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Fenêtres sur le passé

1921

Au pied des phares

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Source : La Dépêche de Brest 23 octobre 1921

 

Tout paraît fantastique au milieu de ces rochers géants, rongés, striés, déchiquetés, impressionnants

comme le cauchemar, troublants comme le dessin d'un fou, au sein de cette mer toujours furieuse, laiteuse, crémeuse, et parmi ces courants prodigieux dont les méfaits ne se comptent plus.

En effet, la vie en ces lieux a de ces manifestations que nous autres, citadins, supposons créées par l'imagination d'écrivains amoureux de l'extraordinaire.

 

Aussi à quels cœurs solidement trempés, à quels cerveaux robustement constitués, à quels hommes doit-on faire appel pour conduire une tâche dans cet enfer !

Il faut ici bannir toute nervosité, il faut repousser toute crainte, il faut conserver, quoiqu'il advienne, la maîtrise absolue de soi-même.

 

Fils de gardien de phare, enfant de l'île, le scaphandrier Dupont présente au moral toutes les qualités désirables chez un homme appelé à évoluer seul dans un élément différant totalement du sien, à faire preuve, en toute circonstance, de courage et d'initiative.

Au physique, c'est un grand gaillard solide, capable des plus extraordinaires tours de force.

 

Ne faut-il d'ailleurs pas qu'il soit de ceux que l'inconnu n'effraie guère pour consentir à vivre dans un monde hallucinant, en des endroits que jamais homme n'explore ?

 

Lorsqu'il fit ses premières plongées, il s'étonna d'abord de constater que les poissons, loin de fuir, se rapprochaient de lui et venaient parfois, curieusement, heurter la glace de son casque.

Les crabes aussi rampaient à ses côtés ci, il put maintes fois faire son choix, avant de regagner la surface, parmi ceux qui le considéraient comme une proie sans défense.

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Un jour, comme il travaillait devant le Stiff, une pieuvre dressa brusquement ses tentacules vers lui.

Dans la lumière glauque du fond il l'avait aperçue et tenta de s'en écarter.

 

Ce fut en vain. Avec des inflexions serpentines, l'un des bras hideux de la bête lui encercla la jambe.

Un autre vint adhérer à son corps, de toute la puissance de ses multiples ventouses.

 

Dupont dévissa son poignard et s'en servit.

Mais la répugnante étreinte ne se relâchait pas.

La pieuvre, au contraire, tentait de la faire plus complète.

 

La lutte ne prit fin que lorsque, un à un, il eut coupé les tentacules.

 

Et, satisfait, Dupont reprit paisiblement sa fâche.

Ce n'était pour lui qu'un petit incident susceptible de se renouveler dans les fonds extraordinaires qu'il fréquente ; car il plonge aux quatre coins de l’île, au hasard des circonstances.

 

La roche Nividic lui fournit, il y a peu de temps encore, l'occasion de connaître un endroit particulièrement difficile.

Placée à l'ouest de l'île, en avant de ce groupe important de récris qui prolonge au loin la pointe de Pern,

cette roche avait été choisie pour servir de base a un nouvel ouvrage.

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Mais en cet endroit la mer est toujours très dure et le travail ne peut s'effectuer qu’avec de grandes difficultés.

Aussi, durant l'année 1912, on n'était parvenu qu'à creuser vingt trous de scellement.

L'année suivante, on put aborder vingt-sept fois. .

Cependant, en 1915, les fondations étaient terminées et les travaux pouvaient être menés avec plus de rapidité.

 

En 1920, la tour s'élevait à 8 m. 50 au-dessus des plus hautes marées d'équinoxe ;

mais, au courant de l'été, une tempête éclata et les vagues submergèrent l'ouvrage avec une telle violence que toute l'installation mécanique du chantier fut emportée.

 

Lorsque le temps le permit, trois mois plus tard, on résolut de tenter de sauver quelques-unes des machines ainsi englouties, et Dupont fut invité à aller reconnaître leur position.

 

Comme il se laissait couler au pied de Nividic, il eut la surprise de rencontrer un fond comme il n'en avait encore jamais vu.

Tout autour de lui se dressaient très hauts des rochers effilés comme des flèches de clochers et dans cette merveille de l'architecture naturelle se développait une floraison inimaginable sous laquelle il disparaissait entièrement.

