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Fenêtres sur le passé

1930

Dans l'archipel Molénais par Pierre Bouis

 

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Source : L’Ouest-Éclair 21 août 1930

 

L’habitude est de donner le nom d’archipel ouessantin à ce groupe d’iles aux écueils redoutables qui devance, vers l'Occident, la côte finistérienne.

Cependant Ouessant, pour être la plus grande des unités de cet ensemble, n'en mérite pas le parrainage son caractère est tout autre que celui de ses voisines, les mœurs de ses habitants comme la nature de son sol l’en différenciant notablement.

 

Ouessant et Keller mises à part c'est l'archipel molénais qu'il faudrait dire, comme vont nous le démontrer nos excursions aux îles Bannec, Balanec, Quéménès, Trielen, Beniguet.

Soulignons en particulier cette différence à Ouessant, des traditions bien conservées, et dont l'originalité dit l'âge, prouvent une existence insulaire de vieille date.

La caractéristique de l'archipel molénais est, au contraire, de présenter des traces indubitables d'une vie continentale relativement récente.

Je dis relativement récente, l'ambiance des îles, les vestiges que l'on y découvre, incitant à prendre pour unité de temps le millénaire ou quelque chose d'approchant.

 

Ceci dit, débarquons à Molène où nous aura déposés la robuste vedette à moteur de François Le Mao.

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Au restaurant du Port — je vous recommande l'excellente cuisine de Mme Tual — nous laisserons nos bagages et retiendrons des chambres.

Puis nous partirons à la découverte.

Instinctivement, nous longerons la côte par un sentier qui, dominant les rochers et les grèves, s'insinue parfois aussi dans les champs si curieusement minuscules des îliens.

 

L'abri du canot de sauvetage Amiral Roussin, celui du Coleman— la plus puissante unité à moteurs de la Société centrale de secours aux naufragés —nous rappelleront en passant les dangers de ces parages et le courage cent fois exercé des marins de Molène.

M. Pierre Coëffeur, chef mécanicien du Coleman, sera pour nous le meilleur des cicérones.

Brestois, établi depuis quatre ans dans l'île, il en connaît tout le pittoresque et les traditions, sur lesquelles pourraient aussi nous renseigner M. Rosuel, curé de Molène ;

M. Eugène Masson, son sympathique maire.

 

Aussi bien, frappons aux trois portes.

 

L'ami Coëffeur nous parlera naufrages et sauvetages.

En soixante années, la station de Molène a sauvé plus de 50 bâtiments et 564 vies.

 

La plus marquante de ses interventions eut lieu le 16 juin 1896 un paquebot anglais, le Drummont-Castle, ayant fait naufrage, Molénais et Ouessantins eurent une si belle conduite, que la reine Victoria en décora plusieurs, l'Angleterre complétant ce geste de reconnaissance par divers secours matériels :

Construction d'une citerne, dons à l'église d'une horloge et de beaux instruments du culte.

(Nous visiterons d'ailleurs le cimetière particulier des victimes du naufrage du Drummont-Castle.)

 

M. Masson, maire, nous dira ses soucis d'administrateur dévoué au bien public :

L'île n'a pas de médecin.

Ce qui l'amènera à nous entretenir du docteur Tricard, ancien médecin de marine, mort le 22 avril 1928, à Molène, après avoir amassé les plus beaux titres à la reconnaissance des îliens, modèle d'abnégation, de désintéressement et de conscience professionnelle.

Au cimetière, une belle tombe abrite les restes de ce véritable héros.

Mais nous n'y trouverons pas la date de sa mort, que nous apprendrons par Pierre Coëffeur, qui veilla le regretté docteur Tricard à ses derniers instants.

 

C'est le sort des choses et des gens de l'archipel que de ne pas dater.

Comme nous le disions tout à l'heure, le calendrier des îles est aux dimensions de la nature elle-même.

 

M. l'abbé Rosuel nous rappellera cette imprécision.

Depuis son arrivée Molène, il a vainement scruté le passé :

Les archives ont été brûlées ;

jadis les vieilles pierres tombales, ces repères de la navigation archéologique, servent ici de dalles aux chemins et ont depuis belle lurette, perdu toute inscription sous le pas roulant et pesant des pêcheurs, devenant de ce fait aussi obscures que les petits menhirs dont nous avons noté la présence ;

une vaste nécropole, découverte à la construction du sémaphore, ne put être observée avec soin, des fouilles rapides ayant eu le seul caractère utilitaire qui les avait provoquées.

 

Tout ce que l'on sait de l'île, c'est qu'elle fut jusqu'au XVIIIe siècle le siège d'un prieuré dépendant de l'abbaye de Saint-Mathieu, pour devenir ensuite paroisse et relever, jusqu'à la Révolution, de l'évêché de Saint-Pol-de-Léon.

