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Fenêtres sur le passé
1938
Asphyxie au gaz, porte du Conquet

Source : La Dépêche de Brest 4 août 1938
Les services des subsistances de la marine procèdent actuellement à la réfection de la meunerie et de la boulangerie.
Les établissements Tissay - Rose-Brault, 17, rue Bachaumont, Paris (17e), auxquels a été confiée l'installation
des pétrins mécaniques, avaient chargé le chef monteur Emile Mauté, né le 25 mai 1885 à Pont-Goin (Eure-et-Loir)
de diriger ce travail avec quelques ouvriers spécialistes.
M. Mauté était arrivé courant mai à Brest avec son épouse, Mme Thérèse Mauté, née le 30 mars 1889
à Prunay-le-Jillon (Seine-et-Oise) et, après quelques jours passés à l'hôtel, avait loué, le 29 mai,
une chambre meublée au rez-de-chaussée d'un immeuble de la route de la Corniche, près la porte du Conquet.
M. et Mme Mauté étaient des locataires fort paisibles.
Le ménage paraissait très uni et avait payé son loyer la veille même.
M. Mauté se rendait régulièrement chaque matin à son travail.
Aussi, hier matin Mme Point, qui habite au premier étage,
au-dessus de la chambre de M. et Mme Mauté, surprise de n'entendre aucun bruit et de ne pas avoir, comme d'habitude, aperçu ses voisins, dont les volets restaient fermés, prévint la bonne de sa propriétaire, qui, aussitôt avertie, se rendit avec deux voisines,
Mme Houtin et Mme Point à la porte de M. Mauté.
Elles frappèrent.
Leurs appels restèrent sans réponse.
Inquiètes, elles prièrent un artisan menuisier de Saint Pol-de-Léon, venu depuis la veille procéder à des réparations dans le vaste immeuble, d'ouvrir la porte avec le passe-partout que possède
la propriétaire.

La clef de la chambre étant restée dans la serrure, à l'intérieur, le menuisier parvint à la faire tomber à l'aide
d'un fil de fer, ouvrit la porte avec le passe-partout et pénétra dans la chambre, éclairée par l'ampoule électrique placée au-dessus du lit.
Il recula épouvanté devant un pénible spectacle et l'odeur nauséabonde qui régnait dans la chambre.

Le menuisier ne sentit pas, a-t-il déclaré par la suite, l'odeur caractéristique du gaz,
il se précipita vers la fenêtre, ouvrit les volets.
Il était alors midi 15.
Le lit souillé était vide.
La jambe droite de la femme prenant encore appui sur le matelas, émergeait de l'étroit espace existant entre le lit
et un placard à porte à glissière.
Le corps était suspendu.
La face de la pauvre femme s'écrasait sur le plancher au milieu de déjections.
Près d'elle, accroupi, la tête exsangue, touchant presque les genoux, se trouvait l'homme qui, sans doute,
en un dernier sursaut d'énergie, s'était levé pour aller ouvrir la fenêtre.
Par téléphone on prévint la mairie de Saint-Pierre-Quilbignon et le docteur Coadou.
Le maire, M. Eusen, accourut aussitôt avec le garde champêtre Rioual.
Il avait eu soin d'emporter l'appareil Panis. destiné à pratiquer la respiration artificielle, en dépôt à la mairie.
Précaution inutile, hélas ! la mort avait fait son œuvre.
Les époux Mauté avaient succombé à l'asphyxie.

M. Eusen avait alerté la gendarmerie.
M. l'adjudant-chef Coupa, commandant par intérim la gendarmerie de l'arrondissement,
accompagné des gendarmes Le Floch, Laot et Rabaud, vint procéder à l'enquête.
Rien n'avait été touché dans l'unique pièce, habitée par les époux Mauté.
En entrant, à droite, le lit de milieu.
Dans son prolongement une table carrée sur laquelle se trouvaient
des papiers, un verre et une timbale de métal, ayant contenu du vin.
Sur une chaise, à gauche, les vêtements de la femme.
Près de la fenêtre, une glace.
À droite, sur une autre chaise, les habits de l'homme.
Dans le placard, à porte à glissière formant à la fois armoire à linge
et réduit pour ustensiles de cuisine :
Le fourneau à gaz.
Les robinets des deux réchauds étalent fermés, mais le principal,
celui auquel était fixé le tuyau de caoutchouc, était resté ouvert.
Ce tuyau, en assez mauvais état, ainsi que le constata M. David,
directeur de la Compagnie du gaz, portait une fissure que l'on avait essayé
de boucher en le ligaturant par du coton à repriser, enroulé sur une longueur de cinq à six centimètres, mais à travers lequel le gaz fusait.

Près du fourneau se trouvait une cafetière à demi pleine.
Le contenu des deux tasses de café qui manquaient pour l'emplir, avait été versé dans une casserole posée
sur l'un des réchauds.
Ce café était-il destiné au petit déjeuner ou bien les victimes de l'accident, prises de malaise,
s'étaient-elles couchées avant d'avoir eu le temps de le boire ?
On ne le saura jamais.
Quand M. Mauté voulut se lever pour ouvrir la fenêtre il était trop tard, il s'affaissa et succomba.
La femme bascula du lit, en une dernière convulsion, ainsi que la position du corps permettait de le supposer.

M. Daigre, substitut du procureur de la République, qui assistait à l'enquête faite par la gendarmerie,
avait commis M. le docteur Mignard, médecin-légiste, pour examiner les cadavres.
À 16 heures, le docteur Mignard déclara inutile de procéder â une autopsie,
et conclut à une mort accidentelle par asphyxie par le gaz.
Comme on ignorait l'adresse des parents des victimes,
on sait que le couple ne devait séjourner à Brest que jusqu'à la fin des travaux aux subsistances de la marine, soit encore environ deux mois, on télégraphia aux Établissements Tissay-Rose-Brandt en les chargeant de prévenir les familles du malheur qui les frappait.
En attendant, le service des pompes funèbres procéda à la mise
en bière provisoire des deux victimes de ce lamentable accident
et les cercueils furent déposés à la morgue de Saint-Pierre-Quilbignon.
M. Bizien, juge de paix du 3e canton, procéda à un rapide inventaire des objets appartenant aux défunts et apposa les scellés sur la porte de la chambre.

Les compteurs à gaz de cette maison, aux quelques 130 locataires, ne se trouvent pas dans la chambre
de chacun d'eux, mais sont réunis dans chacune des ailes de l'immeuble, matriculés au numéro de la chambre.
Les victimes n'en avaient donc pas fermé la clef.
La simple négligence de tourner le robinet d'arrivée du gaz d'éclairage a causé leur mort.
Que cette terrible leçon serve au moins d'exemple !