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Fenêtres sur le passé
1937
Les crieurs de nuit de Morlaix en 1838
Source : La Dépêche de Brest 16 mars 1937
Ne vous est-il jamais arrivé, étant en voyage de maudire le bourdon d’une église ou le carillon d’une horloge publique qui, tout près de l’hôtel où vous êtes descendu, ébranlent, de leurs grosses voix, le silence de la nuit,
et cela tous les quarts d'heures, demi-heures et heures ?
L'on s'habitue à tout direz-vous et l'expérience prouve qu'on peut demeurer à proximité d'un édifice public dont l’horloge égrène le long chapelet des heures, nuit et jour, sans être troublé dans son sommeil …
Vous n’aimez pas, cependant, que votre repos soit contrarié la nuit, par les cris de quelques noctambules,
par les aboiements énervants des chiens du voisinage ou par les miaulements de chats en quête d’aventures…
En 1888, certains morlaisiens ne l’entendaient pas tout à fait de cette façon pour diverses raisons.
Si l’on en croit un chroniqueur de l’époque, le besoin de connaître l'heure, durant la nuit,
se faisait sans doute sentir chez eux.
Et puis, les rues n'étaient pas très sûres et il fallait qu'une surveillance active fut exercée sans arrêt pour mettre en fuite les maîtres du rossignol…
« Une liste circule, lisons nous dans la Feuille d'annonce de Morlaix du 17 novembre 1838, pour demander la création de crieurs de nuit à l'instar de quelques autres villes et qui seraient soldés par les souscripteurs. »
Ces crieurs de nuit, comme leur nom l'indique, étaient chargés de parcourir les rues et de crier les heures...
Ainsi, en 1838, des Morlaisiens s'offraient à payer, de leurs propres deniers, des hommes qui, la nuit venue,
les auraient empêché de dormir...
Comme compensation, il est vrai, nos concitoyens avaient alors l'impression de se trouver, chez eux, en sécurité...
Si de nos jours, nous acceptons les carillons cristallins des horloges, il est probable que nous accueillerions assez mal, en pleine nuit, les appels plus ou moins harmonieux... ou tonitruants des crieurs nocturnes.
Ne devrait-on pas, pourtant, s'y habituer, comme nous nous sommes accoutumés, depuis longtemps, aux bruits implacables que le progrès nous a si largement dispensés ?...
En 1838, la pétition des habitants demandant des crieurs de nuit fut combattue en ces termes :
« Nous croyons que cette institution, dit le chroniqueur dont nous venons de parler, qui a son bon côté,
aurait aussi son mauvais ;
car les voleurs, avertis par leurs cris, cesseraient leurs opérations pour les reprendre avec plus de sécurité
après le passage de ces crieurs.
Autre inconvénient, en criant les heures, ils éveilleraient les personnes qui auraient besoin de sommeil, ce qui ne serait guère amusant. »
L'auteur de ces réflexions qui paraissent logiques ne devrait-il pas, logiquement, se faire rire au nez à notre époque ?
Et l'habitude, monsieur, devrait-on lui dire, qu'en faîtes-vous ?
Vous auriez été gêné au cours des premières nuits mais, après, vous n'auriez plus prêté attention aux passages réguliers, sous vos fenêtres du crieur de nuit...
Car, pour être logiques avec nous-mêmes, nous ne devrions pas sourire, aujourd'hui, de l'institution de ces crieurs de nuit auxquels, en 1838, par la force de l'habitude, les Morlaisiens n'auraient fait nul cas, tout comme, en 1937, nous trouvons normal, sans penser aux gens qui ont besoin de sommeil, ni aux malades, de nous accoutumer aux carillons parfois intempestifs des horloges publiques...
L'habitude, dit-on, est une seconde nature !...
Mais oui ! Et si les chats et les chiens vous dérangent, c'est peut-être parce qu'ils ne se livrent qu'à de trop rares intervalles à leurs ébats tapageurs...
S'ils s'exerçaient plus souvent et régulièrement à leur petit jeu nocturne, vous vous y habitueriez et — pourquoi pas ? — vous dormiriez sans les entendre...
Qu'en pensez-vous ?