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Ayant frêté la vedette à moteur de l’île, nous consacrerons une après-midi à la visite des îles Balanec et Banec, où résident, dans des conditions peu communes, les brûleurs de goémon, les « pigouliers »

 

Balanec,  des rochers escarpés, des grèves de galets, au milieu desquels on est tout étonné de découvrir un étang paisible, où s'ébattent quelques canards, entouré de quelques maigres cultures vaguement protégées en cette sorte de cuvette que forme l'île.

 

Dépendant du Conquet, Balanec est louée, comme les autres îlots de l'archipel, à un particulier pour la récolte du goémon et la fabrication de la soude.

Ce particulier prend le titre de « patron de l'île ».

À Balanec, ce patron est une femme, Mme Masson-Monot, qui, non sans mérite, dirige les travaux des rudes gâs que sont les pigouliers.

 

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Les habitants de ces derniers retiendront notre attention.

 

Sous des barques renversées, exhaussées sur quelques cailloux calfatés de terre, ou encore dans des anfractuosités de rocher complétées de quelques vieilles planches, des hamacs sont suspendus, que l'on discerne mal dans la fumée émise par un fourneau de fortune, d'où nous vient aussi une odeur de soupe de poisson.

 

Auprès de ces pittoresques logis, de larges tranches de congre salées sèchent en plein air, comme en Islande la morue provisions pour les jours où le gros temps interdira aux pigouliers de se livrer à la pêche dans les barques minuscules dont ils disposent.

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De Balanec, allons à Banec, autre îlot plus au nord et où les brûleurs de goémon sont moins nombreux.

Nous y observerons les mêmes mœurs et pourrons chasser le perroquet de mer, au plumage noir et blanc, au bec corail et jaune, ou bien cette petite espèce de goélands paresseux au point de déposer sur l'herbe rase, sans autre attention, les œufs qu'il pond, ou bien encore l'hirondelle de mer, que nous dénicherons dans les trous de rochers.

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La matinée suivante, toujours avec la vedette de Molène, nous gagnerons Quéménès.

Là nous pourrons, si nous avons des permis, chasser le lapin.

Les fils de Mme Floch, la « patronne » de Quéménès, nous prêterons des furets.

 

Les dimensions de Quéménès sont assez grandes pour donner lieu à une exploitation importante. Les goémoniers y sont nombreux, les cultures couvrent plusieurs hectares.

Nous y compléterions nos observations sur le genre si particulier de ces pécheurs cultivateurs, dont la plupart sont originaires de Plouguerneau, une paroisse de la côte finistérienne, et qui, loin de la fièvre continentale, mènent une existence étonnamment primitive.

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Nous terminerons par une escale à Trielen, et trouverons chez M. Jean Floch, qui l'exploite, ce même accueil cordial apprécié déjà aux îles Balanec et Quéménès.

 

Les îliens aiment recevoir des visites.

Cela les distrait, en leur valant en même temps des nouvelles du continent, « de la grande terre », comme ils disent.

 

Par un bienfait de la Providence, Trielen, le plus intéressant des îlots de l'archipel, a pour « patron » un homme curieux des choses du passé.

Reçus dans son intérieur confortable —un « home » qui étonne en ce bout du monde occidental —nous nous passionnerons à l'entendre nous parler tour à tour de la maison hantée,

de ce fantôme surnommé « l'homme à la pipe », qui fait qu'à la nuit close on hésite à passer à tel endroit ;

de certain souterrain qui, selon la tradition, relie l'ile à la terre ce qui prouverait cette existence continentale des îles à laquelle nous avons fait allusion tout à l'heure.

 

Nous suivrons M. Floch pour examiner en sa compagnie les vestiges d'un édifice considérable qui s'élevait jadis dans l'ouest de Trielen.

Sur un vaste emplacement nivelé, en avant d'une quantité de rectangles de pierres moussues, ruines d'un village important, nous trouverons la base d'une forte muraille, flanquée des reliefs de deux tours.

Quels guerriers, quels pirates vinrent jadis là s'installer ?

Fut-ce pour surveiller les abords de Bretagne à l'époque des invasions normandes ?

Fut-ce, au contraire, pour guetter le passage de riches caravelles ?

À proximité, une anfractuosité de la côte le « trou du chat » offrait, certes, un abri suffisant aux barques de ces hôtes mystérieux.

 

Ces ruines, nous l'apprendrons, ont été le théâtre de recherches romanesques.

Il y a environ cinquante ans, des Anglais débarquèrent à Trielen.

Sur la foi de vieux manuscrits, ils venaient y chercher un trésor.

Ils piochèrent en vain à la base d'une des tours.

Par contre, dans une antique demeure du Conquet où les attira ensuite leur documentation, ces Anglais trouvèrent bel et bien, en une cachette ingénieuse, de quoi les dédommager de leurs peines.

 

Selon les îliens, le trésor de Trielen serait, non pas enfoui dans les ruines, mais envasé au fond d'un étang situé à l'autre extrémité de l'île et dont les eaux reflètent en permanence, avec les nuages du ciel, les fumées de leurs brûleries de goémon.

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