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Fenêtres sur le passé

1926

Chez les pigouillers par Charles Léger

 

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Source : La Dépêche de Brest  2 novembre 1926

 

La coupe du goémon de rive est strictement fixée à une époque déterminée par arrêté municipal ;

cependant, toute l'année, aux jours des grandes marées, on peut voir descendre vers les grèves une foule d'enfants, de femmes, de vieillards.

Pas à pas, ils suivent la retraite du flot, pour recueillir les grandes laminaires que la mer inlassable arrache, puis entraîne vers le littoral.

La récolte des goémons épaves est libre à toute époque.

 

Cependant, les jeunes hommes s'en vont, eux, dans leurs barques, exploiter directement les forêts sous-marines devenues accessibles pour un moment.

Ils sont inscrits maritimes, mais bien plus cultivateurs que marins.

Tous possèdent un bout de terrain et savent le mettre en valeur.

Ils tirent bon parti de la flore marine, mais ne sont qu'accessoirement goémoniers.

 

Les professionnels sont les « pigouillers », qui, dès mars, abandonnent la maison familiale pour aller, jusqu'en septembre, se fixer dans les îlots.

De Plouescat, ils allèrent, cette année, à Siek et jusqu'aux Sept-Îles.

De Plouguerneau, l'Aberwrach, Laber-Ildut, etc., ils s'en allèrent, comme de coutume dans l'archipel ouessantin.

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Pigouliers à Quéménès.jpg

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Là, tous les ans, ils s'expatrient et mènent dans l'isolement la plus rude existence.

Sur de simples rochers comme Bannec, Balanec ou Litiry, ils vivent en primitifs, réduisant leurs besoins au strict minimum, chargeant et déchargeant leurs barques à longueur de journée,  s'empilant la nuit dans des cases surprenantes d'étroitesse, afin de pouvoir, à l'automne, ramener au continent d'imposants chargements de soude.

 

Depuis déjà très longtemps, la richesse goémonière de l'archipel provoque les convoitises.

Des îlots, dont les pauvres dimensions et la stérilité semblait devoir écarter les hommes à tout jamais, servirent un jour de base à de véritables maisons.

On les habita de façon définitive et l'on y travailla tant et si bien qu'on parvint à fertiliser certaines parties de ce sol de rocaille.

 

Quéménès et Trielen ont leur ferme ; Béniguet en a deux.

Les pigouillers, y groupant leurs cases, ont constitué des villages.

Mais quels villages !

Faits de pierres entassées recouvertes de papier goudronné et de terre, abritant leur fragilité au pied de talus, n'ayant d'autre ameublement que quelques planches garnies de paille et de vagues ustensiles de cuisine.

 

C'est à Molène, jadis, qu'on exploitait le goémon en plus grande quantité.

Tout d'abord, en le brûlant, les habitants obtenaient un engrais recherché, dénommé terre de Molène.

Puis, en 1830, ils abandonnaient cette fabrication pour se consacrer à celle de la soude qu'ils écoulaient à l'usine du Conquet.

 

Ce fut pour l'île une ressource d'autant plus précieuse qu'elle la soustrayait à la misère qui jusqu'alors avait été son lot.

Aussi la population s'accrut-elle.

De 360 habitants  en 1850, elle passait à 537 en 1878.

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C'est à cette époque que la concurrence étrangère provoqua l'effondrement des cours.

La misère reparut à Molène, et avec elle une affection scorbutique qui décima la population.

 

Cette année, le brûlage du goémon, dans cette île, a produit 250 tonnes de soude.

 

Quéménès, entourée d'immenses forêts sous-marines et de grèves étendues où la récolte peut s'effectuer avec une facilité relative, détient le record de l'archipel.

En 1924, les seuls habitants de la ferme faisaient 250 tonnes de soude, tandis que les pigouillers groupés dans les anses de l'île n'en faisaient pas moins de 500.

 

Ce développement d'une industrie qui semble devoir prendre encore plus d'importance n'a pas manqué d'avoir des répercussions inattendues.

Comme toutes les usines, à quelques rares exceptions près, n'achètent que la soude, les récoltants, avant de faire brûler les goémons, doivent les sécher au soleil.

Ils les étendent) pour cela sur les dunes qui bordent le littoral.

Leurs récoltes se faisant toujours plus importantes et le nombre des goémoniers croissant sans cesse, il fallut, un jour, limiter à chacun d'eux la portion de dune communale dont ils pouvaient disposer pour cette fin.

 

Cela n'alla pas sans difficulté, d'autant que bon nombre de communes avaient aliéné leurs droits sur ces terrains.

Et nous vînmes, l'an dernier, à Laber-Ildut, mettre en vente, au prix de 500 francs, une parcelle louée 20 francs jusqu’alors :

Le marché fut conclu à 5.000 francs, à la grande surprise du propriétaire, qui ne concevait pas qe ce terrain inculte pût avoir semblable valeur.

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À Porspoder, il y a deux ans, une autre portion de dune, que la mer désagrège d’impressionnante façon, était mise à prix 300 francs ; elle fut vendue 4.000 francs … et s’est déjà presque entièrement affaissée sur la grève.

 

Avec l’accroissement du prix du goémon, l’augmentation du nombre des usines et des goémoniers, verra-t-on hausser encore la valeur de ces dunes, qui n’ont d’autre utilité que celle d’une sécherie ?

Ceci n’est pas certain.

 

Dès 1869, en effet, M. Plagne, ancien pharmacien en chef de la marine, proposait de traiter les varechs par la voie humide, sous pression de plusieurs atmosphères.

« Ainsi, disait-il, on peut conserver comme engrais les 4/5 de la matière organique azotée détruite par la combustion ».

 

Récemment, au cours d’une conférence faite à la Société de chimie industrielle, M. M. Deschiens, ingénieur chimiste exposait :

« On est actuellement orienté sur des procédés qui permettent de recueillir l’iode et les sels sans incinération et par conséquent sans détruire la matière organique.

Celle-ci peut être utilisée.

 

« On en retire, en effet, une substance mucilagineuse, l'algine, dont les sels chimiques sont employés en pharmacie (ferrocol ou alginate de fer), pour le traitement des maladies cryptogamiques de la vigne (sel de cuivre), pour les apprêts des tissus et l'encollage des papiers (sel d'ammoniaque), pour l'épuration des jus de betteraves et de pommes (sel de soude), etc. »

 

L'emploi des algues est infini et comme il tend à se développer encore, nos goémoniers, dont nous avons exposé la pénible besogne, sont, à présent, assurés de connaître d'heureux profit.

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