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Fenêtres sur le passé
1924
Du Portzic à la Jument par Charles Léger
Source : La Dépêche de Brest 5 août 1924
Notre rade, ce matin, paraît enchâsser un immense miroir dans l'infinie variété de ses caps, de ses anses, de ses ports.
La mer, en effet, comme aplanie avec un soin méticuleux, reflète un ciel pur ainsi que les images de tout ce qui la borde ou la domine.
Brusquement une étrave a surgi rompant le charme.
Comme un diamant elle court sur la surface polie, comme un soc elle s'y enfonce, abandonnant à l’avant du navire gracieusement incurvé le soin de rejeter en volutes écumantes l'eau qu'elle propulse avec rapidité.
Le Celuta, doublant la passe ouest, fonce vers le large.
Le Celuta ?
Oui, ce navire récemment acquis par le département pour assurer le service de l'archipel d'Ouessant.
Son nom surprend, en effet, car il ne répond, ici, à rien ;
mais il ne le conservera pas longtemps.
Le voici défilant devant les admirables murailles du Château, d'où l'on peut observer tant de belles manifestations navales au cours des siècles passés.
Pourquoi faut-il encore que les lignes magistrales de l'antique forteresse de granit soient coupées, dominées, écrasées par ces protubérances de ciment armé ?
Comment leur permet-on de dresser leur hideur sur les points culminants comme un mufle enrichi se haussant sur un trône ?
Qui donc ne le déplore, parmi les nombreux touristes qui se pressent avec intérêt sur le pont et sur la passerelle ?
Ils ont voulu mettre à profit ce voyage supplémentaire du dimanche pour connaître Ouessant, pour s'éprouver en un contact direct avec l'Océan.
Et ils sont partis pour l'île, que trop de gens ignorent, comme pour une découverte capable de leur révéler des formes de la nature entièrement nouvelles ou des qualités personnelles insoupçonnées.
Le goulet !
Une légère houle et un nuage donnent aux conversations un tour nouveau.
Dans son cadre de verdure, la plage toute blanche du Trez-Hir se rapproche.
On y fait escale.
À présent, on file vers une ligne d'horizon sans obstacle.
On, file avec une vitesse, bien plus considérable que celle qui animait « l’île d'Ouessant », puisque tandis que le navire disparu atteignait tout au plus dix nœuds, le Celuta peut en faire treize à l'heure.
Aussi ne manquera-t-elle pas d'avoir une heureuse répercussion sur le développement du tourisme dans notre région cette nouvelle acquisition du département.
Le Celuta est d'ailleurs bien mieux aménagé.
Il comprend tout d'abord un spardeek ou pont promenade, un fumoir avec tables à thé et canapés ;
puis, au-dessous, un salon pour les voyageurs de première classe, deux chambres avec six couchettes, un appartement avec cabine de bain, un lit-couchette et un bureau ;
un autre pont promenade derrière la dunette pour les passagers de 2e classe et un autre salon.
Le tout est agrémenté de lampes et de ventilateurs électriques.
Le Celuta, qui chauffe au mazout, s'appelât jadis le Béryl.
Il avait été construit en Écosse en 1906 pour un archiduc autrichien ;
mais comme il ravitaillait pendant la guerre les sous-marins ennemis, il fut saisi, puis transformé en patrouilleur.
Lors de la liquidation de la flotte d'État, il fut vendu à une compagnie de Granville, qui entreprenait un service régulier avec Jersey, il reliait le port de la Manche avec les îles Chausey quand notre département l'acquit.
À présent, sur la mer calme, il atteint les Bossemen, frôle Keroudoc, longe les Pierres-Noires et pointe vers la Jument.
Voilà le Fromveur !
Comme de coutume le courant manifeste sa rudesse, ce qui n'empêche point le vapeur de doubler le phare en toute sérénité et de virer devant Nividic pour entrer dans la baie de Lampaul.
Pour Ouessant, c'est un véritable, événement.
La foule endimanchée, au sortir de la messe s'est groupée sur les falaises rocheuses qui dominent le port.
Va-t-on, parmi les arrivants, retrouver des amis, des parents ?
À l'hôtel Le Bars, on a multiplié les efforts pour que tous soient satisfaits.
Chacun se hâte cependant, afin de pouvoir excursionner le plus longuement durant les quelques heures de stationnement.
Quatre heures déjà !
On a dû s'arracher à la contemplation de si belles choses, et il en est tant encore qu'il conviendrait d'admirer, que ce n'est, pas sans regret que l'on regagne la cale d'embarquement.
En foule plus compacte qu'à l'arrivée, les îliens sont venus jusqu'au port manifester leur satisfaction de la visite reçue.
Ils s'embarquent même, dans de nombreux canots pour venir jeter un dernier adieu aux passagers du navire qui, déjà, lève l'ancre.
Ici le Corce et son moine de granit la Jument, le Fromveur.
On a quitté la pointe extrême des terres françaises dans l'ouest.
Cette fois, on fait route sur les îles, qu'à l’aller on avait évitées.
Voici le remarquable phare de Keréon, dressant sur l'horizon sa robuste silhouette ;
voici Bannec, voici Balanec.
La blancheur de la tourelle des Trois-Pierres marque très heureusement l'entrée du port de Molène.
Et, tandis que, guidé d'une main sûre par le capitaine Nizon, on évolue au milieu des rocs, innombrables devant Quéménès et Béniguet, on se prend à regretter qu'une pareille journée, déjà, touche à sa fin.
Le chenal du Four est franchi.
La tourelle des Vieux-Moines, que le récent raz de marée fendit dangereusement à la base, présente les bienfaits des réparations entreprises.
Voici le continent, s'offrant sous la forme impressionnante de falaises abruptes surmontées de ruines augustes et d'un phare tutélaire.
Puis c'est, vers la pointe du Minou, l'entrée du goulet, où l'on découvre avec intérêt des incidences dont la variété, surprend, et enfin la rade, dont l'immensité s'estompe dans les ombres du couchant.
Le Celuta regagne le port ;
et dans les groupes où, durant cette journée, des sympathies nouvelles se sont manifestées des projets s’élaborent qui n'ont plus d'autre fin qu'une visite prolongée de l'île d'Ouessant.