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Soudain, tandis qu'il poursuivait ses recherches, les goémons s'écartèrent brutalement pour livrer passage à un congre énorme qui fila droit sur lui. .

 

Devant les mâchoires formidables garnies de dents aiguës qui pouvaient trancher un membre d'un seul coup, le scaphandrier frissonna.

Que la bête mordit seulement au passage le tuyau d'aération et c'en était fait de lui.

 

Dupont s'arma de son poignard.

Mais il ne pouvait s'en servir qu'à coup sûr car le poisson était agile et lui eut bientôt coupé le poignet

 

Et dans le silence de mort du fond où il ne percevait que les battements de ses tempes, au milieu des plantes fauves et des pointes granitiques qui limitaient ses mouvements, l’homme recula devant la monstrueuse apparition.

 

Fébrilement il agita le signal d'alarme et n'eut qu'un but : éviter le combat.

 

Un choc se produisit cependant, violent : la bête avait heurté le casque de l'homme tandis que la lame du poignard l'avait atteinte en plein corps.

 

Mais un congre a la vie dure et l'arme du scaphandrier ne pouvait être d'une grande efficacité !

 

Cependant, à la surface, inquiets, les hommes de la chaloupe s'efforçaient de remonter leur camarade au plus vite.

Il leur apparut bientôt le poignard au poing car durant, son ascension Dupont avait encore subi un nouvel assaut.

 

Depuis ce jour, les travaux n'ont pas été repris à Nividic ; mais l'effort s'est porté sur d'autres points. Ces suspensions sont d'ailleurs courantes et pour de multiples causes.

 

Quand il s'agit de combattre les éléments sur leur propre terrain, à l'endroit précis où ils sont accoutumés à se montrer le plus violents il faut, pour vaincre, savoir discerner l'heure propice.

Aussi par quelles minutieuses, par quelles patientes observations doit-on toujours préparer une expédition.

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L'histoire des Pierres Vertes est bien faite pour le démontrer.

 

Ces pierres qui émergent à peine et représentent un groupe particulièrement important et dangereux à l'entrée du Fromveur, entre Molène et Ouessant, furent la cause de nombreux sinistres.

Qui ne se souvient encore des circonstances tragiques qui entourèrent, en 1896 la perte du paquebot anglais Drummont Castle sur ces écueils ?

 

Après des études qui aboutirent surtout à démontrer la quasi-impossibilité de l'œuvre,

on résolut néanmoins de « prévoir la construction d'un phare » en ce lieu.

 

Une résolution de ce genre peut sembler ridicule aux non-initiés et cependant elle entraîne des actes qui ne sont pas les moins méritoires du travail prévu.

 

Et puis peut-on faire mieux lorsqu'on ne dispose pas encore des crédits nécessaires et surtout lorsque les moyens de la science actuelle ne le permettent pas ?

 

Roch-an-Diaoul fut choisie parmi les Pierres Vertes pour servir de base à l'édifice prévu.

Sortant par basse-mer au ras de l'eau au milieu d'un courant formidable, il fallait faire preuve d'une grande habileté pour pouvoir l'aborder.

 

Cependant, le 30 septembre 1907, M. Croûton, ingénieur des travaux publics de l'Etat, y débarquait.

Mais son séjour y fut de courte durée car le flot l'emporta et il ne dut son salut qu'à l'activité déployée par ses hommes pour le sauver.

 

Il fut impossible de renouveler la tentative avant le 9 avril 1910.

Cette fois on put commencer le premier travail qui consiste à couper le goémon puis à mettre à nu la roche au moyen de l'acide chlorhydrique.

 

Deux ans plus tard, le 13 septembre, on y revint pour tenter d'y faire quelques trous de scellement.

Mais les instants qui pouvaient être mis à profit par les travailleurs étaient parcimonieusement comptés par le courant et par le flot.

 

Le 2 septembre 1913, nouvel abordage, M. Croûton réussit à opérer un débarquement avec quatre hommes.

Mais on ne put cette fois rien entreprendre.

Une vague enleva même l'un d'eux qui fort heureusement était lié à ses compagnons par une corde à la façon des alpinistes.

 

Et depuis ce jour aucun humain n'a posé le pied sur Roch-an-Diaoul — la roche du diable.

 

Ch. LEGER.

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Drummont Castel

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