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Fenêtres sur le passé

1937

Zola dans le Finistère
par François Ménez

 

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Source : La Dépêche de Brest 19 mai 1937

 

On a dernièrement commémoré, à Chartres, le cinquantenaire de la publication de la Terre, le grand roman paysan d’Émile Zola.

C'est en effet dans les environs de Chartres, en pleine région Beauceronne, que se déroulent les scènes de l'œuvre ; c'est en Eure-et-Loir que l’écrivain se fixa quand il se proposa d’étudier les milieux ruraux.

 

Soucieux par-dessus tout d'exactitude, Zola aimait en effet à se documenter sur place.

De même qu'il se transporta à Denain et descendit dans les mines pour préparer Germinal, il parcourut et observa la Beauce, région essentiellement agricole, pour se renseigner sur la paysannerie française, telle qu'elle existait aux premiers temps de la troisième République.

Il fut conseillé dans son enquête par Noël Parfait, député radical d'Eure-et-Loir, l'un des 363, qu'il avait eu l'occasion de connaître dans les couloirs de l'Assemblée nationale, lorsqu'il adressait à La Cloche ses Lettres de Bordeaux.

 

Les journaux littéraires ont rapporté, ces jours derniers, comment, ayant quitté Paris le 4 mai 1886, Zola écrivait, le surlendemain, de Châteaudun, à son ami Henry Céard, l'un des collaborateurs des Soirées de Médan, pour lui relater ses pérégrinations, à travers la plaine beauceronne, et lui exprimer ses impressions premières.

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« Je tiens, lui disait-il, le coin de terre dont j'ai besoin.

C'est une petite vallée à quatre lieues d'ici, dans le canton de Cloyes, entre le Perche et la Beauce, et sur la lisière même de cette dernière...

J'y aurai tout ce que je désire, de la grande culture et de la petite, un point central bien français, un horizon typique, très caractérisé, une population très gaie, sans patois.

Enfin, le rêve que j'ai fait... »

 

À quelques kilomètres de Châteaudun, sur le territoire de la commune d'Ozoir-le-Ménil, le romancier devait visiter minutieusement, les jours suivants, la ferme Hénault de Villeloup, sur laquelle il prit de copieuses notes, et que, dans son roman de la Terre, il devait transporter d'Ozoir à Rognes, en faisant le domaine de la Borderie.

 

S'étant beaucoup entretenu avec les commerçants, les agriculteurs beaucerons, ayant pris de nombreux renseignements sur la vie politique, religieuse et sociale des paysans, sur leurs conditions de travail, sur leurs mœurs et leurs coutumes, le romancier regagna Médan, où vers le 15 juin 1886, il se mit « cahin-caha à l'écriture de son bouquin ».

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La Terre

Illustration de Pierre Falké

Ce que les journaux ignoraient sans doute, ou n'ont pas jugé à propos de rappeler, c'est qu'avant de porter son dévolu sur la Beauce, Zola, avait songé à découvrir en Bretagne le cadre et les personnages principaux de la Terre.

 

C'était au temps où les écrivains, après les peintres, découvraient le Finistère.

La côte de Cornouaille attirait, chaque été, un grand nombre de poètes, de romanciers et d'artistes, à qui elle offrait une source inépuisable d'inspirations.

Parmi les rosiers de Kervénargant, Theuriet trouvait le sujet d'une âpre et véridique histoire d'amour.

Sully-Prud'homme célébrait en des vers harmonieux, les filles de Douarnenez dont le cœur ne se gagne, — je ne sais s'il en est absolument de même de notre temps — « que dans la langue du pays ».

Coppée se laissait prendre au charme des matins mouillés sur la campagne du Porzay.

Dans le même temps, Mirbeau, fuyant la juste colère de de l'Association des comédiens, dont il avait médit dans un article virulent et lui le menaçait d'un duel, vivait à la pension Bâtifouiller, d'Audierne, des jours inquiets et médiocres, dont il s'est certainement souvenu, en écrivant, en 1885, les pages les plus dramatiques du Calvaire.

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Et voilà comment Zola, tenté à son tour par cette Bretagne qu'il se représenta peut-être à travers les relations de Mirbeau, débarqua lui-même un beau jour à Sainte Marine, en face de Bénodet, projetant d'y situer l'intrigue d'un roman à sa façon.

 

Frédéric Le Guyader, appartenant à l'administration des contributions indirectes, venait de quitter, à cette époque, Concarneau pour Douarnenez.

Il s'y était installé dans une maison de la rue du Môle.

Il entretint avec les littérateurs qui fréquentaient le port de pêche finistérien, en particulier avec Hérédia, d'amicales relations.

Et voilà comment il connut le projet de Zola.

Il rappelle, dans son Avant-propos de la « Chanson du cidre », comment, se faisant une idée bien fausse de la Bretagne, Zola avait entrepris, poursuivant la série des Rougon-Macquart, de faire un roman breton, une « synthèse » bretonne.

 

C'était vers 1884 ou 1885.

Seul, avec sa femme, dans une maison des bords de l'Odet, transformée en château aujourd'hui, « Zola, voisin de l'Océan, se mit à l'œuvre ».

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Émile Zola

« Il avait apporté, dit Frédéric Le Guyader, son bagage ordinaire de notes, de documents.

De plus, le ministère de l'Intérieur s'empressait de lui communiquer, par la voie postale encombrée, des monceaux de statistiques.

Rapports officiels et médicaux, statistiques sur la consommation de l'alcool, sur la progression de la criminalité, de l'aliénation mentale, le dossier était complet. »

 

Le poète de la Chanson du cidre, sans grande sympathie pour le puissant romancier de la Terre, le montre, « les narines palpitantes », se délectant à l'avance devant ce dossier précieux, ce « fumier à remuer », « cette Bretagne bondieusarde et sale, livrée à l'ivrognerie et à la superstition, il allait la coucher sur sa table anatomique et fouiller dedans avec son bistouri de carabin mécréant. »

 

Il lui fallait, pour se documenter à fond, voir de près ce peuple, se mêler aux foules.

C'est ainsi que, de temps en temps, le maître, prenant le bac de Sainte-Marine, passait de l'autre côté de l'eau et louait une voiture chez Hamon.

II connut ainsi tour à tour, Pont-l'Abbé, Fouesnant, Concarneau.

Force lui fut de reconnaître, quand il se fut fait une juste opinion de la Bretagne et des Bretons, qu'il n'avait rien à faire chez nous.

Et c'est ainsi que, l'année suivante, il choisit, avec plus d'à-propos, la Beauce comme champ d'observation.

 

« Comme tant d'autres, dit Le Guyader, qui chantent la Bretagne en vers et en prose, — et Dieu sait si la banalité bretonne est un article courant — Zola aurait évidemment pu faire un livre sur la Bretagne.

Mais Zola, qui a des défauts, a une qualité littéraire : c'est un ouvrier consciencieux.

Il a senti qu'il ne pouvait tirer de sa visite en Bretagne que des banalités.

Il a préféré ne rien écrire. »

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Émile Zola

Faut-il donc croire qu'il perdit absolument son temps chez nous ?

Non, car il connut Sainte-Marine et Combrit, Bénodet, le bas de la rivière.

Il fut ébloui, en la visitant, un jour printanier, par le parc du Perennou.

Et il s'en est peut-être souvenu en écrivant La joie de Vivre et en décrivant le merveilleux jardin de La faute de l'abbé Mouret.

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