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Fenêtres sur le passé

1933

Ouessant, l'île méconnue par Odette du Puigaudeau
article 1 sur 5
La vigie de l'Ouest

 

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Source : L’Ouest-Éclair 23 août 1933

 

Ouxisame, Uxantisena, Enez-Eussa, Ouessant, tous les fouets des tempêtes sifflent dans ses noms ;

le gong des vagues y résonne sombrement tous les orages y grondent tous les effrois y tremblent.

 

Ses récifs furent les gardiens inexorables des dieux barbares.

Éventreurs de vaisseaux, ils retinrent les équipages grecs, italiens, anglais, basques, qui se fixèrent à Ouessant.

Entre les brumes et les landes, se mêlèrent la sagesse hellénique, l'avidité latine, la foi des premiers saints faiseurs de miracles, l'art toscan et le mysticisme armoricain.

Naufrageuse happant le long des siècles toutes les proies de ses courants !

 

Elle n'a pas eu de chance.

Les Néolithiques, érigeant leurs dolmein, en avaient fait une terre sacrée, seuil redoutable de l'Océan Extérieur, séjour des âmes et demeure du soleil couchant.

Pour les Celtes Gaëls et Kymris, elle fut le sanctuaire de Bel-Héol, puis de Hésus, dieux du Soleil, de la lutte, principes créateurs.

Maintenant, elle n'est plus que « l’île de la Pluie » !

 

Les géographes de l'antiquité, Pythéas de Marseille, 400 ans av. J.-C., puis Eratosthène, Strabon, Pomponius Mela, Pline, Ptolémée, ont parlé d'Ouessant sous différents noms qui tous, exprimaient l'idée de grandeur, de vénération :

Axantis, Uxantisena, Ushaut.

Ils nous ont appris que des druides et des prêtresses s'y livraient à un culte étrange, en relations secrètes avec certains sanctuaires grecs, comme celui de Samothrace.

 

Amédée Thierry écrivit, d'après Mela, que l'oracle de Sena, plus que tous les autres, attirait les navigateurs gaulois et que cette île, renfermant un collège de neuf vierges appelées Sènes, était située vis-à-vis du cap le plus occidental de l'Armorique.

Regardez la carte la côte la plus occidentale, n'est-ce point l'extrémité du Léon, d'Argenton à Porspoder ?

 

Mais Ouessant s'est vue dépouiller de son passé glorieux, de sa belle légende druidique, au profit de la petite île de Sein, par l'erreur, au XVIIIe siècle, du géographe d'Auville.

À l'époque de Mela, quand les Grecs et les romains contemplaient cette forteresse dressée sur la route des îles Cassitérides, où ils allaient quérir les métaux précieux, le murex et les pierres gemmes, Sein n'était pas encore détachée du continent.

Son monastère lui valut longtemps le nom d' « Île des Saints », et elle s'appelle en breton « Enez Cap Sizun », qui rappelle bien son origine terrienne.

 

Ses grèves basses, dépouillées, auraient offert un piètre décor aux magies druidiques.

Mais, devant la côte abrupte d'Ouessant, crénelée de roches

 

hallucinantes, creusée de grottes, semée d'îlots inaccessibles, gardée farouchement par sa horde de granit, guerriers et rois gigantesques, moines aux frocs raidis, bestiaire apocalyptique, navires pétrifiés naviguant éternellement sur des eaux toujours en fureur, comme il est facile d'évoquer le Passé !

 

Là, s'élevait un temple entouré d'un cromlec'h dont l'amiral Thévenard décrivit encore les ruines au XVIIIe siècle ;

des dolmein pour les sacrifices des meinhir, symboles du Soleil générateur tout un peuple de pierres levées pareilles à celles de Plouhinec-en-Hennebon, vous savez bien, les pierres géantes qui, tous les cent ans, abandonnent une nuit leurs trésors pour aller boire à la rivière Intel.

 

Un collège sacerdotal de Druides, Ovates, Bardes et Prêtresses, vêtus de lins et couronnés de lierre, portant au cou l'Œuf de Serpent et le Cercle mystique suspendus à une chaîne d'or pur, étudiaient les astres, les plantes, le vol des oiseaux et le sang des victimes, déchaînaient les tempêtes contre le profane qui tentait d'approcher, apaisaient les vents et dévoilaient l'avenir.

Des promontoires et des brèches ouvertes sur des chaos dantesques, depuis Cadoran et le Jeu de boules des Païens jusqu'à Roc'h-ar-Païanet et la pointe de Pern, émanaient l'épouvante, la mort et l'espoir en les Îles Bienheureuses, patrie des âmes gauloises, que seuls les Druides apercevaient parfois, mirage glorieux nimbé de l'or du couchant.

 

Dans une profonde caverne où l'on ne peut accéder qu'en barque, à marée basse, il y a encore, parait-il, une grande table de granit sculptée de caractères druidiques, derniers vestiges d'un temple sous-marin où des prêtres Kymris puisaient la leçon de l'Océan, tandis qu'en haut, leurs collègues recueillaient celle des étoiles et des planètes.

 

C'est tout ce qui reste du passé obscur, cette table et la « Corne des Gaules », le menhir près du bourg.

La science et la jeune religion ont achevé l'œuvre du temps, et les pierres mystiques, témoins de rites venus de l'Inde pour s'épanouir et mourir en ces lieux effroyables, sont maintenant prisonnières dans les murailles des phares et de l'église.

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