

Or, loin de nuire à la beauté du paysage, ils y ajoutent, par ce qu'ils ont de gracieux et d'ailé.

N'est-ce pas Léandre Vaillat qui disait d'eux qu'ils sont comme « des demoiselles de la mer » ?

 

Je les ai revus, pour la plupart, en ces semaines d'été, au cours d'un long périple breton :

Lézardrieux, Toul-an-Hery, la Corde, Térénez, sans compter le maître-pont de Plougastel-Daoulas.

 

De tous, celui de Térénez me paraît la plus parfaite réussite, par la façon dont il s'incorpore au paysage.

Et quel paysage !

Le plus beau, peut-être, le plus pénétré de majesté et de douceur rêveuse, qui soit au long des côtes de Bretagne.

 

Du Faou au promontoire que somme une île ronde, comme un point vert sur un I, la route a longuement côtoyé l'admirable estuaire, si large et si paisible en sa bordure de collines, et si glauque du reflet des bois.

L'anse de Penforn, dans l'abri du Gorréquer, déploie sa nappe verte, d'un étonnant silence, cimetière de navires qui mêle une note de pastorale à des visions guerrières.

Des vaches paissent à dix pas du blindage des croiseurs et des oiseaux font leurs nids dans les hunes.

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Et puis, comme on vient de doubler la pointe, par un lacet hardi, le pont apparaît soudain, dressant, comme une double tour de burg rhénan, ses puissants piliers de pierre que le tablier du pont relie de son trait d'union aérien.

 

Aux bois de Rosnoën, sur l'une des rives, assombrie de la note des pins, répondent sur l'autre bord de l'Aulne les frondaisons plus vives du Folgoët et du Maros.

Pas une voix humaine, ni une trace d'habitation :

la solitude, baignée d'un murmure de marée, du ciel, des eaux et des bois.

Sous le pont que la rivière reflète, l'Aulne se déroule, verte comme un bras marin, élargie à l'anse du Garo.

 

Il n'est pas de plus belle entrée dans la presqu'île, ni par la route du Porzay, partant des bois du Quistinic, ni par celle de Châteaulin à Sainte-Marie-du-Méné-Hom.

 

Mais après s'être dégagée des verdures de l'Aulne, grimpant entre le Folgoët et Ty-ar-C'hoat, la route du Faou à Camaret prend un autre caractère et le vrai pays de Crozon commence, aride et triste, parcouru de lentes ondulations où les derniers chaînons de la Montagne noire et de l'Arrée viennent finir.

Et l'impression que laisse ce déroulement de terres mélancoliques est assez la même, quoique moins marquée, que celle qu'on se souvient d'avoir éprouvée dans le massif arréen, entre Loqueffret et Brasparts.

Ce sont les mêmes étendues, aux lointains baignés de brume violette, que tache, de place en place, un îlot d'arbres sombres ou que surmonte, comme une frise maigre détachée sur un désert de nuées, la caravane immobile des pins.

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Nous sommes, loin, ici, des bords éclatants de l'Aulne.

Le pays se replie, sec, osseux, d'un roux de bure, sans la bénédiction des chapelles ni des vergers, sous sa vêture de lande rapiécée de carrés de chaume.

Mais des tours en ruines de moulins amputés de leurs ailes, en vigie sur le dos des collines, vous rappellent que la mer est proche.

Et vous la voyez, à droite comme à gauche, dans la rade de Brest et la baie de Douarnenez, que ferme la longue échine du Cap-Sizun.

 

Le pays est triste, parsemé de rares fermes : Creac'hély, Kerliver, Kervenguy.

Il ne s'en dégage pas moins un charme puissant.

Non pas le charme des pays humanisés, comme il en existe dans la presqu'île, à Plomodiern, Plonévez

et les paroisses grasses du Porzay où sont les plus belles terres à blé du Finistère,

mais la tendresse des fonds de terre drue, des creux de rivières :

le ruisseau de Kerloc'h et l'Aber, où se ramasse un peu de verdure, des petits chemins descendant, sous la mêlée des branches, vers Lanvéoc et Penarvir, pleins des senteurs retrouvées des chèvrefeuilles et des sarrasins en fleur.

 

La route court, toute droite, dans les solitudes, bordée de talus où l'été déclinant allume ses rampes de bruyères.

Tal-a-Groas, au bout d'un long ruban, marque un nœud des chemins.

Puis c'est Crozon, vieille bourgade qui a gardé ses pavés et ses toits d'ardoises du temps de Vauban et qui s'est placée au haut de la colline pour mieux voir s'allumer Brest et les phares, au brun de la nuit.

 

La route se poursuit, à travers un pays de plus en plus dépouillé, où s'accusent, des hauts de landes, les contours déchiquetés du trident crozonnais :

La pointe Espagnole, le cap de la Chèvre, Pen-Hir et les Tas de Pois.

C'est comme une place de guerre, nue comme un glacis, qui vit passer, à la fin de la Ligue,

les chariots du maréchal d'Aumont et les piquiers espagnols.

Et les promontoires même, comme au Château de Dinan, y prennent l'apparence de forteresses en ruines.

 

L'Océan souffle des grèves sa rude haleine salée ;

les villages de Perros, de Saint-Prigent et de Lannilien, y prennent, serrés contre le vent, une couleur de terre.

Et soudain, au fin bout du monde succédant, sans qu'on s'y attende, à ce tableau de mélancolie,

c'est la vision radieuse de Camaret.

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